Je connais personnellement l'auteur de l'ouvrage, Le retour des djihadistes. Il s'agit de Patrick Cockburn, un ami de longue date.
Je vous apporterai une réponse globale. Vous avez bien voulu rappeler que l'ensemble de ma carrière journalistique s'était déroulée quasiment uniquement au Moyen-Orient. Or les évènements qui ont ensanglanté et frappé la France en janvier dernier sont appréhendés de façon un peu différente par les journalistes qui couvrent le Moyen-Orient.
Ce qui s'y déroule actuellement est une grande guerre très compliquée, qui oppose différents blocs d'alliances. Ces alliances sont parfois mouvantes. Mais, bien que complexe, la situation n'est pas totalement illogique, et l'utilisation du mot « chaos » par les médias n'est pas adaptée. Tous les participants ont une position cohérente.
J'imagine que vous avez suivi les grands évènements qui ont secoué la région ces dernières années. Parmi eux, la guerre civile syrienne est le plus important, le plus récent et celui qui a entraîné le plus de conséquences pour l'Europe occidentale. Mais il y a déjà plus de dix ans, l'invasion de l'Irak avait eu des conséquences qui se font encore sentir aujourd'hui : une sorte de grande guerre froide – ou du moins de guerre par alliés interposés – opposant un bloc de pays arabes sunnites autour de l'Arabie saoudite, à un axe chiite passant par l'Iran, pays musulman chiite mais non arabe. Dans cette grande guerre régionale, les acteurs s'alignent selon des courants et des blocs. Si l'on n'a pas à l'esprit cette dimension régionale, on saisit mal le problème et on a du mal à imaginer des solutions.
Par ses méthodes, l'État islamique est une organisation terroriste. Mais elle possède d'autres caractéristiques.
C'est une organisation révolutionnaire, qui partage certains aspects avec le mouvement bolchévique, dans les années qui ont suivi la Révolution russe : une vocation internationaliste ; un volet militaire ; un pouvoir d'attraction en partie comparable à celui du bolchévisme. En 1917, celui qui était mû par des aspirations un peu nihilistes et eschatologiques rejoignait le parti communiste ou des mouvements bolchéviques révolutionnaires ; en 2015, il rejoint l'État islamique.
L'État islamique a cette dimension régionale, dont je viens de parler. Il bénéficie d'un certain soutien ou en tout cas d'une certaine tolérance de la part des populations d'Irak et de Syrie, face au régime de Bagdad et de Damas jugés – à juste titre d'ailleurs – comme oppresseurs. Par ailleurs, les puissances régionales le considèrent comme un moindre mal. L'Arabie saoudite et la Turquie le voient comme un barrage, ou du moins un pion à utiliser contre les menées expansionnistes de l'Iran.
Voilà à peu près le contexte international dans lequel se situe le phénomène. Mon expertise est un peu plus limitée en ce qui concerne la France. Comme vous le savez, pour des raisons professionnelles, depuis une quinzaine d'années, j'ai surtout vécu et travaillé à l'étranger.