Intervention de Jean-Paul Delahaye

Réunion du 5 décembre 2012 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Paul Delahaye, directeur général de l'enseignement scolaire au ministère de l'éducation nationale :

Je m'inscrirai dans la parfaite continuité des propos tenus par les précédents orateurs, car je partage leur constat ainsi que nombre des orientations qu'ils préconisent. Je me contenterai donc d'apporter certains compléments en abordant ces questions sous l'angle pédagogique.

Nos propres études confirment – et c'est heureux – les résultats des évaluations internationales, comme l'étude PIRLS – Progress in International Reading Literacy Study –, qui permet de mesurer les performances des élèves en lecture dès la fin de la quatrième année de scolarité obligatoire, c'est-à-dire en fin de CM1 pour la France. Elle montre une surreprésentation de nos élèves dans la catégorie des élèves en difficulté et, inversement, une sous-représentation des élèves qui s'en sortent mieux. Plus inquiétant, elle révèle que les écarts tendent à se creuser. Mais sur le plan pédagogique, il est intéressant de constater, grâce à de telles évaluations, que les élèves français sont toujours les plus nombreux à s'abstenir de répondre quand les questions appellent des réponses rédigées, et aussi les plus nombreux à ne pas terminer les épreuves. L'étude PISA, quant à elle, révèle qu'ils osent moins facilement répondre quand ils hésitent sur la réponse à donner. Cela signifie que notre système éducatif considère l'erreur commise comme une « faute » qu'il faut sanctionner, plutôt que comme le signe permettant de détecter les difficultés et d'aider l'élève à progresser. Les petits Finlandais, eux, n'hésitent pas à répondre, même lorsqu'ils ne sont pas sûrs que leur réponse soit juste.

D'autre part, il est exact que nous consacrons davantage de moyens au second degré qu'au premier degré. C'est ce qu'illustre le taux d'encadrement dans l'école primaire, qui est en France de 18,7 élèves par enseignant, soit, après le Royaume-Uni – qui est à 19,8 –, l'un des plus faibles des pays de l'OCDE, où l'on compte 15,9 élèves par enseignant en moyenne. Ce taux ne doit pas être confondu avec le nombre d'élèves par classe, car il existe plus de professeurs que de classes.

Quant au taux de redoublement, même si un travail important a été accompli ces dernières années pour le faire baisser, il reste encore élevé par rapport à d'autres pays comparables : 3,4 % en cours préparatoire et 4 % en CE1.

Cela posé, comment traduire concrètement la priorité qu'il faut donner à l'école primaire ?

Tout d'abord, les chiffres que je viens de rappeler en matière d'encadrement tendent à indiquer que des moyens supplémentaires seront nécessaires, même s'ils ne suffiront pas – à cet égard, je suis d'accord avec mes prédécesseurs. En outre, le poids que représente l'éducation dans le budget national nous donne une grande responsabilité : il conviendra d'utiliser ces nouvelles ressources de la meilleure façon possible.

Ensuite, il convient de mieux inscrire la scolarité du premier degré dans une continuité, de la maternelle jusqu'au collège en passant par l'école élémentaire. Or, même si l'organisation en cycles d'enseignements a été inscrite dans la loi en 1989 puis confirmée en 2005, nous ne parvenons pas à la faire entrer en application. Un gros travail d'accompagnement des enseignants, de formation, de conseil reste à accomplir pour donner à ces cycles une existence concrète.

En tout état de cause, la loi d'orientation et de programmation en cours de préparation confirmera que l'acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture est, pour la nation, ce qui donne tout leur sens aux premières années de la scolarité obligatoire. Il faut donc concevoir des programmes en parfaite articulation avec les éléments de ce socle. Et pour assurer la continuité de l'enseignement entre l'école élémentaire et le collège, la loi fera obligation de mener des actions pédagogiques communes et complémentaires entre les deux niveaux, en prévoyant à cet effet l'institution d'un conseil école-collège. L'objectif est d'améliorer la fluidité des parcours et la progressivité des apprentissages.

