L'intervention du maréchal Sissi devant les autorités de l'université Al-Azhar était en effet frappante. Il les a interpellées en cherchant à les mettre devant leurs responsabilités à l'égard de l'image que renvoie l'islam aujourd'hui.
Le grand imam, Ahmed al-Tayeb, qui a fait ses études en France, a certainement été un peu décontenancé. Mais les responsables d'Al-Azhar ont malgré tout l'habitude d'être tancés – Nasser le faisait déjà en son temps –, et de recevoir des injonctions de la part des dirigeants égyptiens. Il faut toutefois prendre cette déclaration avec prudence. Les institutions égyptiennes fonctionnent aujourd'hui grâce à l'appui des pétromonarchies du golfe et à l'élimination des Frères musulmans rendue possible par un très fort soutien aux salafistes. Il faut donc être averti des différents registres de discours existants. Néanmoins, la question que vous soulevez mérite d'être posée. On n'a sans doute pas suffisamment prêté attention à cette déclaration. Il est vrai que l'Égypte est, à tort, souvent réduite aujourd'hui à l'ordre qui y règne et au nombre de prisonniers politiques.
Le financement des mosquées et la formation des dignitaires du culte sont deux sujets qu'il convient de distinguer. S'agissant des mosquées et des lieux de prière, on peut reprocher à la République d'être inégalitaire. Les communes sont propriétaires des églises et les départements, des cathédrales construites avant 1905. Ce sont eux qui prennent en charge aux frais du contribuable les réparations. Il serait donc légitime aux yeux d'un citoyen non chrétien que son lieu de culte bénéficie des fonds publics dans le même but. Il ne s'agit pas là d'une entorse à la laïcité – si entorse il y a, elle date de l'attribution de la propriété aux communes. Je vous recommande le rapport au ministre de l'intérieur de Jean-Pierre Machelon sur les relations des cultes avec les pouvoirs publics, dans lequel sont envisagées des dispositions pour étendre la dérogation pour les réparations. Il me semble qu'il y a là des pistes intéressantes.
Le statu quo n'est pas possible. Des lieux de prière musulmans se construisent aujourd'hui à un rythme très soutenu, environ deux par semaine. Dans les trois âges de l'islam en France – devenu islam de France –, cette question a occupé les années 1980 ; ensuite ce fut le tour de l'école avec l'irritant du voile, puis aujourd'hui du halal. Il ne me semble pas infaisable de faire évoluer les règles en matière de financement des lieux de culte. Il suffit que le législateur s'y attelle.
Quant à l'affirmation d'un lien entre financement et formation des imams, elle doit être nuancée car cela dépend aussi du type de formation des imams. Le plus souvent, l'imam est salarié d'une association. Par le passé, les contrats de travail léonins qui liaient les imams les incitaient à quitter la mosquée dès qu'ils le pouvaient pour un travail à l'usine mieux rémunéré. Aujourd'hui, toute une génération d'imams peut faire valoir des formations acquises à l'étranger de meilleure qualité. Il y a un marché du savoir islamique. Plusieurs dizaines, peut-être quelques centaines de personnes, connaissent bien l'arabe, la religion, l'imamat. La problématique est donc différente.
Faut-il organiser une formation d'imams en France ? Il me semble compliqué de vouloir imposer un contrôle de la formation des ministres du culte, quels qu'ils soient, par l'État laïc et républicain français. Vous avez cité la faculté de théologie de Strasbourg. L'idée d'étendre aux musulmans les termes d'un concordat avec les catholiques, les protestants et les juifs a été évoquée plusieurs fois. Je ne suis pas convaincu. Il me semble que la formation des imams continuera très largement à être dispensée dans les pays musulmans qui disposent d'une infrastructure idoine ; la formation des rabbins et des ministres du culte juifs a principalement lieu en Israël sans que personne n'y trouve à redire. En revanche, il importe de faire en sorte que les imams puissent être exposés à la culture et au savoir universitaire et profane. Cette approche me semble moins contraignante. On ne peut pas envisager de mettre les imams sous l'autorité du ministre de l'intérieur et des cultes et de les faire défiler en rang serré car ils perdraient immédiatement l'oreille de leurs ouailles. Ce serait leur rendre un très mauvais service. Mais, comme c'est le cas pour un certain nombre de religieux juifs ou chrétiens, et pour certains imams également, il faut favoriser les passerelles avec l'université et leur permettre de suivre des cursus afin de rompre leur isolement.
J'ai été très frappé car l'attaque de l'Hypercasher de la porte de Vincennes a eu lieu le vendredi après-midi, ce moment dans le semainier de la République laïque, après la sortie du sermon des imams et avant le sabbat, pendant que les autres partent en week-end.
Les imams qui se sont exprimés ont été très virulents contre les assassinats de Charlie Hebdo, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, parce qu'ils se sentaient menacés dans leur magistère même. J'ai ressenti ce malaise chez mes interlocuteurs. Il faut saisir la main qui nous est tendue. Le législateur peut être celui-là.
L'extension du domaine des réparations serait une façon de faire avancer les choses. Il ne s'agit pas de faire des municipalités les propriétaires des mosquées.
S'agissant du CFCM, certains ministres de l'intérieur ont eu l'illusion qu'il était possible de hiérarchiser la représentation islamique en France par le biais de ces élections étonnantes, fondées sur le nombre de mètres carrés des mosquées. Ce critère a eu pour effet de favoriser l'islam issu du monde rural dans lequel les mètres carrés sont moins chers, donc les mosquées plus grandes. Or, dans ces régions, les Marocains sont plus nombreux que les Algériens. Ce critère a donc avantagé une partie de l'imamat en fonction de son origine nationale plutôt qu'une autre.
Plus que des institutions hiérarchisées comme le CFCM dont on ne peut pas dire qu'il soit au mieux de sa forme, il serait préférable de créer des instances de dialogue sur les questions comme l'abattage et l'enterrement.
Les Turcs, comme les Maliens, forment une communauté très structurée et caractérisée par une forte solidarité, y compris financière. J'ai été frappé, en travaillant à Montfermeil, de constater que les fortunes sont turques. Les Turcs, qui étaient très engagés dans la confection, en ont été évincés au milieu des années 2000 par les Chinois ; ils se sont alors rabattus d'une part sur le BTP et d'autre part sur la restauration, selon un modèle faisant penser à l'immigration portugaise. Ils ont investi non pas tant dans l'acquisition d'un capital éducatif que d'un capital relationnel, commercial et financier. Conséquence de cette stratégie, le halal est aujourd'hui en grande partie entre les mains des Turcs, parce que les coûts, du fait de la confiance intracommunautaire, sont très faibles. C'est le phénomène de « découscoussification » de la France que vous avez peut-être remarqué en vertu duquel, dans les milieux populaires, le couscous a disparu au profit du kebab. On recense aujourd'hui un certain nombre de mécènes turcs qui donnent du travail. Mais il faut savoir que la communauté turque est extrêmement clivée en fonction de l'appartenance politique dans le pays d'origine.
Monsieur Pupponi, je vous félicite pour vos nouvelles fonctions à la tête de l'ANRU qui se trouve au coeur du problème. L'ANRU a réalisé des choses formidables sur le plan architectural. Mais toute la question des quartiers est là : on a fait du tout béton, dans l'intérêt bien compris des entreprises du BTP. Votre position à la tête de l'ANRU ne vous permet-elle pas de mener la réflexion nécessaire ? Le modèle territorial en matière de lutte contre la délinquance est une piste intéressante. Mais, si j'ose dire, la balle est dans votre camp…