Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 19 mai 2015 à 16h00
Commission d'enquête sur la surveillance des filières et des individus djihadistes

Christiane Taubira, ministre de la Justice, garde des Sceaux :

Monsieur Cavard, vous vous inquiétez, à juste raison, des conséquences de la surpopulation carcérale. Je crois vous avoir dit en commission, peut-être même lors de la précédente audition, que nous nous étions interrogés sur la méthode de sélection employée pour mener, à Fresnes, l'expérience de séparation portant sur vingt-deux personnes incarcérées dans l'établissement. En effet, le directeur qui a lancé cette opération a choisi des personnes qui étaient détenues ou prévenues pour actes terroristes ou pour complicité. Or ce n'est peut-être pas le seul critère pertinent : des personnes qui sont impliquées comme complices, à un niveau simplement correctionnel, peuvent ne pas être dans un processus de radicalisation violente, alors que, dans le même établissement, des personnes condamnées pour des faits de droit commun qui n'ont rien à voir, peuvent être en train de glisser dans un tel processus. D'où l'intérêt de la « recherche-action » en cours et, en particulier, de la détection des signaux faibles, c'est-à-dire des premiers indicateurs qui permettent de comprendre que quelqu'un est déjà dans l'ébranlement.

Les quartiers dédiés permettent une séparation du reste de la population carcérale, et une séparation entre les détenus – qui sont dans des cellules individuelles. Cette double séparation permet à la fois de limiter les tensions et d'isoler les personnes susceptibles d'avoir une influence sur le reste de la population carcérale. Cela n'empêche pas que nous recherchions, parmi les personnes qui ne sont pas incarcérées pour actes terroristes ou pour complicité, celles qui sont susceptibles de passer sous l'influence des prosélytes et de glisser dans un processus de radicalisation violente.

Par ailleurs, depuis plus de deux ans maintenant, nous renforçons les effectifs. En plus des postes qui sont créés chaque année, j'ai obtenu en juillet 2014, par arbitrage du Premier ministre, la création de 534 postes supplémentaires pour la seule administration pénitentiaire, notamment pour soulager les personnels affectés dans les coursives, car il n'y a plus, bien souvent, qu'un seul surveillant par coursive. Mais les nouveaux personnels ne sont pas encore là : les postes ont été obtenus en juillet et les formations ont commencé en septembre. Les 200 premiers postes devraient être pourvus au premier trimestre 2016.

Le renfort des effectifs s'accompagnera de la rénovation des établissements et de l'augmentation du nombre de places. Nous nous sommes engagés à construire, sur le triennal en cours, 6 500 places supplémentaires ; nous allons tenir à peu près les délais. Sur le prochain triennal, nous nous sommes engagés, à raison d'un milliard d'euros d'autorisations d'engagement, à construire 3 200 places supplémentaires. Je précise qu'il s'agit de créations nettes, car nous fermons aussi des établissements vétustes ou des ailes, ce qui nous amène à supprimer des places.

Voilà comment nous répondons à la surpopulation carcérale. J'ajoute que certaines des dispositions de la réforme pénale permettent également d'y répondre. En effet, pour certaines personnes, l'incarcération n'est pas un élément de réinsertion, ni de lutte contre la récidive : je pense, par exemple, aux personnes incarcérées pour non-paiement récurrent de pension alimentaire, ou pour dégradations liées à des addictions – à l'alcool ou aux stupéfiants. La contrainte pénale, qui est assortie d'obligations, d'interdictions, d'un suivi, d'un ajustement au cours du suivi, d'une évaluation, etc., sera plus profitable à ces personnes-là, tout en contribuant à la réduction de la surpopulation carcérale. Il faut reconnaître que l'incarcération désocialise et peut rendre encore plus difficile le respect des obligations fixées par le juge. Je pense tout particulièrement au paiement des pensions alimentaires : l'incarcération du débiteur peut provoquer une rupture d'emploi et aboutir à l'inverse de ce que l'on veut obtenir.

Je répondrai maintenant à M.Goasguen, dont l'exposé appelle quelques précisions.

J'entends votre préoccupation, monsieur le député. Je vous rappelle simplement que les conditions dans lesquelles les infractions de trahison ont été introduites dans le code pénal ne permettent pas de prononcer des sanctions plus lourdes que celles qui sont prévues pour l'association de malfaiteurs, ou même pour l'entreprise individuelle terroriste.

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