Intervention de Emmanuel Macron

Réunion du 11 juin 2015 à 10h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi pour la croissance et l'activité

Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique :

En adoptant l'article 98 A, le Sénat a procédé à la mise en oeuvre de ce que l'on appelle l'accord offensif de maintien de l'emploi. Il s'agit en fait d'étendre l'accord de maintien de l'emploi (AME) tel que défini dans la loi du 14 juin 2013 à des sociétés qui ne traverseraient pas de graves difficultés économiques, en partant du principe qu'il est possible de déroger à la loi ou à l'accord de branche dès lors qu'un accord majoritaire a été conclu au niveau de l'entreprise.

Si je comprends les arguments avancés par M.Roumegas et suis même d'accord avec la philosophie qui les sous-tend, je lui demanderai de retirer son amendement pour se rallier au mien. Pour commencer, je suis convaincu que l'AME offensif est un cas théorique, qui ne trouve pas vraiment à s'appliquer aujourd'hui. L'AME défensif lui-même a peu de succès, et je pense que l'on obtiendra très rarement un accord majoritaire dans une entreprise pour obtenir des réorganisations du temps de travail ou d'autres modifications substantielles pouvant toucher le contrat de travail individuel – car si de telles clauses avaient des chances d'être adoptées, elles auraient été négociées en amont et figureraient dans le contrat de travail.

Si l'AME offensif me pose un problème, c'est en termes de hiérarchie des normes. Ma conviction profonde est que, sur ce point, le meilleur niveau n'est pas celui de l'entreprise, mais sans doute celui de la branche. En tout état de cause, il convient de mener une réflexion sur ce qui relève respectivement de la loi, de l'accord de branche et de l'accord d'entreprise. Une meilleure respiration doit être trouvée en la matière, et c'est l'objet du rapport que le précédent directeur général du travail, M.Jean-Denis Combrexelle, remettra au Premier ministre en septembre prochain. Cela dit, accepter qu'un accord d'entreprise majoritaire puisse déroger à un accord de branche ou à la loi me paraît constituer une manière subreptice de remettre en cause la hiérarchie des normes sans avoir réfléchi à toutes les conséquences que cela implique. À mon sens, il convient de réfléchir en amont à la hiérarchie des normes pour définir ce qui relève de l'ordre public social – en d'autres termes, quel type de dispositions relèvera de la loi précisément pour que ni accord de branche, ni accord d'entreprise, ne puisse le remettre en cause. De même, le périmètre utile de l'accord d'entreprise doit être défini.

Cette réflexion n'ayant jamais été menée, et notre droit du travail s'étant construit par sédimentation législative, des brèches se sont ouvertes dans la hiérarchie des normes – en 2004, puis à deux autres reprises – lorsqu'on a permis que certains accords de branche ou d'entreprise dérogent à cette hiérarchie. Les puristes refusent ces brèches par principe – ce qui n'empêche d'ailleurs pas certains syndicats, qui y sont opposés sur le plan national, de signer des accords locaux par pragmatisme. Cela dit, nous sommes parvenus à un point où nous ne pouvons plus nous dispenser de réfléchir de manière structurée à la hiérarchie des normes.

Pour les raisons que je viens d'exposer, je ne suis pas favorable à l'amendement du Sénat et je partage votre souhait de revenir sur la disposition adoptée par la Haute Assemblée. Je vous demande cependant de retirer votre amendement au profit de l'amendement SPE693 du Gouvernement, qui vise à retravailler l'accord de maintien dans l'emploi défensif. Ce type d'accord, prévu par la loi de sécurisation de l'emploi du 14 juin 2013, a fait l'objet d'une évaluation : au 15 mars 2015, il n'en avait été conclu que neuf, dont huit au sein de PME. Autant le dire, cela marche très mal, et ce constat de blocage est partagé par tous les partenaires sociaux, que M.François Rebsamen et moi-même avons rassemblés dès le mois de février – et qui, je le précise, ne sont pas parvenus à se mettre d'accord sur une nouvelle formule.

Par ailleurs, le bilan de la mise en oeuvre de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, remis lundi dernier, a mis en évidence plusieurs points d'insuffisance, dont certains sont traités par le présent amendement, tandis que d'autres trouvent une solution dans la loi de modernisation du dialogue social, notamment ses dispositions relatives à la représentation des salariés dans les conseils d'administration.

L'amendement SPE693, qui s'appuie sur le bilan de l'ANI, confirme les principes fondamentaux de l'accord de maintien dans l'emploi défensif. Premièrement, l'accord est conclu pour une durée déterminée, et la difficulté conjoncturelle de l'entreprise doit être avérée – c'est la principale différence avec la disposition adoptée par le Sénat. Deuxièmement, l'accord doit être signé par des syndicats représentant la majorité des salariés, et peut être suspendu par un référé devant le tribunal de grande instance à la demande de l'un des signataires, si le juge estime que les engagements ne sont pas appliqués ou que la situation économique de l'entreprise a évolué de manière significative.

Notre amendement prévoit également des évolutions de trois ordres sur l'accord de maintien dans l'emploi. Premièrement, la durée pendant laquelle l'entreprise n'aura pas le droit de licencier pourra désormais aller jusqu'à cinq ans en cas d'accord majoritaire, alors qu'elle était jusqu'à présent limitée à deux ans – ce qui est parfois trop court pour permettre le rétablissement de la compétitivité, la durée des négociations pouvant excéder six mois ; en tout état de cause, je rappelle que la durée est validée dans l'accord majoritaire.

Deuxièmement, l'accord pourra désormais prévoir les conditions et modalités selon lesquelles il peut être révisé ou suspendu, ceci afin d'éviter qu'il ne se fige définitivement à l'issue de la négociation, et pour permettre qu'en cas d'amélioration ou d'aggravation de la situation économique de l'entreprise, des dispositions dynamiques puissent être prises.

Troisièmement, il est proposé de rendre ces accords plus attractifs en précisant les conséquences de la rupture du contrat de travail en cas de refus du salarié de se voir appliquer les dispositions de l'accord. Sur ce point très important, le dialogue que nous avons eu avec le rapporteur thématique a été précieux. Un débat s'est engagé sur le point de savoir s'il pouvait s'agir d'un licenciement individuel, ou seulement d'un licenciement économique. Il est évident que, compte tenu des circonstances mêmes et du cadre de la négociation, seul le licenciement économique est envisagé. Il reposera sur une cause réelle et sérieuse, mais - c'est l'innovation que nous apportons – l'employeur ne sera pas tenu aux obligations d'adaptation et de reclassement. Toutefois, le salarié bénéficiera soit du congé de reclassement, soit du contrat de sécurisation professionnelle. Si l'on reste donc bien dans le cadre d'un licenciement économique, on écarte le risque que les meilleurs, rejetant l'accord et ses termes, obtiennent une rupture de contrat économique en bénéficiant non seulement du contrat de sécurisation professionnelle, mais également des obligations d'adaptation et de reclassement.

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