Intervention de Fabrice Leggeri

Réunion du 3 juin 2015 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Fabrice Leggeri, directeur exécutif de l'Agence européenne Frontex :

Merci de me permettre de m'exprimer devant vous. Il est important que les parlementaires nationaux puissent avoir directement le témoignage d'une agence européenne.

Il y a eu en effet 170 000 franchissements irréguliers de la frontière extérieure de l'Union européenne l'an dernier en Méditerranée centrale. Par ailleurs, il y a en a eu 100 000 entre janvier et mai de cette année contre 40 000 au cours de la même période l'année dernière. Une pression très forte s'est exercée en début d'année sur la frontière des Balkans et, aujourd'hui, les passages sont de plus en plus importants à travers la Turquie et la Grèce. Alors que la route allant de la Libye vers l'Italie représente actuellement 43 500 franchissements irréguliers de la frontière extérieure de l'Union, plus de 45 000 concernent la Grèce. Si la situation en Méditerranée centrale par cette route est très préoccupante, il ne faut pas oublier en effet la situation de crise qui est en train de se nouer dans ce pays, avec des profils migratoires très différents.

En Italie, on voit principalement arriver des ressortissants d'Afrique subsaharienne, venant prétendument d'Érythrée, de Somalie, mais aussi de pays d'Afrique occidentale francophone, voire du Maghreb, mais pas de Libye – ce qui peut paraître étonnant compte tenu du chaos régnant dans ce pays. La situation est très différente de ce qu'elle était en début d'année, où nous avions beaucoup de Syriens empruntant la voie vers l'Italie à travers la Libye pour avoir accès à l'asile en Europe : aujourd'hui, la quasi-totalité des flux syriens transite par la Turquie et arrive en Grèce ou en Bulgarie, notamment par la frontière maritime, en passant de la côte turque aux îles grecques – où il y a parfois seulement cinq à sept kilomètres à faire. Par exemple, sur l'île de Lesbos, entre janvier et avril, il y a eu 7 000 arrivées de Syriens.

On trouve aussi parmi ces migrants des Afghans, des Irakiens, des Pakistanais ou des Bangladais, qui appelleront des réponses différentes de l'Union européenne.

En Méditerranée centrale, on enregistre une augmentation de 5 % des franchissements irréguliers, alors qu'en provenance de la Turquie, elle est supérieure à 550 %. Il faut donc aider la Grèce.

Après le Conseil européen du 23 avril, la Commission a proposé un agenda pour la migration et un agenda pour la sécurité.

Les mesures les plus immédiates prises par ce Conseil ont été de tripler le budget de Frontex pour ses opérations en Méditerranée. Cela a été le cas non seulement pour l'opération Triton, qui se déroule au sud de l'Italie, entre ce pays, Malte et la Libye, mais aussi pour l'opération Poseidon, qui se trouve en mer Égée, entre la Turquie et la Grèce.

Ce triplement s'accompagne d'une augmentation des moyens déployés. Frontex a pour rôle de coordonner ceux mobilisés par les États membres. À cet effet, elle lance des appels à contribution à ces États et élabore des plans de patrouille. À la fin du mois de mai, nous avons accru dans certains cas de 200 % le nombre de moyens à la mer. Nous avions ainsi 6 patrouilleurs côtiers en fonction dans le cadre de Triton contre 2 en février. Je maintiendrai ce rythme au moins jusqu'en septembre et j'en prévois 5 pour la période hivernale. En outre, le nombre d'heures de patrouille de surveillance aérienne a été multiplié par deux.

Par ailleurs, il y aura 25 millions d'euros supplémentaires pour Frontex en 2015 et 45 millions en 2016. Dans le cadre de la préparation du dialogue budgétaire de 2017 à 2020, j'ai bon espoir que le budget tendra à augmenter.

Le rôle de Frontex est aussi de faire des appels à contribution en gardes-frontières et de former des équipes avec ces personnels. Aujourd'hui, 25 États membres participent d'une manière ou d'une autre aux opérations Triton et Poseidon par des bateaux, des avions et des gardes-frontières.

Ceux-ci ont pour mission de faire de la surveillance sur les bateaux. Je rappelle que le mandat de Frontex n'est pas de faire du secours en mer, qui est une compétence nationale. Mais sa priorité est, dans les situations de détresse, de mettre ses moyens à la disposition des autorités italiennes, qui coordonnent les secours sur une zone qui s'étend beaucoup plus loin que la zone de compétence italienne en la matière.

Depuis le début de Triton, le 1er novembre 2014, les moyens de Frontex contribuent dans un tiers des cas à sauver des vies. Dans 80 % des cas, les interventions ont lieu à proximité de la côte libyenne, l'Italie se substituant à des États qui ne peuvent faire face à ces situations.

Il y a en outre une coopération entre Malte et l'Italie, sachant que celle-ci a beaucoup plus de moyens. La Tunisie réalise de plus en plus de progrès et fait ce qu'elle peut en cas de détresse, mais la Libye n'est pas en mesure de faire du secours en mer.

Après les décisions d'augmenter les moyens de Frontex, la zone d'opérations a été étendue vers le sud, en coordination avec les autorités italiennes et maltaises. La zone d'opération de Triton a ainsi été élargie à 130 milles nautiques au sud de la Sicile, ce qui correspond à la limite sud de la zone de compétence de secours en mer de Malte – laquelle est à 80 milles nautiques de la Libye. Cela n'interdit pas de faire du secours en mer plus au sud, ce qui pose cependant certains problèmes de sécurité.

