Intervention de Dalil Boubakeur

Réunion du 5 mars 2015 à 9h00
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Dalil Boubakeur, président du Conseil français du culte musulman :

Merci infiniment de ces questions très importantes, dont le dénominateur commun est très certainement l'islam de France. Si j'emploie cette formulation, ce n'est pas parce que j'ai eu le grand honneur de recevoir M.Sarkozy pas plus tard qu'hier. À ce sujet, je n'ai rien à cacher. M.Sarkozy a tenu, au lendemain de la marche du 11 janvier, à recevoir les représentants de tous les cultes de France pour leur exprimer sa compassion envers les victimes. Ce mouvement national était très important du point de vue psychologique. Nous avons tous contribué symboliquement à la marche, à cet élan dont j'espère qu'il sera prolongé par nos actions et par notre réflexion sur les rapports entre les religions.

On ne peut pas traiter l'islam du seul point de vue cultuel et religieux. Certains musulmans ont des problèmes très complexes qui ont trait à la présence sociétale de l'islam, à ses particularismes, mais aussi au fait politique indiscutable qu'incarne cette population.

Que faire lorsqu'un problème de cette nature se pose au sein d'un État ? Je ne suis moi-même ni un homme d'État ni un homme politique. Mais soyons logiques.

Nous avons dans notre pays une religion qui s'appelle l'islam et qui n'a cessé de se développer. En 1975, on s'est rendu compte à la suite de la loi sur le regroupement familial qu'il y avait déjà deux millions de musulmans en France et que l'islam était devenu la deuxième religion du pays – une constatation qui a, à elle seule, surpris. Puis, en 1981, M.Mitterrand a souhaité l'abrogation du décret relatif aux autorisations délivrées aux associations loi de 1901 : désormais, n'importe quel étranger pouvait fonder une association régie par cette loi. Cela a provoqué une efflorescence de la construction de mosquées, et la fin de la notion d'islam français. Auparavant, on estimait que la question relevait des Français musulmans, dont je m'honore de faire partie, dont certains avaient été exclus d'Algérie ; bref, que cette affaire resterait entre Français. Dès lors que l'on a étendu à tout le monde la possibilité de faire des mosquées, on a eu des Turcs, des Marocains, toutes les nationalités – 88 vivent aujourd'hui en France, chacune ayant son propre lieu de culte.

Il aurait fallu, dès cette époque, dire quel islam on voulait : un islam laissé à lui-même, qui se développe sui generis, ou – comme je le souhaitais – un islam dont on décide résolument qu'il sera tolérant, ouvert, qu'il dialoguera avec les autres religions et qu'il ne fera pas de politique ? À défaut de le faire en France, on aurait pu poser le problème en Europe. L'ambassadeur de Norvège, que j'ai reçu, est affolé par ce qui se passe jusque dans son pays. On a ainsi raté plusieurs occasions de définir l'islam et d'en faire une religion tolérante, modérée, qui se conforme aux normes applicables à une religion ayant – tout de même – eu une histoire en France.

Quant aux imams, appelés par les communautés, les mosquées, ils sont venus tels qu'ils avaient été formés dans leur pays d'origine. Et l'on s'est rendu compte que cela représentait un très grave inconvénient pour la jeunesse, pour la communauté des musulmans de France – si vous me permettez l'expression – qui parlait de moins en moins arabe et ne comprenait plus rien de ce qui se passait dans les mosquées. Pour cette raison, il fallait que l'imam se mette au français. Le problème est que l'arabe est notre langue liturgique, comme l'est l'hébreu pour nos amis juifs. D'où tout le travail engagé pour créer des correspondants linguistiques. Surtout, nous souhaitions éviter un autre écueil : que ces imams ne saisissent pas ce qu'est la France. Que peut comprendre, en effet, quelqu'un qui vient de je ne sais où et à qui l'on parle de laïcité ou de droits de la femme ? Ces gens pensaient qu'ils obtiendraient des mosquées en s'adressant à monsieur le maire ou à monsieur le député, comme ils le faisaient chez eux. Eh non ! La laïcité a donc été le premier défi qu'ils ont eu à relever.

Je me suis donc adressé très tôt au doyen Quenet, à la Sorbonne, pour lui indiquer que je souhaitais qu'il ouvre un module pour les imams. J'ai considéré, en effet, que nos imams ne pouvaient commencer leurs études qu'à la majorité et munis du minimum minimorum : le baccalauréat.

1 commentaire :

Le 18/07/2016 à 12:19, laïc a dit :

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"Ces gens pensaient qu'ils obtiendraient des mosquées en s'adressant à monsieur le maire ou à monsieur le député, comme ils le faisaient chez eux."

Et non, en France c'est beaucoup plus facile : on fait d'abord la mosquée, et ensuite on demande au maire l'autorisation de la faire, si on la demande d'ailleurs...

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