Intervention de Isabelle Gravière-Troadec

Réunion du 6 mai 2015 à 16h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Isabelle Gravière-Troadec, conseillère maître à la deuxième chambre de la Cour des comptes :

Compte tenu du délai séparant la production des comptes et la publication du rapport et afin de vous apporter des informations utiles, nous nous sommes intéressés aux rapports des chambres régionales des comptes publiés depuis le printemps 2012 ce qui permet de prendre en compte la loi de juillet 2010. Au cours de ces trois dernières années, une trentaine de rapports ont été publiés, dont une dizaine sont consacrés aux écoles de commerce – je ne les ai pas retenus dans la mesure où la synthèse en a été faite par la Cour. Il reste donc une vingtaine de rapports, dont les deux tiers concernent les CCI, le tiers restant étant consacré aux CMA. Je me suis concentrée sur les éléments liés à vos préoccupations, laissant de côté ce qui relève de la commande publique ou des dysfonctionnements de la gestion des ressources humaines.

En ce qui concerne les CCI, il ressort des analyses approfondies réalisées par une dizaine de chambres régionales que leur situation est jugée globalement saine – même si les rapports les plus récents soulignent un début de réduction des recettes fiscales et souvent, des ressources propres. En outre, les réserves des années antérieures sont importantes, ce qui explique que le fonds de roulement peut aller jusqu'à une année de fonctionnement ; c'est notamment le cas de la CCI régionale de Lorraine.

La gestion des CCI est donc plutôt satisfaisante. Ainsi, la chambre régionale des comptes des Pays de la Loire salue la « rigueur et la qualité de gestion » de la CCI Nantes-Saint-Nazaire. Cependant, dans un rapport du 3 mars 2015 concernant la CCIR d'Aquitaine, qui a fait l'objet du contrôle le plus récent, la CRC d'Aquitaine-Poitou-Charentes relève que « le solde financier – capacité d'autofinancement – a toujours été positif sur les années écoulées » mais que « le budget primitif 2014 prévoyait un résultat et une capacité d'autofinancement négatifs. » Autrement dit, la CCIR n'a pas voulu emprunter, préférant tirer sur ses réserves. On voit donc bien là les conséquences des décisions qui ont pu être prises. Il s'agit néanmoins du seul cas de ce type que j'ai identifié.

Il faut avoir conscience que l'exploitation de grosses infrastructures, surtout si la CCI n'est pas très importante, peut peser lourdement sur les comptes. Tel est le cas notamment de la CCI de Pau-Béarn, dont un premier résultat déficitaire a été constaté en 2009, entièrement imputable à l'aéroport de Pau-Pyrénées. De même, pour la CCIT de Bayonne-Pays-Basque, la CRC souligne, dans un rapport de décembre 2014, une baisse de résultat, lequel est passé de façon significative de 3,93 millions d'euros en 2009 à 622 000 euros en 2012, sous l'effet conjugué de l'importance des amortissements, des ponctions opérées par le niveau régional – la CCIR d'Aquitaine – sur la ressource fiscale et de la chute d'activité du port de Bayonne.

Par ailleurs, les chambres régionales des comptes relèvent parfois un manque de perspectives stratégiques. Mais cette situation n'est-elle pas due précisément à l'absence de perspectives financières et fiscales ? Toujours est-il qu'il n'y a pas de vision pluriannuelle des investissements et que les documents stratégiques n'ont généralement pas été adoptés. La Chambre régionale des comptes d'Aquitaine-Poitou-Charentes – dont je vais citer le rapport à plusieurs reprises, car il est le plus récent et me semble correspondre le mieux à vos préoccupations – note ainsi, après avoir rappelé qu'un tel document relève d'une obligation imposée par l'article L. 711-8 du code de commerce, que la CCIR d'Aquitaine a engagé le processus tardivement, en 2013, soit deux ans après le début de la mandature, et qu'elle n'a toujours pas, à ce jour, adopté de schéma directeur.

En ce qui concerne l'impact de la réforme de juillet de 2010, les très rares rapports qui l'évoquent soulignent tous le caractère encore timide des évolutions, qu'il s'agisse des regroupements, des mutualisations ou de l'élaboration de schémas sectoriels.

Un seul rapport, celui de la CRC d'Aquitaine-Poitou-Charentes, évoque les regroupements, pour indiquer que le regroupement infra-départemental n'a pu avoir lieu que dans le département de la Gironde, les présidents des autres chambres de commerce et d'industrie territoriales (CCIT) ayant opposé un refus à la CCI régionale.

Les mutualisations sont très rarement évoquées. Seuls deux rapports en font état, dont celui d'octobre 2013 sur la CCI de Lorraine, qui mentionne ce point pour regretter que le groupe de travail sur les mutualisations des fonctions support, « pourtant essentiel compte tenu de la mise en oeuvre de la réforme, ne se soit réuni qu'une fois, le 17 mars 2011 ». Quant à la Chambre régionale des comptes d'Aquitaine-Poitou-Charentes, qui envisage la mutualisation sous l'angle d'un regroupement des CCI et des CMA, elle précise que celles-ci n'utilisent pas les possibilités de mutualisation offertes, même s'il existe une journée commune de l'économie en Aquitaine, ce qui constitue une version minimale de ces mutualisations.

Enfin, les schémas sectoriels sont particulièrement importants puisqu'ils doivent permettre à la CCI régionale de ventiler la ressource fiscale entre les CCIT qui lui sont rattachées. Or, si la plupart des CCIR ont adopté de tels schémas, ceux-ci ne permettent pas forcément pour autant une répartition rigoureuse et incontestable de la ressource.

Pour le reste, rappelons le poids de la gestion des infrastructures portuaires et aéroportuaires. À ce sujet, la Cour cite, dans le rapport public annuel 2015, l'exemple particulièrement coûteux 32 millions d'euros – du développement parallèle des aéroports de Dijon et Dôle, distants d'une cinquantaine de kilomètres seulement mais relevant de deux différentes régions.

J'en viens maintenant aux chambres de métiers et d'artisanat. Le paysage est très différent de celui des CCI, puisque la situation des comptes des CMA est globalement dégradée, en particulier outre-mer mais pas seulement. S'agissant de la CMA de Seine-Saint-Denis, la Chambre régionale des comptes d'Ile-de-France relève que le « solde budgétaire consolidé […] a été constamment déficitaire de 2010 à 2013. Ce résultat est lié au déficit structurel du centre de formation des apprentis (CFA) dont l'activité diminue lentement. » La CRC ajoute : « Les mauvais résultats du CFA en matière d'apprentissage résultent fortement du défaut de vision prospective et d'actions engagées à long terme. » Le même constat a été fait pour la CMA du Var qui, selon la Chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d'Azur, « se trouve dans une situation financière dégradée, le redressement opéré en 2012 restant à confirmer. » Les CFA connaissent un déficit chronique qui pèse sur les comptes de la CMA, laquelle dispose cependant de réserves.

Quant à la situation financière des CMA de Guadeloupe et de Martinique, elles sont dégradées, à tel point qu'en Martinique, c'est la pérennité même de la structure qui est en jeu.

Les centres de formation d'apprentis sont donc le principal problème actuel des CMA. Leurs capacités étant excédentaires par rapport au nombre d'apprentis réellement formés, les recettes sont en baisse alors que les coûts fixes demeurent. Du reste, ce n'est pas un hasard si la seule CMA contrôlée récemment par les CRC qui soit dans une bonne situation financière est celle de Paris, qui ne gère pas de CFA.

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