Intervention de Jean-Sébastien Vialatte

Réunion du 26 mai 2015 à 17h15
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Sébastien Vialatte, député, co-rapporteur :

Il m'appartient d'exposer maintenant les enjeux scientifiques et technologiques, ainsi que les enjeux sociétaux, qui sont abordés dans l'étude.

S'agissant des enjeux scientifiques, nous avons fait un double constat :

˗ d'une part, l'essor de l'épigénétique s'accompagne de débats sur son statut scientifique ;

˗ d'autre part, les connaissances dans les domaines fondamental et clinique restent à parfaire, malgré l'importance des moyens technologiques mis en oeuvre.

L'essor que connaît l'épigénétique depuis une vingtaine d'années est le fruit d'un dynamisme incontestable au plan académique.

D'un côté, les publications se sont accrues de façon exponentielle : 150 publications étaient consacrées à l'épigénétique en 1990, contre 13 000 en 2011, selon les indications de Pubmed.

De l'autre, les filières d'enseignement et les équipes de recherche se sont développées tout aussi remarquablement.

En ce qui concerne les filières d'enseignement, il y a lieu notamment de relever l'attribution, en 2012, de la chaire du Collège de France « Épigénétique et mémoire cellulaire » à Mme Edith Heard, membre du Conseil scientifique de l'OPECST, confirmant ainsi l'essor pris par l'épigénétique dans l'enseignement supérieur.

Le développement des équipes de recherche est évoqué par une note de l'alliance de recherche Aviesan, qui souligne la position éminente occupée au plan mondial par les équipes françaises dans plusieurs domaines. Parmi elles figurent celles de l'Institut Curie, symbole de l'excellence de la recherche, avec cinq équipes spécialisées dans l'épigénétique, dont un laboratoire d'excellence.

Parallèlement à cet essor académique de l'épigénétique, il existe un premier débat touchant à la question de savoir si l'épigénétique est une nouvelle discipline. Cette question est loin d'être neutre puisque la réponse qui y est apportée commande, au plan juridique, différentes solutions selon qu'on voit dans l'épigénétique un prolongement de la génétique ou plutôt une discipline entièrement nouvelle.

Au plan scientifique, trois réponses à cette question peuvent être identifiées :

- la première – le plus souvent défendue par certains chercheurs nord-américains – tend à souligner la nouveauté de l'épigénétique qui serait ainsi une nouvelle discipline, voire, qui introduirait une révolution en biologie. Dans l'étude, nous rappelons, en ce qui concerne la France, que l'Académie des sciences avait organisé, en 2008, un colloque intitulé : « Épigénétique et mémoire cellulaire, une nouvelle discipline au coeur du développement des pathologies » ;

- tout en ne remettant pas en cause le paradigme de l'évolution élaboré par Darwin ni celui des mutations de l'ADN, une deuxième position considère toutefois que l'épigénétique joue un rôle essentiel en complétant la génétique ;

- une troisième et dernière position refuse de voir dans l'épigénétique un nouveau paradigme.

Ainsi, comme l'a rappelé le président Jean-Yves Le Déaut, la génétique a joué un rôle précurseur dans la problématique de la régulation des gènes, à travers la publication, en 1961, du modèle d'opéron par François Jacob et Jacques Monod. Ces derniers ont, en effet, démontré l'existence chez la bactérie, de gènes dits « régulateurs », dont la fonction principale est de moduler l'expression, au niveau de la transcription d'autres gènes.

Il y a un second débat sur les difficultés inhérentes à la quête permanente d'une définition.

Comme nous l'ont déclaré plusieurs de nos interlocuteurs, il existe une réelle inflation des définitions de l'épigénétique, qui varient selon les chercheurs et sont, de ce fait, très différentes de celles de Waddington.

C'est pourquoi l'Académie des Sciences se proposerait de définir l'épigénétique, ce que certains de nos interlocuteurs ont jugé opportun, estimant que la science ne pouvait bien fonctionner qu'à l'aide de notions et de concepts rigoureusement définis. D'autres, tout en doutant que l'Académie des sciences parvienne à instaurer un consensus, considèrent que seule la discussion fera avancer la réflexion. D'autres encore font valoir la nécessité de situer le débat non pas dans le seul cadre de la France, mais au plan international du fait du poids de la langue anglaise en la matière.

Malgré le réel essor de l'épigénétique auquel ont contribué d'importants moyens technologiques, les connaissances dans les domaines fondamental et clinique restent toutefois à parfaire.

Nous citons, parmi les différents projets de cartographie de l'épigénome depuis le début des années 2000, l'Human Epigenome Project et le projet Blueprint.

L'Human Epigenome Project, qui implique trente pays – s'est proposé de déchiffrer 1 000 épigénomes dans les sept à dix prochaines années, incluant 250 types de cellules humaines. À cette fin, les technologies employées doivent notamment permettre d'obtenir une analyse comparative des cartes de l'épigénome des modèles animaux significatives pour la santé humaine et les maladies.

Le deuxième projet – qui se déroulera de 2012 à 2016 – est le projet européen Blueprint. Partie prenante de l'Human Epigenome Project, il s'est donné comme objectif principal de déchiffrer l'épigénome hématopoïétiques de différents individus sains et de personnes atteintes de cancers malins.

