Comme je l'avais annoncé, je n'ai pas voulu entrer dans l'analyse de ce que j'ai appelé par commodité la communauté musulmane de France, mais celle-ci n'existe évidemment pas. Il y a des citoyens de différents statuts, et je préfère, moi aussi, parler de citoyens français de confession musulmane, puisque notre République n'est nullement communautaire.
Le chiffre peut être discuté à l'infini. La présence des musulmans en France est en tout cas importante. « Le musulman de France » : là aussi, on peut se demander qui est ce personnage. C'est une erreur de qualifier les personnes concernées autrement que de citoyens ou de résidents, car la République n'est pas religieuse et la laïcité incite à considérer les gens pour ce qu'ils sont devant la loi, abstraction faite de leur identité religieuse. Il faut absolument éviter ce dérapage. Je le répète, je ne m'y suis pas attaché car ce n'était pas le sujet, mais vous avez parfaitement raison : il n'y a que des citoyens, à eux d'assumer leur citoyenneté. Le terme de « musulmans » est faux, trompeur et source de malentendus. Mais nous l'employons depuis des décennies : en Algérie, il y avait les Européens, les Français, et puis les autres que l'on ne savait plus comment désigner et que l'on a appelés les Français musulmans. Cette question a fait l'objet d'une discussion récente.
Sur le second point, il est évident que les imams mal formés sont des vecteurs de fondamentalisme, fût-ce par erreur ou ignorance. Je reviens de Lunel où j'ai rencontré la communauté, assez stupéfaite qu'une dizaine de jeunes aient quitté cette ville pour la Syrie, où six d'entre eux ont été tués. Au responsable de la mosquée, j'ai demandé ce qui se passait. À une institutrice, une élève a répondu avec arrogance : « Tu es une chrétienne, une mécréante, et je rêve de te tuer ! » On voit qu'un changement psychologique s'opère même chez l'enfant : des propos aussi violents peuvent être tenus dès l'âge de huit ans. Je parle de Lunel, mais il y a maintenant de nombreuses villes en France où telle est la position des musulmans.
Il y a quelques années, parlant avec M.Myard du foulard – et nous nous sentions encore à l'aise, à l'époque –, je lui avais dit : « Nous sommes foutus, monsieur le député ! — Comment, foutus ? » Eh bien oui : nous le sentions. Nous sentions que nos débats sur le foulard, la burqa, etc., étaient déjà d'arrière-garde. Quoi que l'on dise, l'attitude des musulmans de France devant ces événements montre que le salafisme, l'intégrisme – appelez-le comme vous voulez – a progressé, petit à petit, jour après jour, depuis que les musulmans ont commencé à construire des mosquées en France.
Le foulard a été un premier point. Certains d'entre vous ont-ils connu l'Algérie, ou un autre pays du Maghreb ? Moi, j'étais à Alger. Les femmes ne portaient pas de voile. Les femmes des cités, ou celles qui voulaient conserver leurs traditions, le faisaient éventuellement par pudeur. Mais les jeunes femmes de la révolution, en 1957-1958 – Hassiba et les autres, qui ont défrayé la chronique –, avaient enlevé leur voile et considéraient cela comme un progrès. Elles étaient émancipées. Les femmes d'Afrique du Nord ont très vite montré qu'elles suivaient Bourguiba ou les oulémas de l'islam qui demandaient aux femmes de s'instruire. Elles étaient très en avance. Après l'indépendance, elles ont occupé des postes ministériels et étaient sinon européanisées, du moins décidées à ne pas revenir en arrière, vers ce qui était à leurs yeux une période d'obscurité.
Nous sommes aujourd'hui en France, pays moderne et laïque. Quelques années après la bagarre sur la voile : la burqa. Mais enfin, la burqa, c'est pour les pays où le soleil est tellement écrasant que l'on n'a pas d'autre moyen de s'en protéger ! Bref, il n'y a plus là aucune logique, mais une volonté politique : il faut que des signes patents, tangibles, montrent le radicalisme – mais aussi une certaine école de l'islam, le wahhabisme.
Le wahhabisme est un islam politique. Il se compose d'au moins deux fractions en France : les Frères musulmans et les tablighis. Il existe de multiples associations qui prônent un islam pur et dur, piétiste, un islam de rites. Le wahhabisme est la quatrième école de l'islam. La première est l'école malékite d'Afrique du Nord, assez modérée : on n'a jamais vu d'excité du malékisme aller faire la guerre, et les guerres d'indépendance au Maghreb n'ont jamais été religieuses ; on était pour les droits de l'homme, pour la révolution, pour 1789 à rebours, si vous voulez ! La deuxième école, le shafiisme, implantée en Égypte, est éminemment tolérante ; c'est l'école des grands savants du Caire qui, à l'origine, n'était pas atteinte par le wahhabisme. La troisième école, le hanafisme, est celle de la Turquie, qui fut à l'origine de la laïcité : c'est le seul pays musulman à l'avoir appliquée, en abolissant le califat.
Mais il y avait la quatrième école, le wahhabisme, du nom d'Abdel Wahhab, qui n'est qu'un transfuge du fondateur de l'école, Ibn Hanbal : on parle d'école hanbaliste. Elle est radicale, révolutionnaire, réactionnaire. Elle est née après la tentative du remarquable calife Al-Mamoun, fils du calife Haroun al-Rachid, d'instaurer une école rationaliste, le mu'tazilisme. Les clercs et les prêtres fermés de l'islam ont tout bloqué en instaurant le wahhabisme : l'école du littéralisme, l'école du garde-à-vous, animée par l'esprit le plus militaire que l'on puisse imaginer dans une religion, en particulier dans l'islam qui est tout de même assez tolérant.
Le wahhabisme a lui-même eu un transfuge qui a beaucoup fait parler de lui : Ibn Taymiyya, qui a fermé au xiie siècle ce que l'on appelle classiquement les portes de l'ijtihad, c'est-à-dire de la réflexion, de la spéculation, au profit du littéralisme. On est alors entré dans une période de joumoud – la fermeture de toutes les réflexions philosophiques. Averroës fut la dernière lumière de la rationalité dans l'islam. Depuis des siècles, nous vivons sous l'ombre de cette école maudite qui a bloqué l'essor remarquable qu'avait connu la civilisation musulmane – dans les sciences, la médecine, l'algèbre, l'astronomie, la pharmacologie, etc. – au cours de la période bénie de l'ouverture, sous Al-Mamoun et avec l'école de Bagdad. Ce fut la mort de la réflexion et de la tolérance.
Le 28/09/2015 à 11:09, laïc a dit :
"Quoi que l'on dise, l'attitude des musulmans de France devant ces événements montre que le salafisme, l'intégrisme – appelez-le comme vous voulez – a progressé, petit à petit, jour après jour, depuis que les musulmans ont commencé à construire des mosquées en France."
M. Boubakeur ne suggère-t-il pas ici que le nombre de mosquées, la fréquentation des mosquées et l'intégrisme vont de pair ? Et que finalement le meilleur moyen de lutter contre l'intégrisme est de limiter la construction de mosquées ? Moi-même j'ai remarqué que les lieux où l'on voyait le plus de femmes et jeunes filles voilées étaient comme par hasard ceux où il y avait une mosquée bien établie.
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