Il est par ailleurs important d'avoir des gardes-frontières à terre qui auditionnent les migrants. Cela permet d'identifier les profils de personnes ayant besoin d'une protection et de les canaliser vers les autorités compétentes pour qu'ils soient enregistrés dans Eurodac.

Si, au contraire, des personnes ne relèvent pas de la protection ou de l'asile, elles doivent être éloignées vers le pays d'origine, conformément au droit de l'Union.

J'ai fait passer le nombre de ces équipes de gardes-frontières de quatre à neuf grâce aux moyens supplémentaires octroyés à l'agence. Cela veut dire que nous avons dans les principaux ports de débarquement en Sicile et dans le sud de l'Italie continentale des équipes pouvant se rendre en temps réel pour auditionner les migrants et appuyer les autorités italiennes en vue de préparer leur éloignement. Frontex travaille étroitement avec ces autorités pour mettre au point cet appui et cette solidarité européenne.

Un projet devrait par ailleurs voir le jour d'ici deux semaines environ à Catane. J'ai proposé aux autorités italiennes, qui l'ont accepté, d'avoir une équipe Frontex de coordination régionale basée en Sicile pour mieux coordonner les équipes déployées dans cette île et le sud de l'Italie. J'ai invité les autres agences européennes, notamment le Bureau européen d'appui lmatière d'asile , Europol et Eurojust à rejoindre cette cellule, de manière à avoir une gestion intégrée des agences contribuant à cette action, ce qui aide l'État hôte, l'Italie, à avoir la politique la plus cohérente possible.

Le schéma avec la Grèce et Poseidon ressemble à celui-là, sauf que, pour le moment, les discussions entre Frontex et ce pays sont à un stade moins avancé, sachant que l'urgence politique et humanitaire était en Italie. Reste que j'ai amélioré le plan opérationnel de Poseidon et augmenté les moyens en Grèce, qui lance un appel à l'aide – que l'Union européenne et ses agences entendent.

Il va falloir que des gardes-frontières soient envoyés par d'autres Etats membres et que, dans un cadre géographique plus complexe du fait des petites îles grecques, on coordonne bien les équipes et qu'on fasse en sorte que les migrants débarqués sur les îles ne puissentpas échapper à l'enregistrement de leurs empreintes, pour des raisons migratoires et sécuritaires.

La Commission européenne a par ailleurs présenté un plan plus vaste, fondé sur des mesures de coopération avec les pays tiers, des dispositions dans le domaine des voies légales de l'immigration vers l'Union et des mesures renforcées de lutte contre les trafiquants.

S'agissant de la coopération avec les États tiers, Frontex a un mandat. J'ai proposé cette année au conseil d'administration de l'agence, qui l'a accepté à l'unanimité, de donner la priorité à la Turquie pour le déploiement d'un officier de liaison – ce sera la première fois que ce dispositif sera mis en oeuvre. Cet officier sera placé auprès de la délégation de l'Union à Ankara et aura vocation à travailler en étroit lien avec les officiers et représentants dans le domaine de la police et des migrations déployés par les États membres : j'ai là aussi besoin de leur coopération. L'objectif est d'avoir un relais en Turquie ayant un accès aux dirigeants des services à Ankara et capable aussi de comprendre ce qui se passe sur le terrain, que ce soit à la frontière ouest ou à d'autres frontières orientales, pour faire un travail sur des questions migratoires et sécuritaires.

Il y a toujours le cas de ce qu'on a appelé les vaisseaux fantômes au début de 2015 : pour le moment, ils sont sous contrôle et les autorités turques surveillent les départs, mais cela nécessite une vigilance de tous les instants et Frontex propose un suivi de ces questions aux États membres.

Au-delà de la Turquie, Frontex agit auprès du Maroc et des pays du processus de Rabat lancé par l'Union européenne. Nous avons aujourd'hui un dialogue très fructueux avec ce pays, qui est très intéressé par le dialogue sur les questions migratoires avec l'Union et a joué un rôle régional. Frontex a organisé la semaine dernière, pour la première fois sur le continent africain, une réunion de la communauté africaine de renseignement. L'agence a par ailleurs été invitée en tant qu'observateur au G5 Sahel – les autorités françaises ont joué un rôle important à cet égard.

Son rôle en amont consiste à aider à la construction d'institutions viables, qui est une mission de long terme. Il s'agit de constituer des services de contrôle aux frontières à la fois efficaces et respectueux des droits fondamentaux. Cela permettra de développer des partenaires des pays européens sur le long terme et des politiques permettant sur le court terme d'enrayer les flux à la source.

Parallèlement, l'Union européenne a proposé des initiatives en matière d'asile, l'objectif étant de ne pas fermer la porte de l'Union aux vrais demandeurs d'asile en tarissant les sources de l'immigration irrégulière n'ayant rien à voir avec lui.

Au-delà des moyens budgétaires alloués par l'Union, l'agence a l'autorisation de recruter davantage de personnel, ce qui, sur deux ans, me permettra globalement d'augmenter de 10 % ses effectifs. Ceux-ci seront essentiellement déployés sur des missions opérationnelles, c'est-à-dire soit vers les équipes qui coordonnent Triton et Poseidon, soit vers celles qui font de l'analyse de risques, soit vers celles envoyées dans les pays tiers – notamment par le renforcement des officiers de liaison dans les pays d'origine, au sein des délégations de l'Union européenne, en bonne intelligence et de façon complémentaire vis-à-vis des réseaux nationaux existants.

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