Il faut faire preuve de modestie : nous ne faisons que commencer et n'avons pas vraiment d'expériences de déradicalisation ou de désendoctrinement. Nous étudions les procédures mises au point par les Britanniques, qui n'hésitent pas à travailler avec d'anciens terroristes pour établir un contre-discours à destination des détenus radicalisés. La doctrine de désendoctrinement reste à élaborer et nous souhaitons la mettre au point le plus rapidement possible.
Nous avons la conviction qu'il ne s'agit pas uniquement d'un problème psychologique qui s'apparenterait à l'adhésion sectaire. La question du culte se pose également et cela suppose de nous entourer d'aumôniers à même de répondre sur le terrain religieux aux détenus sous l'emprise des discours salafistes. L'administration pénitentiaire n'a pas la capacité de tenir de contre-discours en ce domaine.
Nous avons passé un marché avec l'Association française des victimes du terrorisme qui participe au programme européen RAN – Radicalisation Awareness Network. Elle dispose d'un réseau d'interlocuteurs en Europe qui nous permettra d'aider à construire les programmes de désendoctrinement.
Il nous faut également mener un travail de prévention afin de prendre en compte les détenus les plus vulnérables, susceptibles d'être rapidement influencés par des discours simplistes sur la vie en société et la géopolitique.
Vous m'interrogez sur l'isolement, monsieur Pueyo. Aujourd'hui, une vingtaine dedétenus liés à l'islam radical ont été placés dans des quartiers d'isolement au sens juridique du terme. C'est une proportion modérée au regard du total de 172 et qui recouvre des flux changeants puisque le régime de l'isolement n'est pas pérenne : il doit être renouvelé et reposer sur des éléments objectifs.
La réglementation actuelle est-elle suffisante ? Oui, car les quartiers dédiés et les quartiers d'isolement ne renvoient pas aux mêmes cas. L'isolement stricto sensu doit être réservé à des détenus qui posent de véritables problèmes de dangerosité pénitentiaire. C'est la raison pour laquelle la réglementation est exigeante et que nous devons nous aussi être exigeants quant au respect de cette réglementation. Les quartiers dédiés sont appelés à se développer. Le regroupement de Fresnes a été décidé en fonction de données objectives – la nature des faits pour lesquels les détenus ont fait l'objet de poursuites judiciaires et leur comportement en détention. Nous devons toutefois affiner ces critères pour déterminer quels détenus peuvent être regroupés et lesquels ne le peuvent pas.
Ces quartiers dédiés n'entendent pas reproduire les quartiers d'isolement. Nous nous interrogeons sur le caractère systématique à donner à l'encellulement individuel, qui n'a pas été retenu dans tous les cas à Fresnes. Notre projet est de regrouper des détenus dans certaines parties de l'établissement sans pour autant leur appliquer un régime de détention spécifique. Ils feront toutefois l'objet d'une attention spéciale lors des moments où ils côtoient d'autres détenus – cours de promenade, sports collectifs à l'extérieur –, qui présentent toujours des risques car la surveillance de proximité n'est pas nécessairement très forte. Aujourd'hui à Fresnes, les 23 détenus faisant l'objet d'un regroupement sortent en promenade ensemble et pratiquent le sport à l'extérieur ensemble mais sont mélangés avec les autres détenus en petit nombre pour les autres activités.
Il faut à la fois préserver le reste de la détention des activités de prosélytisme, veiller à ne pas auto-alimenter le radicalisme en faisant vivre en permanence ensemble les détenus regroupés, et faire en sorte qu'ils soient l'objet d'une observation permanente, voire soient isolés les uns des autres lorsque c'est nécessaire. Nous devons donc couper ces détenus du reste de la détention dans la vie quotidienne et renforcer l'encadrement par le personnel de surveillance.