Comme j'ai l'habitude de ne jamais me substituer à un professionnel, j'ai demandé à ma collègue Sophie Da Pozzo, chef de groupe à la DGSI, qui traite notamment les individus de retour du djihad, de m'accompagner afin d'éclairer la commission d'enquête sur les questions pointues qui pourront être posées.
La menace à laquelle nous sommes confrontés est nouvelle par son ampleur, son aspect protéiforme et du fait de la très grande porosité – et qui ira croissant – entre l'islamo-banditisme et les filières djihadistes, entre des voyous relevant de la criminalité organisée et des fondamentalistes plus ou moins sincères dans leurs convictions.
La situation fait éclater au grand jour les difficultés que nous rencontrons depuis des années, tant dans le domaine du renseignement que dans le domaine judiciaire : arsenal juridique inadapté, obtention de renseignements et accès aux fichiers rendus difficiles à cause de cette peur très française que la police, tel Big Brother, pourrait vérifier, en croisant les fichiers, ce que chacun prend comme médicaments. Or nous en sommes loin puisque, comme l'a rappelé Jean-Paul Mégret, nous ne pouvons même pas savoir combien il y a d'individus dans un immeuble.
Nous sommes peut-être le seul pays d'Europe où des femmes peuvent partir faire le djihad en Syrie, revenir déclarer une grossesse ou une naissance à la caisse d'allocations familiale, puis repartir pour la Syrie. Nous sommes vraiment très en retard en matière de croisement de fichiers, de nouvelles technologies, même si l'on sait bien que la technologie a toujours de l'avance sur le travail de la police. Ainsi certaines applications comme Viber ou WhatsApp sont-elles inécoutables et intranscriptibles et que des individus qui conversent via ces messageries ne peuvent être ni suivis ni écoutés.
Il faut instaurer un référent dans les commissariats car on ne peut plus tolérer ces « guéguerres », chaque service dit spécialisé ayant un tel sentiment d'appropriation qu'il ne désire rien partager avec personne. Compte tenu de l'ampleur de la menace, il faudra donc avoir des correspondants dans les brigades de gendarmeries et dans chaque commissariat. Une partie du travail devra peut-être être déléguée à la sécurité publique puisque, on l'a évoqué, la formation des personnels qui vont être recrutés mettra du temps. En attendant, des blocages peuvent être levés comme l'accès aux fichiers, le renforcement des moyens – nous avons des pistes concernant la saisie et l'exploitation des biens et avoirs criminels, procédés qui semblent simples ailleurs mais très compliqués en France.
Il convient également de réduire la discordance entre les services de renseignement et les services judiciaires, ceux-ci pouvant plus facilement mener certaines actions comme la sonorisation de véhicules, la pose de balises. Selon une décision très récente de la Cour de cassation, écouter deux personnes mises en garde à vue est déloyal et n'a pas à entrer dans le cadre d'une procédure – or, si vous vous trouvez au milieu de deux ou trois voyous dans une cellule de garde à vue, vous ne pouvez pas vous dire autre chose que ce que vous vous diriez dans un véhicule ou un appartement que nous aurions sonorisé.
Nous payons le prix des obstacles mis sur notre route par la CNIL, par tous ces gens qui vivent hors sol. À mon avis, malheureusement, nous en paierons à nouveau le prix dans les semaines ou les mois qui viennent. On ne pourra pas dire que nous n'aurons pas prévenu. Jusqu'à présent, nous prêchions dans le désert puisque ces questions restaient dans la sphère policière. De votre côté, vous pouvez, par une modification de la législation, faciliter notre travail en ce qui concerne, par exemple, les réquisitions auprès des grands opérateurs de téléphonie avec lesquels nous avons d'importantes difficultés et qui facturent à des prix prohibitifs des opérations qui ne leur coûtent rien ; vous mettriez ainsi de l'huile dans les rouages et feriez en sorte que nous soyons mieux protégés.