J'en viens à l'école maternelle, dans laquelle est accueillie la quasi-totalité d'une classe d'âge à partir de trois ans. Je nuancerai le propos d'Éric Charbonnier : cette école fonctionne bien en termes d'accueil mais, malgré les efforts des personnels, elle perd peu à peu le sens de sa mission, qui a besoin d'une redéfinition. Plusieurs rapports de l'inspection générale ont donné l'alerte sur ce point : nous avons une tendance culturelle à « primariser » l'école maternelle – en particulier au cours de la dernière année, celle de la grande section –, à anticiper les apprentissages alors qu'il faudrait, au contraire, les rendre beaucoup plus progressifs. Ce faisant, on exerce très précocement une pression presque insupportable sur certains élèves, on les met en difficulté, puis, très vite, on les identifie comme élèves en difficulté. Or nous ne savons pas, dans notre pays, réparer les difficultés ni compenser l'impact des inégalités sociales sur le parcours scolaire, de sorte que l'on ne parvient jamais à rétablir la situation de ces élèves.

On observe également une perte de professionnalisme chez certains maîtres, qui n'ont pas été préparés à l'enseignement en maternelle. Cette école a une identité propre, elle correspond à un type de scolarisation particulier. Il faut donc apprendre à y enseigner, ce que l'on ne fait plus dans notre pays, en formation initiale comme en formation continue. Notre école maternelle a très longtemps été un modèle ; elle l'est encore, grâce au dévouement de son personnel, mais il existe des signaux d'alarme qu'il ne faut pas négliger.

D'autre part, si la scolarisation à trois ans est satisfaisante, il n'en est pas de même pour les enfants de moins de trois ans, dont le taux de scolarisation est passé de plus de 35 % au début des années 2000 à 11 % aujourd'hui. Il convient d'inverser la tendance. Une partie des moyens supplémentaires dont bénéficie l'éducation nationale sera d'ailleurs consacrée à cet objectif, en ciblant plus particulièrement les écoles situées dans un environnement social défavorisé, c'est-à-dire dans les zones d'éducation prioritaire, mais aussi, par exemple, dans les zones rurales isolées. L'enjeu de la scolarisation précoce est en effet plus important dans ces parties du territoire.

L'entreprise risque cependant de se heurter à des difficultés. Se posera d'abord la question des moyens, en particulier dans des zones comme la Seine-Saint-Denis où l'on partira d'un taux de scolarisation très bas – inférieur à 1 %. Mais il y a autre chose : cette offre de scolarisation précoce ne rencontre pas toujours la demande des parents, notamment dans les milieux défavorisés. Il faudra donc susciter cette demande en allant à la rencontre des familles pour leur démontrer qu'une scolarisation avant l'âge de trois ans est facteur de réussite pour l'enfant.

Nous réfléchissons aussi à la meilleure manière d'accueillir ces jeunes enfants, car on ne peut le faire dans n'importe quelles conditions. Cela nécessite une formation spécifique des enseignants, des locaux et des équipements adaptés, et aussi une certaine souplesse dans l'organisation car on n'accueille pas un enfant de moins de trois ans comme on le fait d'un enfant de CP ou de CM2. Certains moments de la journée, voire certaines périodes de l'année peuvent par exemple être plus propices que d'autres pour organiser cet accueil…

Enfin, le dispositif « plus de maîtres que de classes » est un autre exemple de dispositif destiné à améliorer les résultats de notre école. Là encore, des moyens financiers spécifiques y seront consacrés, mais pas dans n'importe quelles conditions, et pas partout : la volonté est clairement affichée de concentrer la dépense là où elle sera plus efficace.

Un maître de plus, dans une école, facilitera l'identification des élèves en difficulté et permettra de mieux leur venir en aide. En intervenant plus particulièrement au tout début de la scolarité élémentaire, il contribuera à faire évoluer les pratiques pédagogiques pour agir au plus près des élèves concernés. Il ne s'agira pas d'un coordonnateur comme en sont utilement dotés les établissements du programme ÉCLAIR – écoles, collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite –, où ils sont chargés d'élaborer des projets et de nouer des contacts avec les différents partenaires de l'école. Ce sera un professionnel aguerri, volontaire, recruté sur profil – on ne peut affecter un maître de plus dans ces écoles simplement au barème, car il devra disposer de compétences avérées ; un maître soumis aux mêmes obligations de service que ses collègues, et investi de la même dignité. Il ne s'agira donc pas d'un factotum ! Ainsi, dans une école comptant dix classes, on ne parlera pas de « dix maîtres plus un », mais bien de onze.

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