Intervention de Patrick Mennucci

Réunion du 2 juin 2015 à 15h45
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Mennucci, rapporteur :

Je tiens tout d'abord à remercier tous ceux qui ont participé à ce travail, ainsi que vous, monsieur le président, qui avez conduit les débats de manière habile et efficace.

La commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, créée par l'Assemblée nationale le 3 décembre 2014, avait pour mission de « procéder à l'analyse de l'efficacité des moyens de prévention, de détection et de surveillance des filières et des individus religieusement radicaux et présentant des signes manifestes de réalisation d'actes terroristes ». Il était également indiqué que « les travaux de la commission d'enquête comporteraient un volet spécifique relatif au retour des djihadistes sur le territoire de la République française » et que « ses conclusions devraient formuler des propositions pour renforcer la lutte contre ce phénomène ».

Dans le délai de six mois qui lui a été imparti pour travailler, la commission a été particulièrement active, procédant à un grand nombre d'auditions et à plusieurs déplacements en France et à l'étranger.

De ce matériau très riche, la commission a tout d'abord retiré un état des lieux, qui fait l'objet de la première partie du rapport.

Le constat est d'abord celui d'un danger très élevé et qui prend plusieurs formes puisque se cumulent la menace que font peser les organisations terroristes étrangères qui ciblent particulièrement la France, celle que représentent les individus partis rejoindre une zone de djihad et dont les intentions, à leur retour sur notre sol, sont insondables, et celle que constituent ceux qui, sans avoir fait de voyage « initiatique » sur un théâtre extérieur, se sont radicalisés en France – et parfois tout seuls.

Maintes fois rappelée, la variété des profils a été une source d'interrogations pour la commission. En effet, quel point commun trouver entre les terroristes au passé de délinquant qui ont endeuillé la France en janvier, et les jeunes gens, issus de tous les milieux, qui se laissent entraîner par Internet et les réseaux sociaux et dont on ignore l'évolution future ?

Le djihadisme procède tout à la fois d'une interprétation dévoyée de l'islam et d'une vision politique. Idéal « romantique » perverti et souvent associé à une quête identitaire, il se nourrit à la fois d'éléments proches – les humiliations dont seraient victimes les musulmans – et de préoccupations lointaines. En effet, les conflits internationaux au Moyen-Orient, mais aussi, il faut bien le dire, les difficultés pour les jeunes de percevoir les lignes directrices de notre politique étrangère des dix dernières années, constituent un terreau fertile pour ce phénomène.

La dimension antisémite est systématiquement présente, et, pour reprendre l'expression de l'une des personnes entendues par la commission d'enquête, « l'antisémitisme fait partie de l'ADN des djihadistes ».

Le dernier enseignement qui ressort des auditions menées par notre commission est le caractère durable de la menace. Aucune des personnes dont la commission a recueilli le témoignage n'a laissé entendre que le phénomène décroîtrait à brève échéance.

Les attentats de janvier dernier ont donné un relief particulier aux travaux de notre commission. Ils ont incontestablement accéléré la formulation de la réponse publique au défi posé par ces filières et ces individus djihadistes : ainsi, dès le 21 janvier 2015, le Gouvernement annonçait un plan de renforcement des moyens humains et matériels et, le 13 avril dernier, notre assemblée entamait l'examen du projet de loi sur le renseignement, répondant ainsi aux besoins très importants exprimés devant notre commission par tous les représentants des services auditionnés.

Le rapport prend acte de toutes les avancées réalisées durant les travaux de notre commission, mais il souligne la nécessité de renforcer durablement et à tous les niveaux les moyens de l'ensemble des acteurs – services du ministère de l'intérieur, services judiciaires en charge de l'antiterrorisme et administration pénitentiaire – et d'assurer un suivi des crédits dans le cadre des projets de loi de finances (PLF). Nous proposons ainsi la création d'un « jaune » dont on espère qu'il sera débattu dès l'examen du prochain PLF.

Une meilleure coordination de l'action des services de renseignement s'impose également dans le contexte d'une menace diffuse, nécessitant de porter une attention spécifique à la détection et au suivi des « signaux faibles ».

Le rapport fait état des avancées contenues dans le projet de loi relatif au renseignement et préconise des progrès en matière d'accès et de recoupements des fichiers. À titre d'exemple, est proposée la création d'une interface permettant un meilleur ciblage des recherches, sans pour autant ouvrir un accès direct à l'ensemble des fichiers.

Des propositions sont également formulées pour intensifier la lutte contre le financement du terrorisme, tant dans son volet international – un embargo contre ceux qui commercent avec Daech devant être mis en oeuvre –, que local avec la surveillance des micro-financements du terrorisme.

Le rapport aborde ensuite la question du retour des personnes parties rejoindre une zone de djihad.

Plusieurs propositions sont d'abord avancées pour améliorer leur détection : nous souhaitons que l'Union européenne (UE) avance sur les données des dossiers des passagers – ou Passenger Name Record (PNR) – et, à défaut, il conviendrait qu'existent des PNR bilatéraux. En outre, les contrôles aux frontières extérieures de l'espace Schengen doivent être renforcés, de même que doit se développer la confrontation du nom utilisé pour la réservation avec les documents d'identité présentés lors d'un embarquement dans un avion.

S'agissant du volet judiciaire, je rappelle que chaque fois que sont réunies des preuves suffisantes de l'implication de personnes revenant d'une période passée au sein d'une organisation terroriste, celles-ci sont remises aux mains de la justice.

Notre dispositif pénal de lutte contre le terrorisme, récemment complété par la loi du 13 novembre 2014, s'avère performant. Néanmoins, nous avons pu constater, au cours de nos travaux, l'impact de l'augmentation très importante du contentieux terroriste. Le rapport propose donc d'envisager, avec l'accord et sous le contrôle du parquet de Paris, la poursuite, l'instruction et le jugement d'infractions terroristes de faible gravité à l'échelle locale, en s'appuyant sur la compétence des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) à Lyon et à Marseille, qui viendraient appuyer l'action de celle de Paris.

Par ailleurs, des évolutions sont nécessaires en matière d'exécution des peines. Il s'agit en premier lieu du rétablissement de l'autorisation par le juge de l'application des peines des déplacements à l'étranger des personnes condamnées à un sursis avec mise à l'épreuve.

Je propose ensuite d'introduire un critère de risque de trouble à l'ordre public pouvant fonder le rejet des demandes d'aménagement de peine, puisque les dossiers présentés par les personnes impliquées dans des faits de terrorisme sont les plus solides.

Enfin, l'extension du champ d'application de la surveillance judiciaire à l'ensemble des infractions terroristes est souhaitable. Cela permettrait au tribunal de l'application des peines de soumettre la personne condamnée à certaines obligations de contrôle, de résidence et de placement sous une surveillance électronique mobile.

Compte tenu de l'ampleur et des caractéristiques du phénomène des filières djihadistes, la réponse sécuritaire, si elle est indispensable, ne saurait être suffisante. Une démarche complémentaire de lutte contre la radicalisation s'impose et celle-ci constitue le dernier axe du rapport.

Le plan de lutte contre la radicalisation dont la France s'est dotée en 2014 monte en puissance et doit être pleinement déployé à l'échelon local, afin de mettre en place des suivis individualisés des personnes radicalisées. À ce titre, la commission suggère de généraliser et de promouvoir les cellules départementales de prévention de la radicalisation, et de compléter leur action par l'institution d'un référent – un mentor – qui assurera le suivi de la personne radicalisée. Reprenant l'idée de notre collègue M. Christophe Cavard, le rapport propose également de créer un réseau régional de travailleurs sociaux référents, spécialement formés à la détection de la radicalisation ; l'objectif est de former 200 travailleurs sociaux, qui travailleront auprès des cellules de déradicalisation, dont le Premier ministre a annoncé la création.

Le rapport examine également la question de la radicalisation en prison. L'amélioration de la détection de la radicalisation constitue un préalable. À cette fin, le rapport propose d'adapter la grille nationale de détection aux nouveaux contours de la radicalisation, de former les personnels de surveillance et les partenaires intervenant en milieu carcéral, et d'utiliser l'évaluation du degré de radicalisation des détenus pour guider les choix en matière de gestion de la détention et de prise en charge de ces détenus.

Ensuite, il convient de prévenir la diffusion de la radicalisation en adaptant la détention. Ainsi, nous suggérons d'isoler individuellement les détenus radicalisés recruteurs et d'ouvrir une réflexion sur une adaptation du régime d'isolement, de créer des quartiers dédiés pour les autres détenus radicalisés, à l'exception des plus vulnérables, et de mettre en oeuvre une prise en charge différenciée des détenus radicalisés selon leur profil, adapté notamment à l'état psychologique des personnes de retour d'une zone de djihad.

Par ailleurs, nous souhaitons améliorer les conditions de la pratique de la religion musulmane en prison – même si ce lieu est laïc – en remédiant à la forte pénurie d'aumôniers musulmans, en dotant les aumôniers pénitentiaires d'un véritable statut et en améliorant leur formation. Il serait opportun que, d'ici à cinq ans, tous les aumôniers intervenant en prison soient titulaires d'un diplôme universitaire de formation civile et civique.

Le rapport insiste ensuite sur la nécessité d'accentuer la lutte contre la propagande djihadiste à travers un contre-discours renouvelé, puisque nous constatons que, malgré la médiatisation intense de la barbarie de Daech et la politique de prévention mise en place, les candidats ne semblent pas découragés de rejoindre cette organisation.

De même, la commission a souligné le rôle que la recherche en France doit jouer pour mieux connaître les phénomènes de radicalisation. Elle a ainsi jugé nécessaire d'encourager la réflexion universitaire sur la religion musulmane et sur les phénomènes de radicalisation, afin de pallier le grand manque existant sur ces questions.

Tels sont les principaux axes autour desquels notre commission s'est efforcée d'élaborer des propositions concrètes, dans un climat consensuel et avec le souci d'apporter sa pierre à la construction d'une réponse publique pertinente aux problèmes soulevés par le phénomène djihadiste.

Je vous propose que le titre du rapport soit : « Face à la menace djihadiste, la République mobilisée ».

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