Ces projets ont suscité certaines critiques. Ainsi, plusieurs chercheurs se sont opposés à l'Human Epigenome Project, non seulement en raison de son coût (200 millions de dollars) qu'ils ont jugé extrêmement élevé, mais aussi de sa non-pertinence car ils ont notamment estimé que le catalogage des modifications de la chromatine offrait peu d'informations nouvelles ou utiles. D'autres chercheurs que nous avons auditionnés ont souligné les difficultés liées à l'interprétation de la masse très considérable de données générées par de telles cartographies, dont la principale provient de la pénurie de bio-informaticiens.

Malgré un contexte technologique innovant, industriels et chercheurs sont conscients que le mode d'action des modifications épigénétiques n'est que partiellement connu.

En premier lieu, les marques épigénétiques sont-elles la cause ou la conséquence de la régulation des gènes ? Or, sur ce point, certains soutiennent que les marques épigénétiques ont le rôle premier. D'autres, en revanche, estiment que les marques épigénétiques ne font que stabiliser des états d'expression qui ont déjà été déterminés par d'autres facteurs et qu'elles ne sont qu'un verrou qui s'enclenche après que les événements régulateurs ont joué.

En second lieu demeure posée la question récurrente de l'héritabilité. Les échanges de vues organisés par la revue Nature sur l'importance de l'héritabilité épigénétique transgénérationnelle, que nous mentionnons dans l'étude, illustrent parfaitement la vigueur de ces controverses.

Comme le savoir fondamental, les thérapies épigénétiques restent également à parfaire, malgré les perspectives d'évolutions prometteuses de leur marché, dont le montant avait atteint 1,3 milliard de dollars en 2011, en ce qui concerne les ventes de médicaments anticancéreux.

Pour autant, les résultats des thérapies épigénétiques sont jugés plutôt mitigés. Par exemple, des chercheurs américains estiment que dans la gestion clinique du cancer, une claire preuve du concept de données sur l'efficacité des approches épigénétiques reste à établir.

Il apparaît que, comme nous l'a expliqué M. Michel Morange, professeur à l'École normale supérieure et à l'université Pierre et Marie Curie, les marques épigénétiques étant générales, les traitements risquent d'avoir d'importants effets secondaires, puisqu'actuellement, on ne sait pas cibler les cellules.

En ce qui concerne les enjeux sociétaux, un premier enjeu a trait au concours que l'épigénétique peut apporter à la définition des politiques publiques. Au sein de la communauté scientifique, certains chercheurs assignent des objectifs très ambitieux aux États car il leur incomberait de démontrer comment les données personnalisées sur les interactions entre gènes et environnement peuvent déboucher sur des résultats significatifs en termes de santé : va ainsi dans ce sens le projet IBISS (Incorporation biologique et inégalités sociales de santé), financé par l'ANR. Ce projet se propose d'étudier comment les expositions psycho-sociales précoces des processus biologiques impliqués dans le développement ultérieur des pathologies, ainsi que la prévalence socialement différenciée de ces expositions peuvent, en partie, expliquer les inégalités sociales observées.

D'autres chercheurs, en revanche, jugent que l'instrumentalisation de l'épigénétique ne serait pas exempte de dérives, en ce qui concerne, par exemple, les programmes d'éducation et d'information à la nutrition. Car, si les politiques de santé envoient le message selon lequel l'alimentation des parents peut être mauvaise pour les enfants, elles pourraient culpabiliser les individus sans tenir compte du fait qu'eux-mêmes héritent d'habitudes et de pratiques sociales.

Quant aux pouvoirs publics, ils prennent en compte tout ou partie des travaux des chercheurs, notamment dans le domaine de l'épigénétique environnementale. Nous citons ainsi les diverses mesures concernant le bisphénol A intervenues au cours de ces dernières années.

Sur les enjeux juridiques, on constate qu'il existe deux approches différentes :

- la première considère que l'épigénétique, s'inscrivant dans la continuité de la génétique, n'appellerait pas de nouvelles réglementations et pourrait ainsi se voir appliquer celles déjà prévues pour la génétique ;

- la seconde plaide pour une réflexion approfondie sur la nécessité de nouvelles réglementations, justifiées par la spécificité de l'épigénétique, comme nous l'a exposé M. Christian Byk, conseiller à la Cour d'appel de Paris et secrétaire général de l'association internationale « Droit, éthique et science ».

Relevant que l'épigénétique ouvre un nouveau champ, en particulier en ce qui concerne la collecte de données et d'échantillons, M. Byk a notamment considéré que l'épigénétique participe du Big Data, ce qui pose de façon amplifiée les questions des finalités de l'utilisation, de la protection des informations et de leur traçabilité.

Par conséquent, il importerait de procéder – de préférence à l'échelle de l'Union européenne – à l'analyse de la nature et de la spécificité des informations épigénétiques, et de leur particularité dans l'organisation actuelle de la protection des données.

Pour conclure, on constate que l'essor de l'épigénétique suscite des controverses et représente de très importants enjeux dans tous les domaines : la science fondamentale, les domaines clinique et médical et, enfin, dans le domaine sociétal.

C'est pourquoi, nous estimons qu'il serait très important que l'OPECST nous autorise à poursuivre notre étude, d'autant que, comme nous le rappelons, les équipes françaises occupent une position éminente dans plusieurs des secteurs concernés.

Toutefois, si l'OPECST décidait la poursuite de l'étude, il conviendrait d'en limiter le champ au domaine de la santé, qui est déjà, à lui seul, très vaste. En effet, il apparaît que la recherche en épigénétique a d'importantes retombées dans le domaine des biotechnologies, en particulier l'agriculture, comme nous l'a indiqué M. Vincent Colot, directeur de l'Institut de biologie de l'École normale supérieure.

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