Pour que chacun puisse s'y repérer, je souhaite vous fournir des données issues d'une étude réalisée par la Chancellerie à partir de l'intégralité des arrêts rendus par les chambres sociales des cours d'appel au mois d'octobre 2014. Ils représentent un échantillon représentatif de 10 % de la production d'arrêts rendus en matière sociale. Le taux d'appel des décisions des conseils de prud'hommes étant de 67 %, cela donne une image fidèle de l'ensemble des litiges. Ces chiffres concernent les montants alloués au titre de l'article L. 1235-3 du code du travail qui prévoit un minimum de six mois de salaire, ce minimum affectant bien entendu la mesure du préjudice. Entre deux ans et moins de cinq ans d'ancienneté, l'indemnité s'élève à 7,7 mois de salaire ; entre cinq ans et moins de dix ans, à 10,4 mois ; entre dix et moins de quinze ans, à 11,6 mois ; entre quinze et moins de vingt ans, à 14,5 mois ; à vingt ans d'ancienneté et plus, à 15,1 mois. Cette information fondamentale nous a aidés à fixer les planchers et plafonds proposés dans nos sous-amendements.
L'amendement du Gouvernement est complexe.
Il précise en premier lieu que l'absence de lettre préalable de licenciement ou d'énonciation de tout motif de licenciement prie à elle seule celui-ci de cause réelle et sérieuse. Je propose, par le sous-amendement SPE708, de revenir sur cette disposition, pour une raison qui se situe à la limite entre le fond et la forme – mais nous savons depuis Victor Hugo que « la forme, c'est le fond qui remonte à la surface »… La règle relative à l'énonciation des motifs de licenciement est ancienne, puisqu'elle remonte à 1975. Fixée de manière jurisprudentielle puis consacrée par la loi, elle est très protectrice du salarié, qui a ainsi le droit de prendre connaissance, dans sa lettre de licenciement, du motif de celui-ci, nonobstant ce qui a pu être dit au cours de l'entretien préalable. Cette lettre revêt une fonction très importante dans le cadre de la procédure judiciaire, puisqu'elle fixe les limites du litige : on ne pourra pas discuter, pour déterminer si un licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, d'autres éléments que ceux mentionnés dans cette lettre. De sorte que, lorsque cette dernière est mal rédigée – ce qui arrive plus souvent dans les petites entreprises que dans les grandes –, elle peut emporter des conséquences catastrophiques pour l'employeur. Pour dire les choses telles qu'elles sont, un employeur a intérêt à être odieux et à tout mettre sur le tapis. Celui qui voudra épargner son salarié en édulcorant la situation, en omettant par exemple de préciser que le salarié a commis une faute grave, perdra son procès. Ce type d'employeur n'est guère fréquent, mais j'en ai rencontré... Dans le même temps, néanmoins, je tiens aussi à assurer la protection du salarié, qui a droit à connaître les motifs de son licenciement, et à faire en sorte que l'employeur ne puisse pas, parce qu'il est attaqué devant les prud'hommes, ne pas réfléchir a posteriori aux raisons pour lesquelles il a licencié. Peut-être connaissez-vous des salariés qui ne commettent pas de fautes ; moi pas – sauf lorsqu'ils sont trop lents pour avoir le loisir d'en commettre, auquel cas la lenteur peut être une raison de les licencier… (Sourires.) On peut toujours trouver à redire d'un travail, surtout a posteriori.
La règle de l'énonciation des motifs de licenciement participe à la fois de la forme et du fond. Elle détermine complètement l'examen du licenciement tel qu'il a été prononcé. J'ai par conséquent des doutes quant à la manière dont la Cour de cassation interprétera l'amendement SPE701. En effet, le licenciement verbal est d'ores et déjà considéré comme dépourvu de cause réelle et sérieuse, puisqu'il n'est pas énoncé par écrit. De plus, dans le cas du licenciement économique, l'établissement de la cause réelle et sérieuse suppose la réunion de trois éléments indispensables : les raisons économiques, la suppression d'emploi et l'impossibilité de reclassement. Imaginons que l'employeur ne mentionne pas, dans sa lettre, le second élément parce qu'il lui semble aller de soi : il sera condamné.
Il existe actuellement une jurisprudence relative à la précision de la lettre de licenciement : ainsi la notion d'insuffisance professionnelle suffit-elle sauf en cas de faute où les choses sont plus complexes. Je ne pense donc pas que les règles aujourd'hui appliquées par la chambre sociale de la Cour de cassation seront modifiées par cet amendement, celle-ci pouvant au contraire y voir la cristallisation de sa jurisprudence. N'étant pas assuré que la rédaction proposée par le Gouvernement améliorera le droit actuel, je propose, comme je l'ai dit, de supprimer par le sous-amendement SPE708 les alinéas 3 et 4 de l'amendement du Gouvernement – mais peut-être pourrons-nous clarifier les choses d'ici à l'examen du texte en séance publique ?
J'en viens à présent au coeur du sujet : les planchers et plafonds proposés qui, selon le ministre, ne sauraient constituer à eux seuls une « barémisation » des indemnités, mais qui n'en constituent pas moins un début de barème. Le tableau proposé par le Gouvernement comporte six cases et deux critères : le premier est l'effectif de l'entreprise – plus ou moins de 20 salariés ; le second est l'ancienneté du salarié dans l'entreprise – moins de deux ans, entre deux et quinze ans, plus de quinze ans. L'amendement prévoit systématiquement un plafond d'indemnisation, et un plancher uniquement à partir de deux ans d'ancienneté. Dans le droit actuel, le plancher d'indemnisation est de six mois pour les entreprises de onze salariés et plus, tandis que, dans l'amendement du Gouvernement, le plancher est de deux mois pour les entreprises de moins de 20 salariés et de quatre mois pour les autres.
Je propose plusieurs sous-amendements à ce tableau.
La réforme gouvernementale s'inscrit dans un plan d'ensemble qui concerne les TPE et les PME. Les mesures prises visent à apporter de la lisibilité tout en tenant compte du fait que certaines entreprises ont plus de capacités d'indemnisation que d'autres. Par mes sous-amendements SPE702 et SPE706, je propose d'insérer dans ce tableau un nouveau seuil de 300 salariés, en cohérence avec ce que nous venons d'adopter dans la loi sur le dialogue social qui autorise la mise en place d'une délégation unique du personnel (DUP) en deçà de ce seuil. Je suis opposé, soit dit en passant, à la multiplication des seuils, et je n'ai pas été suivi lorsque j'ai proposé que le seuil de la DUP soit ramené à 50 salariés. Reste que, au-delà de 300 salariés, l'employeur et les syndicats ont désormais la possibilité de négocier complètement l'architecture du dialogue social interne à l'entreprise, et que, en procédant ainsi, le législateur a consacré, entre les entreprises de moins et de plus de 300 salariés, une différence de nature, tenant à leur capacité d'organisation du travail et de négociation sociale. Ce seuil me semble donc devoir être retenu lorsque l'on décide où s'arrête le droit applicable aux TPE et aux PME.
Ensuite, je propose, par les sous-amendements SPE704, SPE705 et SPE706, de modifier l'indemnisation due aux salariés ayant moins de deux ans d'ancienneté. Le Gouvernement propose de leur accorder une indemnisation plafonnée à un douzième de mois par mois d'ancienneté ; cela donne l'impression que ces salariés seraient dans une période d'essai progressive, ce que prévoient d'ailleurs certaines conventions collectives spécifiques, mais ce à quoi je ne suis pas favorable, d'autant que ce serait contraire à la convention de l'OIT relative aux périodes d'essai. Il me semble important, en deçà de deux ans d'ancienneté, de prévoir uniquement un plafond et de laisser le juge arbitrer en fonction de la réalité du licenciement prononcé et des conséquences qu'il entraîne. Je propose de fixer ce plafond à trois mois de salaire dans les entreprises de moins de 20 salariés et à quatre mois dans les autres.
Entre deux et quinze ans d'ancienneté, le Gouvernement propose que le plancher soit de deux mois de salaire dans les entreprises de moins de 20 salariés et de quatre mois dans les autres. Je propose, par le sous-amendement SPE703, de ramener de quinze à dix ans ce deuxième seuil d'ancienneté. En outre, mon sous-amendement SPE706, dont j'ai parlé voici un instant, tend à porter, dans les entreprises de 300 salariés et plus, le plancher d'indemnisation à six mois de salaire – ce qui correspond à la règle actuelle – et le plafond à douze mois pour les salariés ayant entre deux et dix ans d'ancienneté et à vingt-sept mois pour les salariés ayant dix ans d'ancienneté ou plus.
Ces modifications permettront de rapprocher la règle proposée par le Gouvernement de celle établie par la jurisprudence. Les plafonds fixés dans nos sous-amendements sont même nettement au-dessus de la moyenne constatée. C'est pourquoi nos sous-amendements nous paraissent plus équilibrés que l'amendement proposé par le Gouvernement.
À l'alinéa 11, le Gouvernement apporte des précisions juridiques afin d'éviter dès à présent tout risque de mauvaise interprétation et de confusion entre le licenciement sans cause réelle et sérieuse et le licenciement nul. Il récapitule à cet effet tous les cas de licenciement nul et vise notamment la violation de la liberté d'expression du salarié – condamnée par l'arrêt Clavaud. Je rappelle que, dans cette affaire, un ouvrier de chez Michelin avait été licencié pour avoir décrit la situation de son entreprise dans L'Humanité. Au terme d'une procédure fort longue, la Cour de cassation a jugé le licenciement comme nul au motif que l'employeur avait porté atteinte à la liberté d'expression de son salarié. Le 1° et le 2° de mon sous-amendement SPE709 ont une portée rédactionnelle, tandis que son 3° substitue à la notion de liberté d'expression celle de liberté fondamentale. Je le rectifie d'ailleurs au passage, afin d'écrire « à une liberté fondamentale », avec l'article indéfini plutôt que le possessif.
Le sous-amendement SPE710 à l'alinéa 12 est rédactionnel.
Après discussion avec le Gouvernement, je me suis laissé convaincre de retirer le sous-amendement SPE711.
Enfin, mon sous-amendement SPE707 concerne les dispositions transitoires de l'article 87 D. À l'alinéa 18 de son amendement SPE701, le Gouvernement prévoit en effet que les règles nouvelles ne s'appliqueront pas aux litiges actuellement en cours devant les prud'hommes, ce qui serait de toute façon contraire à la Constitution ainsi qu'à la Convention européenne des droits de l'homme, mais qu'elles entreront en vigueur au lendemain de la promulgation de la loi. Je propose, pour ma part, d'écrire que ces règles ne s'appliqueront pas aux licenciements dont la notification a été adressée avant l'entrée en vigueur de la loi. En effet, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme considère que l'on porte atteinte à l'un de ses protocoles facultatifs lorsque l'on fait perdre à une personne des droits auxquels elle pensait légitimement pouvoir prétendre, quand bien même elle n'aurait pas engagé l'instance nécessaire. Or, un salarié aujourd'hui licencié disposant d'un délai de prescription de deux ans peut ne pas s'être précipité pour engager l'instance. S'il attend la promulgation de la loi, il bénéficiera des nouveaux plafonds qu'elle prévoit. Il convient donc d'éviter que la loi porte atteinte à ses espérances légitimes, ce qui serait contraire au protocole précité. Le Gouvernement ne fait pas la même lecture que moi de ces dispositions, raison pour laquelle je retire ce sous-amendement, après avoir toutefois présenté mes arguments en vue de la discussion que nous aurons en séance publique.