Intervention de Raphaël Liogier

Réunion du 21 janvier 2015 à 8h45
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Raphaël Liogier, professeur des universités, directeur de l'observatoire du religieux à l'institut d'études politiques d'Aix-en-Provence :

L'islam connaît des difficultés d'organisation et de désignation de personnes représentant réellement les fidèles et l'État a tendance à promouvoir des individus qui lui siéent mais dans lesquels les musulmans ne se reconnaissent pas.

Dans la première affaire des caricatures danoises, un imam néo-fondamentaliste très dur et critique à l'égard de l'Occident a attaqué le journal les ayant publiées. Pourtant, de nombreux musulmans danois – plusieurs milliers – ont signé une pétition affirmant que ces dessins ne les faisaient pas rire, mais qu'ils ne voulaient en aucune façon attaquer et limiter la liberté d'expression. Qui a entendu parler de ce texte ? Personne ! En auriez-vous eu connaissance s'il avait affirmé que la liberté d'expression devait s'effacer devant le respect dû à la religion musulmane ? Bien entendu ! Il existe donc un problème de relais, tellement profond aujourd'hui qu'il a fait naître un climat de suspicion. Les musulmans sont d'autant plus interdits que ces attentats, qui les horrifient, ne sont pas commis par des pratiquants, contrairement à la situation des années 1990. Ils craignent que l'unanimité du pays se fasse contre eux. En 2003, M.François Baroin, dans un rapport remis au Premier ministre, écrivait que la laïcité pouvait entrer en conflit avec les droits de l'Homme et qu'elle devait prévaloir sur eux. Au-delà du ridicule logique que révèle cette proposition, la laïcité étant un produit direct des droits de l'Homme, son esprit visait le communautarisme, présenté comme seulement musulman.

J'appelle « paradigme Tariq Ramadan » l'accusation permanente du double langage. Les discours français et arabes de M. Tariq Ramadan ont été analysés ; lorsqu'il s'adresse en arabe à des musulmans, son discours est de nature théologique, et il devient démocratique lorsqu'il parle dans les médias des pays occidentaux. Un musulman qui condamne un acte terroriste, une attaque ou une pratique sera systématiquement accusé d'employer un double discours s'il continue en même temps de se présenter comme musulman.

Depuis les attentats de janvier, certaines personnes affirment qu'ils ne peuvent pas avoir été planifiés par des musulmans et qu'il s'agit d'un complot des élites. Pourquoi un tel fantasme peut-il prospérer ? Parce qu'il répond à l'accusation de certains acteurs de la scène nationale accusant les musulmans de suivre un objectif d'islamisation de la société dès qu'ils ouvrent une boucherie halal ou portent un voile.

Il convient d'éviter la surinterprétation, dans un climat de guerre identitaire, de la loi, par exemple, par les proviseurs ; ainsi, un chef d'établissement a convoqué une jeune fille sous prétexte qu'elle n'avait retiré son voile qu'à l'entrée de l'école et, qu'à l'intérieur de celle-ci, elle portait une robe longue qui fut interprétée comme l'expression de son appartenance religieuse. Le proviseur a regardé l'étiquette de sa robe pour vérifier qu'elle ne provenait pas d'un pays arabe. L'écrasante majorité des musulmans n'ont pas considéré que la loi de 2004 relative aux signes religieux dans les écoles publiques était juste ; en revanche, ils l'ont respectée, même si, comme tous les acteurs sociaux, ils essaient d'en contourner les obligations sans l'enfreindre. Il y a lieu d'éviter les surinterprétations du droit dans les services publics et de ne pas relier des demandes excessives au fait d'être musulman.

Les bouleversements au Moyen-Orient ont eu une importance considérable ; dans les années 2000 a émergé le grand bain informationnel dans lequel tout événement a un effet immédiat. Lorsqu'une bombe explose à Gaza, des personnes, musulmanes et dont la famille provient de pays arabes, auront l'impression qu'elle aura été lancée dans leur jardin. En outre, ce processus déforme l'événement. Ce qui se passe au Moyen-Orient apparaît à la fois comme lointain – donc attirant en termes d'aventures – et proche, et possède ainsi un impact en France.

La projection de l'idée de la guerre de civilisation participe de la mise en scène de la guerre identitaire. M.George Bush et Oussama ben Laden étaient des adeptes du concept de guerre de civilisation qui permet une construction guerrière du monde. Bernard Lewis utilise pour la première fois cette expression en août 1957 à la suite du conflit du canal de Suez, qui a vu Nasser présenter l'islam comme la religion des pauvres et des dominés.

1 commentaire :

Le 23/09/2015 à 11:53, laïc a dit :

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"Le proviseur a regardé l'étiquette de sa robe pour vérifier qu'elle ne provenait pas d'un pays arabe."

C'est inquiétant, avec tous les vêtements "made in China" que je porte (bien malgré moi, c'est surtout l'étiquette du prix que je regarde avant d'acheter un vêtement, je sais, c'est pas bien, il faut encourager le "made in France", mais il n'y en a pas beaucoup, l'industrie textile est inexistante dans notre pays, les députés devraient d'ailleurs se pencher sur la question...), ne vais-je pas risquer d'être catalogué "pro-communiste" radical et donc enfreignant la neutralité politique de l'espace public professionnalisé si mes vêtements sont ainsi analysés ?

De toute évidence, le proviseur enfreint la liberté individuelle du lycéen en analysant le côté caché des vêtements, car les étiquettes sont dissimulées à l'intérieur du vêtement, c'est incroyable que ce genre d'agissement ne soit pas sanctionné par l'Education nationale. Je ne vois pas l'intérêt de chercher à imposer le menu séparé sur des bases religieuses dans les écoles si c'est pour se taire dès qu'une lubie anti-religieuse dépassant les frontières de la décence est signalée. Où est la cohérence ?

Ou alors c'est la cohérence de la surexposition religieuse : dans les cantines il faut exposer la religion des élèves aux autres élèves et aux cantiniers, en différenciant bien les "sans porc" et des "avec porc", et là, avec l'étiquette, il faut chercher à tout prix à exposer la religion supposée de l'élève, même si celle-ci ne l'avoue pas (comme si toute personne portant un vêtement fabriqué dans un pays arabe était musulmane, on est en plein délire). Mais dans le premier cas la surexposition est là pour accorder un service favorable à la personne supposée musulmane, tandis que dans l'autre cas la surexposition a plutôt pour but de lui nuire en fonction de sa religion supposée. L'incohérence dans la finalité est bien relevée, même s'il y a bien une certaine cohérence dans le principe initial de l'action.

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