Intervention de Denys Robiliard

Réunion du 11 juin 2015 à 10h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour la croissance et l'activité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenys Robiliard, rapporteur thématique :

Indépendamment de l'amendement gouvernemental, l'idée d'un barème se heurte au principe de réparation intégrale du préjudice, principe qui n'a toutefois pas de consécration constitutionnelle. La décision du Conseil constitutionnel portant sur la faute inexcusable précise – sauf exceptions – le droit du législateur à définir les modalités de la réparation et à les cantonner. Le législateur est donc fondé ici à intervenir.

Nous avons quelque difficulté à caractériser précisément ce qu'est le préjudice causé. En effet, deux institutions emploient parfois le même vocabulaire, si bien qu'il arrive que l'on confonde l'indemnité de licenciement elle-même et les indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La première est due à tout salarié qui compte plus d'un an d'ancienneté et est strictement proportionnelle à l'ancienneté du salarié. Forfaitaire, elle est fixée par la loi ou par la convention collective. Il s'agit d'indemniser le fait même du licenciement, sauf en cas de faute grave – privative de toute indemnité de licenciement et des indemnités de préavis.

Les dommages-intérêts réparent, quant à eux, les conséquences de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, sachant que l'indemnité, elle, est versée du seul fait qu'il y a eu licenciement. Les deux notions, par conséquent, se recouvrent en partie et ne sont pas simples à articuler.

L'article L. 1235-3 du code du travail dispose notamment que « si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié ». Il n'est pas ici question de réparation intégrale du préjudice. Le même article poursuit : « Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L. 1234-9 », versée forfaitairement au salarié licencié, sauf s'il l'a été pour faute grave.

C'est à l'article L. 1235-5 qu'on apprend que cette disposition générale n'est pas applicable aux salariés qui ont moins de deux années d'ancienneté ni aux salariés d'une entreprise de moins de 11 salariés – l'indemnité n'est alors pas bornée.

L'amendement du Gouvernement porte sur les licenciements jugés dépourvus de cause réelle et sérieuse et non sur les licenciements jugés nuls, ces derniers faisant l'objet, quel que soit le motif de la nullité – annulation de l'homologation d'un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE), licenciements de salariés protégés en l'absence d'autorisation de l'inspecteur du travail… –, de dispositifs d'indemnisation, qui ne relèvent pas des articles L. 1235-3 et L. 1235-5 du code du travail, et dont le niveau est souvent très supérieur à six mois, voire à douze mois de salaire. Ces dispositifs, cumulables, ne sont donc pas concernés par la réforme.

S'agissant de l'office du juge, les conseillers prud'hommes informés de ce projet sont mortifiés : ils pensent que l'encadrement proposé par le Gouvernement est une marque de défiance à leur encontre. Or ce n'est pas du tout le cas, puisque la réforme prud'homale telle qu'envisagée par le texte, et qui instituait, il faut l'admettre, un début d'échevinage à peine déguisé, a été abandonnée. Nous avons en effet constaté que, si les taux d'appel étaient très importants, c'était du fait non de la qualité des juges mais de la nature des affaires traitées. Si nous avons maintenu les dispositifs permettant d'accélérer les procédures, y compris en permettant au juge départiteur d'intervenir plus tôt, c'était pour faciliter le processus, et en aucune façon pour revenir sur la parité caractéristique de l'institution prud'homale. La volonté du Gouvernement, concentrée essentiellement sur les TPE et les PME, est d'assurer la lisibilité de la jurisprudence, très difficile à assurer puisqu'il y a autant de jugements rendus que de cas particuliers.

J'ai voulu faire cette mise au point pour éviter toute confusion, notamment entre les licenciements dépourvus de cause réelle et sérieuse et les licenciements nuls. Comme c'est sur ces derniers que portent certains des discours alarmistes que nous entendons ici et là, j'insiste sur le fait qu'ils ne sont pas concernés par la réforme.

Quant à la rupture d'égalité, il ne faut pas la négliger, mais elle existe déjà : dans une entreprise importante, il y a un comité d'entreprise, une protection syndicale ; dans les petites entreprises, la protection syndicale est possible mais beaucoup plus faible. Les salaires versés, on le sait bien, ne sont pas non plus les mêmes…

Que faire, donc, étant donné que ce sont les petites entreprises que nous entendons se plaindre du « risque » prud'homal ? Je ne crois pas ce risque important : une étude récente de la Chancellerie montre que les indemnités effectivement versées sont en moyenne très inférieures aux chiffres qui circulent. Les juges tiennent compte de la taille de l'entreprise, même si ce critère ne figure pas actuellement dans la loi : les indemnités versées sur le fondement de l'article L. 1235-3 sont très différentes de celles versées sur le fondement de l'article L. 1235-5, c'est-à-dire dans le cas de petites entreprises ou de salariés ayant moins de deux ans d'ancienneté.

Le souhait du Gouvernement est de donner plus de visibilité. À mon sens, le référentiel voté en première lecture était suffisant. Le Gouvernement estime qu'il ne l'est pas, et qu'il faut prévoir un barème impératif. Nous y reviendrons.

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