L'évaluation est pour moi essentielle. C'est pourquoi la future loi devrait poser que le Parlement débattra chaque année de l'évolution de la grande difficulté scolaire, ainsi que des mesures mises en oeuvre pour y porter remède ou des expérimentations qui pourraient être menées sur le sujet. Cette évolution est mesurable à partir d'indicateurs tels que le taux d'élèves sortant du système scolaire sans qualification. En outre, la France a la chance de disposer, grâce à l'excellente direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance, la DEPP, d'études qui n'ont rien à envier en rigueur et en précision aux études internationales les plus réputées. Il y a donc du grain à moudre, en particulier pour vous.
Il faut également s'interroger sur la conduite du changement. On ne réformera pas notre système scolaire d'en haut, à coups de lois et de circulaires. Comme vous l'avez souligné, la concertation a permis de « réaligner les astres » en mettant un certain nombre d'acteurs autour de la table. De plus, la nomination d'un homme de terrain à la tête de la DGESCO est un très bon signe.
S'agissant de la formation, il y a un travail considérable à accomplir pour se doter des outils nécessaires au développement et à l'amélioration des compétences prédictives de la lecture, ou à l'individualisation des gestes. Il faut apprendre aux enseignants qui ne savent pas le faire comment détecter et aider les élèves en difficulté, comment faire travailler les élèves en groupes restreints, comment faire travailler une partie de la classe en autonomie, etc. Mais, la progression d'un élève se mesurant au moins à l'échelle d'un cycle, il faut aussi se préoccuper du suivi des enfants. Or le nombre des conseillers pédagogiques a été divisé par deux en dix ans, alors qu'ils constituent un maillon essentiel.
Vous avez également évoqué le problème lancinant du statut du directeur d'école. Je me méfie, pour ma part, d'une réforme qui conduirait à créer des emplois non enseignants dans les écoles, alors que c'est le personnel enseignant qui est la clé de la réussite. À cet égard, j'approuve totalement l'objectif « plus de maîtres que de classes » dans les écoles primaires, ou du moins dans certaines d'entre elles, même si cette alliance de l'Institut Montaigne et du Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et professeurs d'enseignement général de collège (SNUIPP) peut surprendre !
Les protocoles expérimentaux que nous avons étudiés, PARLER par exemple, montrent qu'il ne saurait y avoir d'explication « monocausale » ni de recette – a fortiori de recette miracle. Il faut donc agir sur plusieurs leviers : les rythmes scolaires, le rôle des parents, la place du sport, etc. On ne saurait en particulier trop insister sur l'importance du « non cognitif », qu'il s'agisse de la pratique sportive ou de la pratique musicale : Pierre Cahuc et Yann Algan, « économistes de la confiance », ont démontré son rôle essentiel pour nourrir la confiance en soi et en son environnement.
On ne peut parler de recherches qu'à propos de travaux soumis à évaluation mais, en sciences de l'éducation, nous disposons de quelques organismes qui en conduisent de grande qualité : ainsi, outre la DEPP déjà citée, l'Institut de recherche sur l'économie de l'éducation, l'IRÉDU, de Dijon, ou encore l'École d'économie de Paris, où l'on trouve certains des meilleurs spécialistes mondiaux du sujet, comme Marc Gurgand et Esther Duflo. Mais j'insiste sur la nécessité d'évaluer le plus soigneusement possible les résultats de cette recherche avant d'en faire des outils aux mains des maîtres. Négliger ce point, ce serait un peu comme diffuser des médicaments qui n'auraient pas été testés selon des protocoles rigoureux.
Il me semble à moi aussi que les concours de recrutement font une part excessive aux compétences académiques. Je fais confiance à notre système universitaire et j'estime qu'il y a une forme de redondance à évaluer les compétences cognitives de candidats déjà arrivés au niveau du master. Le recrutement des enseignants doit s'attacher à bien d'autres critères, tels que la vocation ou la capacité à interagir avec les élèves.
Vous me permettrez de conclure par un brin de provocation : j'ai du mal à comprendre pourquoi un agrégé est mieux payé qu'un professeur des écoles. On n'attirera pas à l'enseignement les meilleurs des « bac + 5 » avec des rémunérations de « pied de grille » aussi faibles et aussi éloignées de celles qu'un diplômé de ce niveau peut légitimement s'attendre à trouver sur le marché du travail. Sur le long terme, c'est cela qui « tuera » le système.