Intervention de Dounia Bouzar

Réunion du 12 février 2015 à 8h30
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Dounia Bouzar, directrice générale du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l'islam :

Cette idéologie totalitaire n'est absolument pas assimilable aux sectes, dont le projet n'est pas nécessairement la purification du groupe ni l'extermination du reste du monde. Nous sommes plus proches ici de l'idéologie nazie, et c'est la raison pour laquelle je distingue ce radicalisme de l'islamisme. Les Frères musulmans mêlent politique et religion, et considèrent certes que le Coran a réponse à tout, mais ils conservent un semblant de projet politique, fondé sur l'utopie de la religion comme forme de gouvernement. Ici, on ne peut pas parler de projet politique, à moins de considérer comme tel la régénération du groupe et l'extermination du reste du monde.

Je ne parlerais pas pour ma part de conflit de culture car tout le processus ici mis en oeuvre consiste à couper les jeunes de la culture arabo-musulmane et à leur fournir un « kit à croire », au nom du principe selon lequel moins on en sait, mieux on croit. J'admets cependant volontiers que l'on dépasse largement la dérive sectaire. C'est la raison pour laquelle je ne parle guère de secte mais d'utilisation des techniques de dérive sectaire.

Je ne les ai pas détaillés mais, parmi les cinq mythes qui permettent l'identification du jeune et son embrigadement dans le djihad, se trouve d'abord le mythe de Zeus, c'est-à-dire, le mythe de la toute-puissance qui permet d'avoir tout contrôle sur les hommes. Il agit sur des jeunes qui, comme les frères Kouachi ou Mohammed Merah, n'ont jamais, dans leur enfance, intégré les limites posées par la vie en société et offrent un profil de délinquant.

Est également opérant le modèle du « Call of Duty », propre à toucher des jeunes ayant postulé pour l'armée mais ayant été décelés défaillants et qui, en mal d'adrénaline, voient dans le djihad un moyen d'accomplir leur propre guerre, en intégrant une communauté d'hommes.

Pour en revenir à notre organisation, j'ai fondé à l'origine ma société d'expertise sur la laïcité. Je n'avais pas dans un premier temps envisagé de créer le CPDSI qui est né de la multiplication des appels de familles me contactant au sujet de leurs enfants. Si j'ai eu une longueur d'avance sur les pouvoirs publics, c'est que je travaille depuis longtemps à propos de l'islam sur la manière de placer le curseur entre radicalisme et liberté de conscience. Je dénonce depuis dix ans les comportements radicaux validés au nom du respect de l'islam. Pourquoi ne pas porter plainte contre les hommes qui refusent de serrer la main des femmes et s'acharner, lâchement, sur les mamans traditionnelles qui portent le foulard ? Je condamne le laxisme dont on a fait preuve envers les intégristes, qui gagnent chaque jour du terrain dans leur redéfinition de l'islam – le niqab, auquel je suis opposée, en est l'un des meilleurs exemples – et finissent par convaincre les musulmans comme les non musulmans que les pratiques qu'ils préconisent sont une transcription au pied de la lettre des principes de l'islam. On comprend dans ces conditions qu'il soit de plus en plus difficile pour certains musulmans de se positionner par rapport à la religion, tant leurs repères sont brouillés.

À la suite des contacts établis entre les familles dont nous nous occupons et le Gouvernement, nous avons été mandatés, début septembre, par les pouvoirs publics pour lutter contre l'embrigadement. Le CPDSI est subventionné par le ministère de l'intérieur, qui finance ses missions de recherche comme ses actions de prévention. J'y travaille à trois quarts de temps, ainsi que trois autres salariés à temps plein. Ce n'est pas un travail facile. Nous figurons dans la prochaine vidéo d'Omar Omsen, qui nous a identifiés comme ceux qui empêchent la « chair fraîche » d'arriver jusqu'à lui. Je bénéficie pour ma part d'une protection bienvenue.

Nous sommes rattachés par convention à la MIVILUDES et au CIPD, manière de nous institutionnaliser et de nous légitimer. J'ai pu, par exemple, transmettre à la MIVILUDES, le cas de familles aux prises avec des sectes musulmanes non violentes, qui sortent a priori de notre champ d'intervention et de compétences. De même, la MIVILUDES peut ester en justice, ce qui n'est pas notre cas.

Quant aux formations, elles ont été organisées par le CIPD à l'instigation de Pierre N'Gahane. Elles ont débuté en mai, à Paris, le plus souvent au Centre des Hautes Études du ministère de l'intérieur (CHEMI) et ont été ouvertes d'abord aux préfets qui formaient leurs cellules de crise, c'est-à-dire aux chefs de cabinet et aux personnes intervenant au stade du diagnostic dans le cadre du numéro vert – puisque le numéro vert renvoie vers les préfectures. Nous avons ensuite formé les équipes éducatives et les psychologues qui assurent, aux côtés de la police, au sein de chaque cellule de crise, la prise en charge des jeunes diagnostiqués. Nous sommes quatre instances à assurer ces formations : le CPDSI, qui intervient sur les processus d'embrigadement, notamment au travers des messages vidéo, le Bureau des cultes, qui intervient sur l'islam, la MIVILUDES qui traite de l'emprise mentale et l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT), chargée de l'organisation des filières. En plus des fonctionnaires affectés aux cellules de crise, nous avons également formé des travailleurs sociaux. Ces derniers en effet doivent modifier leur grille de lecture, car beaucoup ont tendance à confondre liberté de conscience et conscience capturée. Mais tout ceci évolue vite.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion