Intervention de Jean-Yves Le Déaut

Réunion du 6 mai 2015 à 17h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Déaut, président de l'OPECST :

L'article 47 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) est utile dans la mesure où il organise l'arrivée en France des biosimilaires. Mais, si l'on va trop vite et si l'on n'y prend pas garde, l'opinion publique risque de se retourner contre les biosimilaires – voire contre tous les biomédicaments. Avec de tels enjeux de santé, économiques et de développement industriel, il convient d'adopter une attitude publique responsable.

Il s'agit d'abord d'améliorer la connaissance scientifique sur ces biomédicaments. Cette industrie innovante est récente, elle est encore en phase de maturation. Le processus de fabrication à partir de cellules animales comprend des opérations complexes, comme la séparation, qui peut donner lieu à l'apparition de contaminants (virus). L'industrie pharmaceutique des médicaments biologiques n'a pas encore atteint un niveau de maturité qui permette d'assurer l'équivalence totale des effets des médicaments de référence et similaires. Les molécules de ces médicaments sont complexes (3D) et on ne dispose pas de suffisamment de connaissances, ni de méthodes analytiques pour les caractériser. Des moyens doivent donc être mis en oeuvre pour développer l'évaluation des méthodes d'analyses de tels médicaments ; la difficulté est liée à la variabilité de la formule chimique et du processus de fabrication. Il s'agit d'un problème de connaissance scientifique, à savoir l'affinage de la connaissance de ce qui se passe lors de la production de ces médicaments.

En outre, le processus de production des biomédicaments (de référence ou similaires) devrait pouvoir être certifié. Cela pourrait passer par des mesures en amont, avant la soumission du dossier du médicament à l'agence du médicament, pour certifier les sites de bioproduction. Cette certification pourrait comprendre une description précise du processus de production, avec tous les paramètres correspondants : lieu de fabrication, opérations effectuées, température, matériaux utilisés, composition moléculaire des produits, emballage final, contrôles effectués, etc. Émerge alors l'idée de définir, au besoin par un programme de recherche approprié à lancer, les méthodes qui permettraient de certifier un tel processus de production, afin qu'il en résulte un biomédicament aux mêmes effets en termes de qualité, d'efficacité et de sécurité, afin de pouvoir vérifier que les médicaments produits sont parfaitement interchangeables, quelle que soit la chaîne de production ainsi certifiée. Nous nous plaçons délibérément dans une perspective de long terme.

Il reste également à réfléchir à l'organisme certificateur, soit au sein de l'Agence européenne du médicament, soit dans le réseau des agences nationales de santé, soit ailleurs par un organisme extérieur. La direction européenne de la qualité du médicament et des soins de santé du Conseil de l'Europe (plus connue sous le sigle EDQM), regroupant, à Strasbourg, quelque 260 agents de 25 nationalités différentes, pourrait jouer ce rôle. En application de la convention du Conseil de l'Europe de 1964 relative à l'élaboration d'une pharmacopée européenne, les 37 États signataires et l'Union européenne ont pris l'engagement de travailler à l'harmonisation de la qualité des médicaments. Les États membres apportent leur contribution aux travaux en mettant à disposition les compétences d'experts en sciences pharmaceutiques et les capacités analytiques des laboratoires nationaux de contrôle. La pharmacopée européenne a pour objectif d'élaborer des normes de qualité (monographies) pour les médicaments, de répondre rapidement aux nouveaux risques sanitaires et de veiller à ce que les méthodes analytiques décrites dans les monographies soient vérifiées expérimentalement et validées. Travaillant en lien étroit avec les agences européenne et nationales du médicament, l'EDQM a développé, depuis 1994, une procédure de certification de conformité aux monographies de la pharmacopée européenne. Cette procédure de certification vise à assurer un contrôle de la qualité des substances utilisées dans les médicaments et donc à certifier qu'elles sont conformes aux exigences de la législation pharmaceutique européenne. L'évaluation des dossiers qualité soumis par les fabricants est complétée par un programme d'inspection des sites de fabrication, principalement en Asie (Chine, Inde..). Enfin, l'EDQM coordonne le réseau européen des laboratoires officiels de contrôle des médicaments, mise en place en 1994 à la demande de l'Union européenne. Il est à noter que l'EDQM a déjà développé une expertise en matière de biomédicaments, avec son « programme de standardisation biologique » visant, en lien avec la Commission européenne, à établir des matériels biologiques de référence, à développer et valider de nouvelles méthodes d'analyse, ainsi qu'à valider des méthodes alternatives à l'expérimentation animale.

En outre, il convient d'introduire une nomenclature plus fine de ces biomédicaments, qui tienne compte des caractéristiques de production ; la dénomination en dénomination commune internationale (DCI) ne suffit pas. Une des possibilités serait de rajouter quatre lettres à la dénomination en DCI, pour caractériser le lieu de fabrication, le laboratoire et le processus de fabrication.

La clé du succès de l'acceptation par tous des médicaments biologiques et de leurs biosimilaires réside dans la confiance de tous les acteurs : les médecins prescripteurs, les pharmaciens et les patients. Cette confiance nécessite un effort important d'information et de formation. Le ministère de la santé réfléchit à l'établissement d'un référentiel des biomédicaments (de référence ou similaires), avec leurs indications et leurs précautions de traitement. En effet, cette idée pourrait être très utile pour tous les acteurs.

Pour toutes ces raisons, il convient donc de se poser la question de la date d'entrée en vigueur de l'article 47 de la LFSS pour 2014. Celle-ci dépendrait d'une évaluation par l'OPECST, ou par un autre organe compétent du Parlement, du degré de maturité de la maîtrise fine de la caractérisation des biomédicaments et de leurs similaires. L'OPECST entend ainsi être étroitement associé, par l'intermédiaire d'un groupe de travail constitué en son sein, à l'élaboration du décret d'application de l'article 47 de la LFSS pour 2014.

Je soumets ces conclusions à notre discussion.

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