Je ne voudrais pas interrompre ce beau dialogue, mais il me semble que nous retombons toujours sur les mêmes questions, sous différents angles.
Je vous remercie, monsieur le recteur, de la qualité et de la profondeur de l'analyse que vous avez conduite des tenants et aboutissants socioculturels – et même psychanalytiques – du phénomène. En vous écoutant, on ne pouvait s'empêcher de songer à Georges Bataille qui, dans La Part maudite, montre de manière beaucoup plus globale qu'à l'issue de la conquête, les peuples arabes – qui n'ont pas été mentionnés jusqu'ici, non plus que les pays arabes – ont retourné contre eux-mêmes leur énergie destructrice.
On ne peut pas ne pas penser que ce phénomène a été alimenté par la politique des puissances occidentales depuis sinon les croisades, du moins la colonisation, au XIXe siècle, avec ses effets pervers au XXe : on a dans une large mesure détruit les nations existantes, on en a empêché d'autres d'exister. J'ai naturellement à l'esprit la politique d'ingérence criminelle menée par les néoconservateurs américains, dont les effets se font encore sentir aujourd'hui, mais aussi le soutien que plusieurs États, pas tous occidentaux, ont apporté aux dollars saoudiens, lesquels ont eux-mêmes servi le djihadisme. Sans parler de la manière dont, depuis l'invasion soviétique en Afghanistan, les mouvements radicaux, extrémistes, intégristes ont été travaillés par les puissances occidentales et leurs relais.
Par-delà ces éléments contextuels indispensables à la réflexion, le djihadisme et son développement, notamment dans notre pays, constituent un problème en soi et pour soi dont il faut chercher non seulement les causes, mais le traitement. D'où trois questions plus ponctuelles.
La première, et la plus importante, est celle portant sur la formation des imams, à laquelle vous n'avez pas répondu. La première tentative en ce sens date de Jean-Pierre Chevènement, au cabinet duquel j'appartenais : dès cette époque – c'était en 1999, mais nous avions commencé d'y réfléchir en 1997 –, nous considérions qu'il s'agissait d'un problème crucial, mais, pour plusieurs raisons qu'il serait trop long de développer, cette tentative n'a rien donné. Nicolas Sarkozy a repris à sa manière, différente, la question de la formation, sous l'angle de l'islam de France. Depuis, elle a fait l'objet de colloques, de réflexions, de rencontres, mais personne ne semble détenir la solution. Pouvons-nous continuer d'avoir une majorité d'imams qui viennent directement de l'étranger ou y ont été formés, et dont beaucoup ne parlent pas français ? C'est par exemple le cas d'un imam dans ma circonscription. Je ne dis pas qu'un imam qui ne parle pas français va nécessairement former ses ouailles au radicalisme, mais c'est tout de même un problème. Comment le résoudre, selon vous ?
Deuxièmement, selon un rapport remis à la Fondation d'aide aux victimes du terrorisme, il faut désigner clairement l'ennemi sous le nom de salafisme pour éviter de parler d'islam ou d'islam radical, ce qui engendre des confusions. Cette désignation vous paraît-elle adéquate ?
Ma troisième et dernière question va peut-être vous sembler naïve. On sait que l'islam ne connaît pas l'organisation hiérarchique à laquelle notre vieux pays catholique est habitué, mais existe-t-il au moins un mécanisme analogue à l'excommunication ? Certes, celle-ci a causé des drames et des violences, comme l'ont d'ailleurs fait chacun des trois monothéismes, pour des raisons qui tiennent sans doute à l'organisation monothéiste elle-même. Mais elle était somme toute bien utile – et c'est une athée qui vous parle. Les déclarations que vous avez faites, avec d'autres responsables, et dont je vous félicite, vont un peu dans ce sens. Ne pourrait-on toutefois pointer plus nettement les dérives ou les dérapages de certains individus ou groupes en les excluant de l'islam ?