Intervention de Emmanuel Macron

Réunion du 11 juin 2015 à 10h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour la croissance et l'activité

Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique :

Le débat qui vient de se dérouler nous a surtout montré l'absence de vérité académique sur ce sujet. Il y a néanmoins une certitude : si tout fonctionnait à merveille, nous n'en serions pas là.

La situation de notre marché du travail est paradoxale. Notre « stock » de contrats de travail est constitué à 80 % de CDI – c'est pourquoi celui-ci est considéré comme la norme. Mais le flux est constitué, à près de 90 %, de CDD. Encore ce chiffre ne tient-il pas compte des relations kleenex que sont l'intérim et l'auto-entrepreneuriat, qui permettent de sortir de la logique même du contrat de travail, ni du recours – massif dans certaines régions, et en croissance – au travail détaché illégal.

Nous sommes donc en train d'accepter silencieusement l'installation, dans notre pays, d'un dualisme de plus en plus prononcé du marché du travail. Pourquoi si peu de CDI sont-ils signés aujourd'hui ?

On peut considérer que c'est le CDI lui-même qui pose problème. C'est de là que part le débat sur le contrat unique, solution mise en avant par les organisations patronales et par une partie de l'opposition parlementaire. Pour ma part, je ne crois pas à cette formule. Si l'on veut vraiment un contrat unique, on se trouve face à un dilemme : le contrat unique, cela peut être simplement le CDI actuel, et alors il est probable que l'on n'obtiendra qu'une extension du travail au noir, du travail détaché illégal ou du recours à l'auto-entrepreneuriat ; ou alors c'est un CDD amélioré, et l'on précarise la totalité du marché du travail. De ce débat ne naît aucune solution équilibrée, efficace et juste. Souvent, ceux qui défendent le contrat unique ne proposent finalement que de créer un contrat de travail de plus – c'est ainsi qu'a été créé le contrat de chantier, par exemple.

Pourtant il faut bien constater que l'on a de moins en moins recours au CDI, et que la différence entre celui-ci et le CDD, ce sont les conditions de rupture.

Aujourd'hui, 10 % à 12 % des ruptures de CDI sont des licenciements économiques : la loi de sécurisation de l'emploi nous a permis d'en améliorer le cadre juridique et de donner de la visibilité aux deux parties, sans réduire les droits. Il est indéniable que des inégalités subsistent. Je souligne que nous ne touchons pas ici aux primes supra-légales, mais c'est là un tout autre sujet. Un peu moins de 40 % des ruptures de CDI sont des ruptures amiables. Enfin, 50 % à 60 % sont des licenciements individuels, dont un tiers passent devant les prud'hommes. Le sujet que nous évoquons maintenant est donc considérable – et si vous interrogez de petits patrons, voire des patrons de PME et d'ETI, ils vous confirmeront que c'est pour eux une préoccupation.

Pas plus que vous, monsieur le député, je ne crois à la peur d'embaucher. Il me paraît en revanche légitime qu'un chef d'entreprise se demande, avant de signer un contrat, ce qu'il se passera le jour où son entreprise ira moins bien, où les circonstances économiques changeront – c'est la raison du fréquent recours au CDD, et aux diverses formes de relations que nous évoquions.

Bien sûr, on peut refuser le réel. Mais, alors, de quoi la situation dont nous parlons est-elle le symptôme ? Car il y a bien un problème : certes, dans deux tiers des cas, il n'est pas fait appel aux prud'hommes, mais un tiers, c'est beaucoup. La justice prud'homale joue un rôle important, et il faut se pencher sur sa situation.

On constate d'abord que les procédures aux prud'hommes durent souvent très longtemps, et créent pour l'employeur comme pour le salarié de grandes incertitudes. Ce projet de loi contient donc des dispositions pour raccourcir et simplifier les procédures, pour éviter les manoeuvres dilatoires, qui sont nombreuses et dont les premières victimes sont souvent les salariés.

On constate également une dispersion des dommages-intérêts, et c'est ce que nous traitons ici. Je veux détailler précisément le périmètre de la réforme proposée par le Gouvernement et annoncée par le Premier ministre en début de semaine. Notre volonté n'est ni de barémiser – un référentiel a été voté en première lecture, et donne déjà des indications – ni de réduire les droits. Notre volonté est d'éviter la dispersion. Le plafond que nous fixons doit donc être supérieur aux moyennes observées. Certains trouvent les plafonds que nous proposons trop élevés : la belle affaire ! Ce que nous voulons, c'est réduire les inégalités territoriales, mais aussi augmenter la visibilité – les indemnités pouvant aujourd'hui passer du simple au double.

