Intervention de Stanislas Dupré

Réunion du 27 mai 2015 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Stanislas Dupré, directeur du think tank 2° C II :

Je ne pourrai pas non plus répondre à toutes les questions, mais je vais me pencher sur quelques-uns des points qui ont été soulevés.

D'abord, quel regard porter aujourd'hui sur la mobilisation de la finance ? J'ai l'impression qu'il y a une très bonne dynamique de mobilisation. En revanche, une partie du signal est peut-être mal interprétée par les acteurs. Parfois, il y a des malentendus. On a parfois aussi tendance à se leurrer sur l'importance de ce qui est annoncé.

Ensuite, j'aimerais revenir sur un sujet déjà abordé par M. Leguet, et faire remarquer que réallouer des actifs financiers dans un portefeuille, ce n'est pas la même chose qu'investir dans l'économie réelle. Si vous voulez, par exemple, désinvestir des portefeuilles financiers des énergies fossiles et que cela ait un impact sur l'économie réelle, il faut atteindre une masse critique et que d'autres investisseurs fassent la même chose que vous.

Il est intéressant de constater, quand on travaille cette question sur le plan technique, qu'il n'y a personne à l'échelle mondiale, et a fortiori au sein de la Banque de France, du Trésor ou ailleurs, qui cherche à comprendre quel est l'impact du secteur financier sur le financement de l'économie. Il n'existe pas de modèle pour cela : on peut parler de « trou noir ». Or pour comprendre l'impact environnemental, il faut d'abord comprendre l'impact sur les investissements et sur l'activité économique. Et on est bien en mal de le faire.

Si l'on fait un bilan à date en rapport avec cette question, on voit qu'une dynamique est amorcée au niveau des banques. Il y a effectivement de vrais investissements qui ne trouveront pas de financement, notamment dans le secteur du charbon. Cela s'explique en partie par la conjoncture économique de ce secteur, qui n'est pas bonne et qui facilite les annonces.

Quelles seront les prochaines étapes ? D'après moi, une mise en cohérence plus nette du secteur public bancaire sur ces questions. Et sans doute en discutera-t-on au G 7 le mois prochain.

À propos des investisseurs, je dirais qu'ils ont beaucoup plus tendance à faire des annonces « Canada Dry ». Ils annoncent qu'ils vendent des actifs mais, finalement, cela ne change pas grand-chose. La voie suivie par la Caisse des dépôts et présentée par M. Leguet semble beaucoup plus intéressante, mais elle est aujourd'hui minoritaire.

Autre point : le risque carbone semble être la prochaine bulle qui affole le secteur financier, si l'on se réfère aux déclarations de certaines banques centrales, des investisseurs, etc. Il faut voir qu'il y a aujourd'hui beaucoup de communications sur le sujet. Certes, des investigations réelles sont faites, notamment par la Banque d'Angleterre. Certes, les analystes et les agences de notation font des calculs sur ce que pourrait être l'impact d'un scénario « deux degrés ». Mais dans le coeur de leur modèle, le pourcentage de chances qu'ils prennent en compte est proche de zéro. C'est un élément à garder en tête : on commence à s'y intéresser, mais ce n'est pas encore intégré dans les modèles.

Par ailleurs, il me semble crucial, pour les décideurs politiques – notamment les parlementaires – de se former dans les années à venir sur ces questions. Ceux d'entre vous qui s'y intéressent devraient suivre des formations d'une journée ou deux. Nous sommes prêts à vous les dispenser gratuitement. Cela vous permettrait d'interpréter les signaux, de comprendre ce qui change vraiment, et d'allouer de la manière la plus efficiente possible des crédits publics qui sont contraints.

Je vais vous donner deux exemples pour appuyer mon propos.

Premièrement, si le projet de loi sur la transition énergétique oblige les investisseurs à rendre des comptes sur leur empreinte carbone, il n'y a quasiment aucun investissement qui ait été fait jusqu'à présent par les pouvoirs publics, à l'échelle mondiale, pour développer des méthodes en la matière. Quant à ceux qui ont été faits par le secteur privé, ils sont très faibles. Se pose donc aujourd'hui la question de la mise en oeuvre effective de cette obligation. Je pense qu'avec une meilleure compréhension de ces questions, on aurait pu anticiper la situation.

Deuxièmement, l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) a vu ses subventions réduites. Elle a dû rogner sur ceux de ses budgets consacrés à cette question, au moment où des injections massives de crédits auraient pourtant été nécessaires. L'ADEME fait au mieux avec les crédits dont elle dispose, mais je trouve qu'il y a là une contradiction dans les choix faits par l'État, qui appuie en même temps sur la pédale de frein et sur la pédale de l'accélérateur.

Ensuite, je ne suis pas sûr de partager totalement l'analyse de M. Voituriez sur le côté « volontariste » de la R&D. J'ai travaillé dans le secteur du ciment et il est clair qu'il faudrait y intégrer une nouvelle technologie pour que celui-ci puisse décarboner comme cela est prévu dans les scénarios. Or, quelles que soient les contraintes qui seront mises sur ce secteur en termes de négociations dans les dix, vingt ou trente années à venir, cela n'aura que peu d'influence sur les investissements de R&D. En effet, les émissions se matérialiseraient au-delà de quinze ou vingt ans, et le secteur financier n'a pas cette capacité d'anticipation. Cela signifie que dans ce secteur, il faudrait que des investissements en R & D soient décidés maintenant pour que la décarbonisation puisse se mettre en place dans vingt ans. Mais ce n'est pas ce qui se passe. Quand je travaillais pour ce secteur, à l'échelle mondiale, on investissait dans ce domaine moins que mon salaire – qui, à l'époque, n'était pas très élevé. Il y a donc encore de gros efforts à faire.

Je terminerai mon propos sur le rôle joué par l'Europe. Il est clair que c'est elle qui est la plus à même de se mobiliser et d'intervenir là où il le faut. Il me semble donc important que les actions menées au niveau national s'articulent avec celles qui sont menées au niveau européen.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion