Intervention de Roland Courteau

Réunion du 26 mai 2015 à 17h15
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Roland Courteau, sénateur, rapporteur :

Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des affaires économiques du Sénat a saisi l'OPECST pour que celui-ci expertise les opportunités offertes par le développement des utilisations non alimentaires de la biomasse en se situant dans la perspective de la transition énergétique.

Cette perspective reste pleinement d'actualité puisque le projet de loi en cours de discussion et qui va bientôt arriver au terme de son parcours parlementaire met l'accent sur la contribution de la biomasse aux objectifs de cet important texte.

Je dirais même que cette perspective est renforcée par la tenue à Paris de la Conférence internationale sur les changements climatiques en décembre prochain.

L'étude de faisabilité que je vous présente aujourd'hui se situe dans ce contexte mais elle s'inscrit également dans l'esprit de notre règlement intérieur qui veut que cette étude préalable présente un état des connaissances sur le sujet, qu'elle détermine d'éventuels axes de recherche, qu'elle apprécie les possibilités d'obtenir des résultats dans les délais imposés et qu'elle détermine les moyens nécessaires pour engager valablement un programme d'études.

Je vais essayer de répondre à ces exigences.

Sur l'état des connaissances sur le sujet, je dirais que nous sommes devant un foisonnement d'études, de rapports, d'initiatives, qui illustrent le progrès rapide des connaissances et des pratiques mais aussi, dans une certaine mesure, pour certaines des questions posées par le développement de la valorisation de la biomasse, la dimension encore expérimentale d'un domaine où nous nous situons encore dans une phase d'apprentissage.

Le périmètre de la biomasse n'est pas tout à fait stabilisé, ce que j'illustrerai par les difficultés à tracer des frontières entre ce qui relève des déchets et ce qui peut être immédiatement classé en biomasse mais aussi par les incertitudes, d'un poids bien plus considérable, sur les évolutions scientifiques et technologiques qui permettraient de convertir des ressources biologiques théoriques en ressources biologiques pratiquement mobilisables pour satisfaire les différents besoins non alimentaires qu'on peut identifier. C'est très particulièrement le cas s'agissant des biocarburants, en particulier de ceux de deuxième et de troisième génération. Par ailleurs, nous avons aussi des interrogations sur l'étendue de la ressource, qui peut varier à raison des modèles d'agriculture envisagés.

De plus, les utilisations de la biomasse sont susceptibles d'évoluer en fonction des progrès que la recherche, le développement et l'innovation permettront d'effectuer. Aujourd'hui, nous envisageons principalement des utilisations énergétiques, sous des angles d'ailleurs différenciés, avec la production d'énergie d'un côté, et de l'autre, la promotion de techniques plus sobres que ce soit dans le bâtiment ou dans différents matériaux d'usage plus ou moins quotidien. Demain, nous pourrions voir s'amplifier le nombre des produits biosourcés sans que l'inventaire des possibles soit aujourd'hui réalisable.

Le potentiel de mobilisation de la biomasse est donc considérable. Mais, du potentiel à la mobilisation effective, il y a un pas immense.

Et, nous ne disposons pas réellement de guides très assurés pour comprendre les déterminants du franchissement de ce pas.

Nous devons nous attacher à mieux les cerner en fonction des enjeux de toutes natures que nous pouvons imaginer.

La saisine de la commission des affaires économiques du Sénat les a mentionnés dans toutes leurs dimensions.

Enjeux écologiques, bien sûr, avec la question de la contribution de la valorisation non alimentaire de la biomasse aux objectifs de la transition énergétique sous contrainte du respect d'autres considérations écologiques : la biodiversité, l'intégrité des sols, la disponibilité de l'eau, mais aussi de contraintes aussi importantes que la couverture des besoins alimentaires. Nous sommes là face à la question importante des conflits d'usage.

Enjeux économiques et d'emploi qui posent le problème de l'existence de modèles économiques viables pour valoriser les ressources sans omettre le problème de la prise en considération des coûts associés à l'inaction si l'on devait faire l'impasse sur des ressources économes en gaz à effet de serre. Nous sommes là confrontés à la difficulté d'évaluer les coûts économiques comme d'effectuer des choix économiques, scientifiques et technologiques qui dépendent de la détermination des objectifs sociaux.

Enjeux d'indépendance stratégique aussi compte tenu de l'origine géographique des approvisionnements énergétiques qui, en plus de plomber la balance commerciale, rendent dépendant de zones où de possibles conflits peuvent devenir disruptifs pour le bon fonctionnement de la vie économique.

Tous ces enjeux soulèvent des questions formidables puisqu'ils s'intègrent dans des paradigmes différenciés, difficilement unifiables tout en se situant dans des schémas systémiques qui imposent de les combiner, sauf à manquer des synthèses nécessaires pour guider l'action.

Bref, nous avons devant nous des difficultés analytiques majeures et, en conséquence, un déficit de synthèses.

Je vais vous en donner deux illustrations :

- certains paramètres peuvent à peu près être appréhendés dans des termes marchands (le prix de l'énergie fossile, avec difficulté toutefois), d'autres sont à construire car ils sont essentiellement non marchands (le coût humain de la pollution de l'air sur lequel se penche le Sénat ou encore le coût d'opportunité de l'inaction) ;

- par ailleurs, les échelles de temps et de territoire sont très variées, ce qui pose un problème aigu de choix d'autant que les différentes parties prenantes peuvent ne pas partager les mêmes préférences. Les industriels peuvent, par exemple, privilégier le temps court tandis que les pouvoirs publics pourraient être plus partagés comme le montre le dossier des biocarburants.

Il est illusoire, sans doute, d'espérer réconcilier toutes ces questions avant d'agir. Et, de fait, nous n'avons pas attendu. Vous savez que dans le cadre de la transition énergétique, la contribution de la valorisation de la biomasse aux objectifs fixés (23 % d'énergies renouvelables dans la consommation finale en 2020 et 32 % en 2030) doit atteindre le seuil de 50 %.

Cet objectif implique une véritable stratégie, qui fait défaut aujourd'hui, mais constitue également un élément à part entière d'une stratégie plus globale de développement des biens et services biosourcés qui, elle-même, reste à définir.

Le Sénat a appelé à la définition d'une telle stratégie dans le cadre de l'examen du projet de loi sur la transition énergétique et cette stratégie dépassera certainement le champ strictement énergétique.

Ce processus va prendre un certain temps et il va devoir répondre à des questions qui ne sont peut-être pas toutes envisagées à ce stade.

Il va falloir dessiner le « système biomasse » souhaitable notamment en fonction des différents enseignements que nous pourrons tirer des analyses de cycle de vie des productions correspondantes, ce qui impliquera sans doute des choix de combinaisons de filières mais aussi des choix de pilotage scientifique.

Il va également falloir assurer la cohérence entre les objectifs et les moyens, ce qui, très certainement, supposera des choix d'intervention réglementaire et économique nouveaux une fois que seront mieux cernées les contraintes d'action à respecter dans les environnements variables.

Ces considérations me conduisent à apporter une réponse aux exigences d'une étude de faisabilité présentée à l'OPECST.

Dans l'étude écrite, je recense les travaux disponibles qui comportent des connaissances appréciables ; mais vous sentez bien qu'il y a encore beaucoup à faire pour élaborer une stratégie vraiment charpentée qui devra mettre à jour une doctrine d'action autour de choix de priorités tenant compte des bilans carbone des différentes ressources et du couple ambitions-contraintes, notamment économiques, des filières. Il faudra également déterminer les instruments de la stratégie et, par exemple, parvenir à mieux couvrir l'ensemble de la chaîne de l'innovation, ce qui suppose sans doute de rénover nos outils aujourd'hui probablement trop centrés sur la recherche et développement d'amont, et insuffisamment préoccupés des outils d'industrialisation, essentiels dans un domaine où il s'agit de disposer d'outils industriels adaptés.

Je pense que l'OPECST devra suivre le chantier qui est ouvert et favoriser son bon déroulement. En revanche, j'incline à estimer que nous ne pouvons-nous substituer aux entités où les travaux de définition de la stratégie nationale biomasse s'engagent, ni ne devons dupliquer ce qui s'y fera.

Dans cet esprit, je vous suggère que l'Office marque son implication dans un chantier qui doit pouvoir bénéficier des contributions quelque peu plurielles qu'on peut anticiper en organisant prochainement une audition publique, qui est un de nos savoir-faire reconnu. À sa suite, je vous présenterai un rapport qui pourrait comporter, outre la recension des débats, quelques informations complémentaires sur les éléments les plus pertinents tirés du constat des meilleures pratiques observables.

Je vous remercie.

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