Je veux insister sur le fait que nous parlons ici des indemnités prononcées en cas de licenciement dénué de cause réelle et sérieuse. Ces montants s'ajoutent aux indemnités légales ou conventionnelles de licenciement, qui demeurent inchangées, ainsi qu'aux heures supplémentaires, congés payés, etc., qui représentent, dans plus d'un quart des cas, plus de la moitié des sommes effectivement touchées par le salarié.

De la même façon, les atteintes graves au droit du travail – discrimination, non-respect de l'égalité professionnelle, harcèlement, témoignage de corruption, licenciement d'une femme enceinte… – ne sont pas soumises au plafond. La nullité, cela a été dit, est hors du champ.

Mais, dans le cas du licenciement sans cause réelle et sérieuse, il est bon, pour l'employeur comme pour le salarié, de savoir où l'on va. La réforme du Gouvernement est équilibrée : elle ne réduit pas les droits – ce qui fait d'ailleurs dire à certains qu'elle n'aura pas d'effet – mais elle augmente la visibilité, pour les employeurs comme pour les salariés. Tout à l'heure, je vous présenterai la réforme que nous vous proposons des accords de maintien dans l'emploi dits « défensifs », et qui vise, de la même façon, à accroître la capacité des acteurs à s'adapter.

C'est là, je crois, une réforme équilibrée et sociale-démocrate, aujourd'hui nécessaire au regard des imperfections du marché du travail – dont tout le monde est victime, puisqu'elles renforcent le dualisme du marché du travail, voire le chômage. Le statu quo n'est donc pas une option.

Que prévoit précisément l'amendement SPE701 du Gouvernement ?

Il vise tout d'abord à circonscrire les cas d'erreur formelle pour leur accorder un traitement ad hoc. Jugeant le texte trop large sur ce point, le rapporteur thématique proposera un sous-amendement SPE708, auquel je suis favorable.

Ensuite, le Gouvernement propose de fixer des planchers et des plafonds d'indemnisation, qui ont été présentés par le Premier ministre en début de semaine et qui, pour répondre à Mme Louwagie, s'appuient sur l'observation que les dommages-intérêts perçus par les salariés licenciés varient fortement en fonction de leur ancienneté et de la taille de l'entreprise concernée. Un seuil ne sera jamais parfait si l'on souhaite un système qui soit lisible, sans quoi l'on en viendrait à élaborer un barème contraignant. Le plafond que nous proposons a été défini en référence à des critères connus ainsi qu'au seuil de 20 salariés. D'autres pays tels que l'Allemagne et l'Italie en ont fait autant, mais en imposant des barèmes plus contraignants. Ainsi les planchers et les plafonds récemment décidés par les Italiens sont-ils comparables à ceux que nous prévoyons pour les salariés ayant moins de quinze ans d'ancienneté et travaillant dans des entreprises de moins de 20 salariés, mais ils sont plus généralisés, donc plus contraignants. Nous définissons également les cas d'exception à ce principe dans le nouvel article L. 1235-3-2.

Dans le même temps, nous conférons une certaine progressivité à l'articulation entre le plancher et le plafond du dispositif. Très inégalitaire, le régime actuel ne comprend qu'un plancher unique, fixé à deux ans d'ancienneté, applicable aux seules entreprises de 11 salariés et plus, et ayant un impact très négatif sur le marché de l'emploi : les courbes élaborées démontrent malheureusement que le nombre de licenciements individuels s'accroît chez les salariés à partir de deux ans d'ancienneté dans les entreprises de plus de 11 salariés. Sur le plan micro-économique, cela veut bien dire que ce plancher est un élément déclencheur pour les employeurs, qui se comportent en l'espèce comme s'ils avaient affaire à des salariés en contrat à durée déterminée.

J'ai été un peu long, monsieur le président, mais je souhaitais rappeler le cadre dans lequel cette réforme s'inscrit, la philosophie que porte le Gouvernement et, ce faisant, présenter l'amendement SPE701.

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