Intervention de Anne-Yvonne Le Dain

Réunion du 6 mai 2015 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnne-Yvonne Le Dain, députée :

La deuxième table ronde a abordé les enjeux économiques, sociaux et juridiques des médicaments biosimilaires

– Les enjeux économiques et sociaux

Faut-il développer le marché des médicaments biosimilaires ? La réponse a été clairement oui. Nous sommes en présence d'un marché mondial : en 2014, 200 médicaments biologiques sont disponibles sur le marché et 900 autres sont en développement. On s'attend à ce que, en 2020, le chiffre d'affaire mondial généré par les médicaments biologiques atteigne 20 à 25 milliards d'euros. Certains État émergents, comme la Chine, aident leurs laboratoires à produire des médicaments biosimilaires. L'Inde et la Corée du Sud développent des capacités de production de biomédicaments, souvent en association avec des laboratoires pharmaceutiques américains ou européens.

En matière de biomédicaments, la filière pharmaceutique française n'est pas à la hauteur de ce qu'on a pu connaître en matière de chimie. Il y a donc un enjeu de rattrapage. Les biosimilaires ne constituent pas une menace pour les industries françaises ; ils représentent, au contraire, une opportunité pour augmenter les capacités de production. Il est également de l'intérêt du patient que la production se fasse en France, pour qu'elle soit plus facilement maîtrisée et contrôlable. Nous devons donc veiller à l'attractivité du territoire national, notamment en prenant soin de ne pas surréglementer et en s'attachant à apaiser les craintes par rapport à d'autres pays européens ou occidentaux.

Il ne faut pas se priver des biosimilaires. Leur existence diminue le risque de rupture d'approvisionnement dépendant d'un seul laboratoire dans le monde. Les économies réalisées devraient permettre de financer le recours à de nouveaux produits innovants. Le Comité économique des produits de santé (CEPS) applique un principe d'économie qui fait que l'introduction d'un biosimilaire doit s'accompagner d'une baisse de prix. Celle-ci est progressive dans le temps : 10 % immédiatement, avec un objectif de 30 % à terme – à comparer aux 60 % de réduction pour les médicaments génériques. Ces baisses doivent être conciliées avec la viabilité pour l'industriel, à savoir que l'opération doit être rentable, sinon il ne fournira pas le marché. L'équation est complexe, ces baisses doivent concerner équitablement les biosimilaires et leur médicament de référence. En France, la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2015 a inscrit l'objectif de 30 millions d'euros d'économies dès cette année. Certains prévoient entre 500 millions et 1 milliard d'euros d'économies annuelles à horizon 2020.

– Les difficultés juridiques

La difficulté juridique ne provient pas de la crainte pour le pharmacien de substituer, au regard des risques pour la santé du patient. En effet, en France, la responsabilité n'est établie que sur le fondement de la faute, donc imputable au fabricant. La difficulté vient du fait que la loi n'est pas directement applicable et que les parties prenantes n'arrivent pas à s'entendre sur les modalités d'application.

Les entreprises du médicament (LEEM) ont suspendu, en mai 2014, après l'adoption de l'article 47 de la LFSS pour 2014, leur participation au groupe de travail du Comité stratégique des industries de santé (CSIS). Les industriels ont exprimé, en décembre 2014, leur désir de réintégrer le groupe de concertation, mais, à la date d'aujourd'hui, les discussions n'ont pas encore repris. Les modalités de réactivation du groupe de travail ne sont pas encore définies.

Le projet de décret qui circulait au moment de l'audition publique prévoit les conditions d'élaboration par l'ANSM du répertoire des biosimilaires. Il ne règle cependant pas plusieurs questions d'importance.

Comment un pharmacien, un praticien, s'assurera-t-il qu'il s'agit d'un primo-traitement ? On peut citer l'exemple d'une femme ayant déjà suivi un traitement contre la stérilité, ou celui d'un patient souffrant d'une maladie chronique sur plusieurs dizaines d'années. Une partie de la réponse réside dans le dossier pharmaceutique.

Il convient, en effet, de mettre en place une pharmacovigilance adaptée, avec l'élaboration de plans de gestion des risques. L'enjeu en est d'assurer la traçabilité du couple patient-traitement. Un deuxième décret en préparation prévoit que la substitution par le pharmacien serait conditionnée à l'inscription sur le dossier pharmaceutique du patient, voire à sa création s'il n'existait pas. La durée de conservation des informations serait étendue de quatre mois à trois ans. Le Conseil national de l'Ordre des pharmaciens estime à 17 % le pourcentage des patients qui refusent d'ouvrir un dossier pharmaceutique. Il conviendrait, en outre, de veiller à la bonne articulation entre la médecine de ville et l'hôpital, les hôpitaux étant encore très peu avancés dans le déploiement du dossier pharmaceutique.

Le projet de décret sur les biosimilaires prévoit l'information du médecin prescripteur « sans délai et par tous les moyens ». Or le système de messagerie électronique sécurisée entre les professionnels de santé est encore loin d'être opérationnel. Les conditions de cette information du prescripteur restent encore à préciser, le ministère de la santé annonce un arrêté en ce sens, mais sans préciser d'échéance.

Comme pour les médicaments génériques, des dispositifs d'incitation à l'utilisation des biosimilaires devraient être prévus dans un second temps, pour les pharmaciens (ville et hôpital) comme pour les médecins prescripteurs. Le ministère de la santé n'a pas encore précisé ses intentions en la matière.

Une autre question se pose, celle de la dénomination des biosimilaires. Le droit européen laisse le choix entre le nom commercial et le nom commercial accompagné de celui de la substance active (dénomination commune internationale – DCI). L'article 19 de la loi « Bertrand » du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé oblige la prescription en DCI depuis le 1er janvier 2015, avec la faculté d'inscrire le nom de marque. Le projet de décret sur les biosimilaires prévoit que le nom de marque soit obligatoirement mentionné à côté de la DCI dans la prescription de biomédicaments.

Enfin, les logiciels d'aide à la prescription et à la décision, qui sont certifiés par la Haute Autorité de santé (HAS) et qui sont en fonctionnement depuis le 1er janvier 2015, ne mentionnent actuellement pas l'existence des biosimilaires. Le Gouvernement a introduit, en avril dernier, une disposition comblant ce manque par amendement au projet de loi relatif à la santé (article 161-38 du code de la sécurité sociale), le texte est maintenant au Sénat.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion