Intervention de Fabrice Leggeri

Réunion du 3 juin 2015 à 9h45
Commission des affaires étrangères

Fabrice Leggeri, directeur exécutif de l'Agence européenne Frontex :

S'agissant de la coopération avec les pays tiers, les départs d'Afrique subsaharienne impliquent une traversée du désert et il y a de fait des milliers de victimes dans celui-ci qui ne font l'objet ni de statistiques, ni de procès-verbal documenté.

Les prix de passage sont de l'ordre de 5 000 à 7 000 euros, ce qui signifie que, pour des Érythréens ou des personnes de la corne de l'Afrique, toute la famille ou le village a dû se cotiser dans l'espoir d'un « retour sur investissement », c'est-à-dire qu'une fois arrivé en Europe, le migrant puisse renvoyer de l'argent au pays.

Les profils sont différents lorsqu'il s'agit de Syriens et de demandeurs d'asile du Proche-Orient, qui sont davantage accompagnés d'une famille. Le migrant subsaharien est, lui, généralement un homme jeune, qui souhaite travailler.

Les modèles des organisations criminelles peuvent aussi varier. Il y a souvent des relais pour effectuer plusieurs segments du parcours. Parfois, les migrants s'arrêtent pendant plusieurs mois dans certains pays, en essayant de travailler de façon informelle pour gagner un peu d'argent et payer la suite du trajet. On peut aussi penser qu'il y a des relais en Europe.

Une coopération entre Europol et Frontex a été nouée dans le cadre d'une opération en Méditerranée, lancée par le commissaire européen en charge des affaires intérieures et des migrations. Frontex fournit les résultats des moyens d'observation des bateaux en Méditerranée, qui doivent permettre à Europol de faire des enquêtes et de remonter les filières. Mais cette action est très complexe, notamment lorsque les criminels sont dans des pays tiers avec lesquels nous n'avons pas d'accord de coopération judiciaire. On peut espérer découvrir leurs complices en Europe et faire un travail de plus long terme tendant à développer la coopération. Frontex a participé au G5 Sahel et d'autres initiatives de ce type sont prévues. Nous avons aussi des partenariats avec des régions plus à l'est, qui peuvent être sensibles en cas de déstabilisation de l'Ukraine ou du Caucase. Il en est ainsi notamment du partenariat oriental.

La Tunisie, le Maroc et l'Égypte font aussi partie des pays avec lesquels nous développons la coopération.

Frontex n'a pas ciblé spécifiquement la question climatique, qui a des conséquences économiques. Mais la dynamique démographique nous amènera à nous en occuper pendant encore longtemps.

De fait, les routes ouest par le Maroc et la côte occidentale africaine ne sont pas des points de préoccupation. Cela tient d'abord à l'existence d'États qui fonctionnent dans cette région – c'est le cas du Maroc, qui octroie l'asile statutaire à des personnes qui en ont besoin. En outre, l'Espagne a su développer depuis une décennie des coopérations avec les pays de l'Ouest africain. Cela doit être notre modèle. Mais pour des raisons évidentes tenant à la situation de la Libye, nous ne pouvons, malgré tous nos efforts, faire la même chose avec le même succès et il faudra encore beaucoup de temps pour que ce soit le cas.

Concernant le mode de fonctionnement de Frontex, l'Union européenne est organisée de telle manière que la responsabilité première du contrôle de la frontière appartient aux États. Le budget de Frontex est donc un budget additionnel, permettant à l'agence d'apporter un supplément de moyens européens. Le budget total de contrôle des frontières de l'Union est la somme des budgets nationaux des États de celle-ci et de Schengen plus celui de l'Union elle-même.

Les instances européennes ont fait passer le budget de Frontex de 95 millions d'euros en 2014 à 135 millions aujourd'hui, ce qui est un effort substantiel dans un contexte de restriction budgétaire. La question porte sur les mandats de l'agence, qui fait l'objet d'une évaluation. La Commission prévoit un élargissement de ceux-ci, notamment en matière de retour. Une réflexion est également menée sur un système européen de gardes-frontières. Mais ces questions sont sensibles car on est parfois à la limite de la souveraineté nationale. Je préfère en tout état de cause une augmentation progressive du budget, qui s'accompagne d'une redéfinition des mandats.

Cela passe par une réflexion sur ce qui doit être fait aux niveaux national et de l'Union. Je rappelle que le système de Schengen fait l'objet de règlements européens, qui doivent s'appliquer ; la Commission y veille. Le dispositif d'évaluation du système a été rénové il y a deux ans et les premières missions d'étude sont en cours. Frontex a un rôle d'expertise au profit de la Commission en la matière. Se posent aussi des questions de visas et de coopération policière et judicaire. En tout état de cause, les États membres doivent accepter une surveillance européenne. Si la frontière extérieure ne fonctionne pas correctement et que l'espace Schengen n'est pas maîtrisé, la libre circulation, qui est un des acquis fondamentaux de l'Union sera en danger. Et quand je vois des contrôles quasiment systématiques introduits à certaines frontières intérieures, je pense qu'on n'en est pas loin.

Pour empêcher des bateaux de transporter des migrants en Méditerranée, l'Union européenne propose une mission dans le cadre de la politique commune de sécurité et de défense (PCSD). Cette mission militaire, qui est en cours de préparation, a besoin d'un mandat du Conseil de sécurité des Nations unies ou d'une autorisation des autorités libyennes.

Si Frontex est une agence civile, nous nous coordonnons avec cette future mission et je rencontrerai demain son futur commandant. Des actions de saisie et de destruction de navires ne sont pas possibles par l'agence, mais l'Union souhaite donner ce mandat à cette opération.

S'agissant de la contribution des États membres, le budget de Frontex est directement alimenté par celui de l'Union européenne. En outre, l'agence a ses propres personnels et fait des appels à contribution pour que les États, qui n'y sont pas obligés, mettent à disposition des gardes-frontières pour ses opérations. Nous travaillons aussi avec la Commission à ce qu'il y ait un juste retour lorsque le budget de l'Union finance des moyens opérationnels. Il existe à cet égard le Fonds de sécurité intérieure, doté de plus de 2 milliards d'euros pour 2014-2020, ainsi que le Fonds asile, immigration, intégration. J'estime que lorsque la Commission offre de l'argent pour que les États membres achètent des moyens nationaux, tels que des avions ou des bateaux, il est normal que pendant un certain temps et pour une certaine période de l'année, Frontex puisse bénéficier de leur concours.

J'ajoute que la mise à disposition par les États n'est pas un geste de solidarité gratuite. L'essentiel du budget des opérations de Frontex sert en effet à dédommager et à rembourser ceux-ci.

Concernant les ONG, un forum consultatif est constitué dans le cadre de l'agence, associant aussi certaines institutions, telles que le HCR ou le Conseil de l'Europe, qui peuvent nous apporter des conseils sur l'application des droits fondamentaux.

Quand des personnes se noient en mer, il faut leur porter secours : c'est une obligation morale et juridique – sachant que la situation géopolitique, notamment au Proche-Orient, fait que, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, plus de 600 000 personnes sont arrivées en Europe comme demandeurs d'asile ou de protection en 2014. Mais il ne faut pas alimenter le trafic d'organisations criminelles. Il s'agit d'une question complexe, qui touche à nos valeurs fondamentales et à la libre circulation pour tous à l'intérieur de l'espace Schengen. Frontex est à cet égard chargée de mettre en oeuvre les décisions politiques de l'Union européenne, en appui des États membres qui en ont le plus besoin.

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