Intervention de Tancrède Voituriez

Réunion du 27 mai 2015 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Tancrède Voituriez, directeur de programme Gouvernance de l'IDDRI :

Certes, ces milliards de dollars peuvent donner le tournis. Et puis c'est très compliqué, d'autant que les chiffres divergent. Mais c'était un peu le but de notre exposé que de répondre aux interrogations des uns et des autres.

En fait, derrière les chiffres, il y a des discussions politiques, qui portent sur le périmètre du financement climat. En effet, on ne sait toujours pas ce que c'est que le financement climat. On sait malgré tout qu'il ne coûte pas beaucoup plus cher d'investir dans du bas carbone que dans du conventionnel. C'est une bonne nouvelle. Mais il y aussi une mauvaise nouvelle, qui est que, en dépit de cela, la réallocation vers du bas carbone ne se fait pas. Peut-être aurait-il été finalement beaucoup plus simple de constater qu'il manquait beaucoup d'argent et donc d'aller en chercher, que de s'apercevoir qu'il n'en manque pas beaucoup mais que l'on n'arrive pas à réallouer les fonds.

Maintenant, on peut se demander pourquoi il faudrait conserver l'objectif des deux degrés, si la hausse de la température atteint déjà trois ou quatre degrés à certains endroits. Les deux degrés ont tout de même une vertu : obliger à se projeter à un horizon très lointain, à faire des exercices, à monter des scénarios de transition ou de modification de l'économie. Par exemple, pour maintenir les deux degrés en 2050, il faudrait réduire les émissions au moins d'un facteur quatre en Europe ; on serait alors dans un tout autre monde. Se livrer à ces exercices permet de secouer un peu les économies et les sociétés, et de leur montrer que l'on ne discute pas d'un changement de trajectoire à la marge, mais d'un monde qui change à grande vitesse. C'est cela, le signal des deux degrés.

Ensuite, il est exact que la recherche, la technologie et l'innovation ne sont pas comptabilisées actuellement dans le périmètre de la finance climat. Mais l'innovation n'arrive pas comme cela. On n'augmentera pas les dépenses de R & D sur de nouvelles technologies s'il n'y a pas véritablement de consensus, s'il n'y a pas d'engagement pour renoncer à certaines trajectoires et en explorer d'autres. Une injonction vers plus de R & D, sur du bas carbone ou sur de l'atténuation, sera sans effet puisqu'il faut que ces investissements et cette innovation rapportent suffisamment. Or aujourd'hui, on juge que n'est pas le cas.

Par ailleurs, il faut abandonner l'idée, qui a été véhiculée, d'une nouvelle Révolution industrielle. Il n'y aura pas une « super technologie » comme il y a eu le moteur à explosion ou l'électricité. Il y a des grappes de technologie qu'il va falloir coordonner, et qui vont éventuellement ouvrir des sentiers de transition très vertueux en termes de carbone. Mais même cela ne se commande pas par des budgets de recherche et développement. C'est hélas un peu plus compliqué.

Passons au cadre d'investissement qui pourrait permettre cette réallocation.

On insiste beaucoup sur le prix du carbone. Celui-ci a de nombreux inconvénients, mais dans les manuels, il a beaucoup d'intérêt : il rend objectivement très chères des technologies qui, sinon, ne le seraient pas. La taxe carbone, quant à elle, n'est pas suffisante pour atteindre des objectifs de réallocation et de décarbonation profonde.

L'alternative, la normalisation, peut avoir une certaine efficacité mais elle est plus difficile à mettre en place. Elle prend du temps, car elle suppose des accords sectoriels qui dépassent les pays. Mais des initiatives ont été prises et des discussions sont en cours sur l'acier, le ciment, les autres éléments qui entrent dans le périmètre du système ETS européen – ou, en français, système communautaire d'échanges et de quotas d'émissions (SCEQE).

Plutôt qu'une taxe carbone à cinq euros, on pourrait imaginer de mettre en place des accords sectoriels avec des références technologiques obligeant, par exemple, à produire du ciment de telle ou telle manière. Même si cela nécessite une coordination beaucoup plus large que la négociation d'un prix carbone avec un ajustement aux frontières, il ne faut pas l'exclure. Les accords sectoriels réglementaires permettent à un pays d'imposer un ajustement aux réglementations intérieures. Selon l'accord sur les obstacles techniques au commerce (OTC), il est en effet possible d'avoir des réglementations internes plus élevées que ce que l'on observe à l'extérieur.

En dernier lieu, je tiens à préciser que ce n'est pas la taxe carbone qui fait fuir les industries européennes hors d'Europe. Cette taxe est à 5 euros et, pour l'instant, cela ne change rien au problème de compétitivité des industries européennes.

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