En préambule, je souhaite repartir de la réalité et récuser le cliché qui fait de la prison une fabrique de terroristes. Le rôle de la prison doit évidemment être examiné. Mais l'assimilation entre radicalisation et prison est par trop réductrice, d'autant que la radicalisation s'opère le plus souvent avant la prison et surtout après. Les établissements pénitentiaires présentent d'abord l'inconvénient de permettre aux gens de se rencontrer.
Depuis une quinzaine d'années, nous avons commencé à détecter une forme de radicalité liée à l'islam. Grâce à des signes ostentatoires – conversion à l'islam, changement physique avec l'apparition de la barbe et le port de vêtements traditionnels, parfois prières collectives –, les personnes étaient identifiées très rapidement.
Nous avons ainsi appréhendé le phénomène sans avoir conscience de ses conséquences sur le territoire. L'administration pénitentiaire n'en a pas pris la mesure. Les événements récents doivent nous conduire à mettre à profit le temps passé en prison pour améliorer la détection de personnes susceptibles d'emprunter la voie terroriste.
Le parcours d'individus comme Mohamed Merah, Medhi Nemmouche, les frères Kouachi ou Amedy Coulibaly montre rétrospectivement combien il est difficile de repérer les signes annonciateurs de dérives – avec des parcours similaires et, face à des situations identiques, tous les individus ne deviennent pas terroristes.
Nous continuons à transmettre des renseignements aux services nationaux, mais aussi aux services du renseignement intérieur, souvent départementaux, avec lesquels la proximité est grande, surtout en région parisienne.
Notre expérience dans les établissements pénitentiaires nous amène à distinguer trois catégories. La première est constituée par les religieux fondamentalistes, parfois radicaux, parfois avec une tendance djihadiste : dans ce premier cercle, on trouve également les personnes qui se sont rendues en Syrie ou au Yémen, et qui sont parfois des hommes de main des premiers. Le deuxième cercle est celui des personnes proches de la délinquance organisée, qui ne sont pas toujours musulmanes et qui, parfois, vont servir les intérêts de la première catégorie. La dernière catégorie, pour laquelle les marges de manoeuvre de l'administration pénitentiaire dans la mise en place de programmes de déradicalisation – le terme, il est vrai, est un peu barbare – sont les plus importantes, est formée des publics fragiles, déstructurés, parfois isolés, en perdition, qu'un discours et des méthodes sectaires peuvent faire basculer du mauvais côté de la barrière. C'est envers ces publics que la vigilance de l'administration doit s'exercer particulièrement.
L'expérimentation en cours à Fresnes, qui a fait couler beaucoup d'encre, a été décidée par le chef d'établissement bien avant les attentats. Il faut, à ce propos, se demander s'il est pertinent de rassembler dans un même lieu des personnes faisant du prosélytisme. En l'occurrence, il s'agissait, en empêchant celles-ci de s'y livrer, de diminuer la pression dans l'établissement. C'est ce qui s'est passé. Après quelques semaines, on a pu observer une évolution dans la vie quotidienne de la prison : des posters – femmes dénudées, belles voitures – sont réapparus, certains détenus ont recommencé à manger de la viande qui n'était pas halal ou du porc, autant de signes que le contrôle social n'était plus exercé.
Il ne s'agit pas de stigmatiser la religion musulmane dans les établissements pénitentiaires, mais de faciliter l'exercice du culte, soulagé de la pression de personnes plus radicalisées qui viennent contrecarrer le travail des aumôniers.
Malgré la proportion importante de détenus de confession musulmane, les moyens mis en oeuvre pour accompagner cette religion n'ont pas été suffisants.
Le seul regroupement des prosélytes a eu pour effet d'apaiser la détention et de permettre la mise en place des programmes de prise en charge selon les publics.
On ne pourra pas « défondamentaliser » une personne très ancrée dans sa religion. En revanche, une prise en charge particulière doit être organisée pour ceux qui se sont rendus en Syrie, au Pakistan ou au Yémen – on sait combien l'expérience et ses suites peuvent être dures à vivre. À cet égard, un parallèle pourrait sans doute être établi avec les militaires de retour de théâtres d'opérations pour lesquels un accompagnement s'avère parfois indispensable. Ces personnes peuvent être prises en charge dans les établissements pénitentiaires, puisqu'elles y sont le plus souvent incarcérées à leur retour.
Il faut également proposer des programmes, qui restent à déterminer car aujourd'hui personne ne connaît la recette, aux personnes appartenant à la troisième catégorie que j'ai mentionnée, afin de les soustraire à l'emprise du fondamentalisme.
Je le redis, la prison n'est pas synonyme de radicalisation. Pour alerter sur ce phénomène, il faut, dès l'école, s'adresser à toutes les couches de la population.
Quand les personnes arrivent en prison, nous ne pouvons pas toujours repérer qu'elles risquent de commettre des actes graves. Lors de sa première incarcération, Amedy Coulibaly n'a jamais été identifié par l'administration pénitentiaire comme terroriste potentiel – il s'est fait remarquer par un reportage interdit dénonçant les conditions de détention, qu'il a réalisé avec son téléphone et vendu à un média. Lors de sa deuxième incarcération, il est signalé au service de renseignement intérieur, mais n'est pas considéré comme possible auteur d'actes très graves.
Depuis plusieurs années, nous réclamons un renforcement du service de renseignement pénitentiaire, qui semble désormais à l'ordre du jour. Aujourd'hui, de nombreuses personnes qui fournissent des renseignements exercent d'autres fonctions au sein de l'établissement. Parallèlement, la déperdition d'information est forte.
Le service du renseignement pénitentiaire a été créé en 2003 pour travailler sur le grand banditisme. Avec les évolutions qu'a connues notre société, le service s'est étoffé et ses missions ont été étendues à la lutte contre le terrorisme.
Dans la réorganisation en cours de l'administration pénitentiaire, concomitante au déménagement de certaines directions du ministère de la justice à Aubervilliers, le choix a été fait de supprimer l'état-major de sécurité. De notre point de vue, ce choix est une erreur. Le fait de disséminer la sécurité au sein de plusieurs directions risque de diluer cette mission. Si tout le monde fait de la sécurité, plus personne n'en fait… La disparition de l'état-major de sécurité risque de poser problème à terme.