Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m'avoir invité en tant que président du conseil d'administration d'Areva. Face à la crise qu'affronte le groupe, le Président de la République a adopté, le 3 juin dernier, une position importante, qui engage les acteurs de la filière nucléaire française à de profondes évolutions. Cet arbitrage était attendu et nécessaire. Pour ce qui me concerne, j'ai découvert, à mon arrivée chez Areva, une situation grave – à vrai dire plus grave que celle à laquelle je m'attendais.
Les raisons de cette crise sont aujourd'hui connues ; Philippe Knoche vous les a exposées ici même il y a quelques semaines. Elles tiennent d'abord à des problèmes de gestion : une maîtrise insuffisante des grands contrats et des grands projets, en premier lieu l'EPR finlandais dont l'impact est majeur sur les comptes du groupe ; des choix d'investissements malencontreux, notamment dans la mine ou dans les énergies renouvelables ; enfin, une adaptation, que l'on peut qualifier de trop lente, de l'organisation et des ressources humaines au bouleversement du marché nucléaire suite à l'accident de Fukushima.
À ces problèmes de gestion s'est ajouté un manque de cohérence dans les stratégies d'EDF et d'Areva, notamment dans deux domaines : les approvisionnements en matières nucléaires et les grands projets à l'international – parmi lesquels celui d'Abu Dhabi, que tout le monde a en tête. De plus, nous avons enregistré en 2014 une forte baisse des prix de l'uranium et des matières du cycle nucléaire en général, et avons constaté le glissement du redémarrage des réacteurs japonais et d'un certain nombre de projets à l'international.
Face à cette crise aigüe de gestion et de compétitivité, qui s'est traduite assez massivement dans les comptes de l'exercice 2014, ma première décision a été de demander à Philippe Knoche d'élaborer un plan de compétitivité – afin d'ajuster nos ressources à la réalité du marché – et de maîtrise des grands projets.
Ce plan à court terme doit stopper l'hémorragie de cash. Il vise également à approfondir les enjeux industriels auxquels la filière nucléaire dans son ensemble est confrontée. À l'heure des décisions, il ne faut pas perdre de vue ces grands enjeux communs à EDF et à Areva, car ils sont l'horizon de notre travail. Il s'agit, pour la filière, de développer une gamme de réacteurs compétitive, c'est-à-dire d'améliorer la compétitivité de l'EPR et de développer la gamme de moyenne puissance. Dans le contexte de la transition énergétique en France, nous devons aussi réussir le grand carénage et nous préparer au renouvellement du parc – nous en saurons plus, à ce sujet, sur la programmation pluriannuelle et sur les objectifs d'ici à la fin de l'année. Enfin, il nous faut conclure un partenariat stratégique avec la Chine, marché au coeur de tous les scénarios de croissance puisque ce pays construira, d'après les estimations, cinq réacteurs par an d'ici à 2030 : cela représente 50 à 60 % de la croissance du parc mondial.
Dans ce cadre, la direction générale d'Areva a présenté, en mars dernier, les grands axes d'une feuille de route stratégique reposant essentiellement sur une refondation du partenariat avec EDF et le développement du partenariat avec la Chine, ainsi que les axes d'un plan de compétitivité. Depuis, nous avons travaillé aux options de financement qui permettront de désendetter le groupe et de le relancer sur des bases saines. Pour ce faire, nous avons examiné un certain nombre de scénarios à l'aune de trois critères : leur sens industriel au regard des objectifs que j'évoquais, les risques d'exécution et le bouclage des besoins de financement d'Areva.
Un jalon essentiel a été posé le 3 juin dernier puisque, sur la base des travaux des industriels et des ministères concernés, le Président de la République a tranché et fixé un cap. Je résumerai les éléments essentiels de sa décision. Le groupe EDF prendra le contrôle d'une nouvelle société dédiée à la conception et à la gestion des projets de réacteurs neufs ; il prendra également le contrôle des activités de service, d'équipements et de combustible pour les réacteurs, logées dans Areva NP – ex-Framatome –, et ce sous réserve de la conclusion d'un partenariat stratégique avec Areva, qui restera minoritaire dans Areva NP pour se recentrer sur les activités du cycle du combustible – soit sur ce qui relevait, pour l'essentiel, des activités de la Compagnie générale des matières atomiques, la COGEMA. L'État s'engage par ailleurs à recapitaliser Areva à la hauteur nécessaire le moment venu, et des garanties ont été apportées sur la qualité du dialogue social, la gestion de l'emploi et la préservation des compétences clés de la filière.
Il y a un temps pour les réflexions et un temps pour la mise en oeuvre des décisions. Durant les trois derniers mois, toutes les options ont été étudiées et chacun a pu exprimer son point de vue. À titre personnel, j'ai soumis aux représentants de l'État un scénario différent, sur un seul point, de celui adopté le 3 juin : afin d'assurer l'indispensable cohésion entre les stratégies d'EDF et d'Areva dans le domaine des réacteurs, j'ai en effet proposé de faire d'EDF un actionnaire minoritaire et stratégique d'Areva NP, plutôt que de placer le second sous le contrôle majoritaire du premier. Ce scénario, qui permettait de faire d'Areva un équipementier et fournisseur de matières avait l'avantage, selon moi, de présenter moins de risques d'exécution car il préservait, pour l'essentiel, l'intégrité de la société. Le Gouvernement a tranché en faveur d'un contrôle majoritaire d'Areva NP par EDF, sous réserve du partenariat stratégique que j'évoquais.
Compte tenu de l'urgence, il fallait prendre une décision. Je comprends les attendus de celle qu'a prise l'État ; elle modifiera profondément l'organisation de la filière nucléaire française. Ce changement de logique doit être salutaire. De la comparaison des scénarios, il faut désormais passer à la co-construction d'un partenariat stratégique global entre EDF et Areva, avec le soutien de l'État. Nous n'avons en effet qu'un mois de levée de réserve pour mettre en oeuvre les décisions, qui impliquent donc un changement dans la dynamique des relations entre les deux groupes.
Ma responsabilité de président du conseil d'administration est de travailler, au côté de Philippe Knoche, à l'élaboration d'un modèle économique robuste pour le nouvel Areva. J'assume cette responsabilité devant l'actionnaire, bien entendu, mais aussi devant les salariés du groupe et les parties prenantes, dont certaines sont présentes dans cette salle.
Je vois trois conditions au succès, au-delà du plan de compétitivité qu'Areva doit mettre en oeuvre, l'effort que l'entreprise doit faire sur elle-même étant essentiel. Un plan et un accord de méthode font l'objet d'une discussion avec les représentants du personnel. L'État doit continuer à apporter son soutien à ce plan. La première condition du succès est la conduite d'une négociation équitable avec EDF sur la valorisation d'Areva NP ; à ce sujet, la proposition d'EDF doit être revue. La deuxième condition est l'ouverture d'une négociation elle aussi équitable sur les contrats relatifs au retraitement – je pense bien entendu au centre de La Hague, dont EDF est client à plus de 90 % – et à la conversion, pour laquelle Areva a lancé un investissement coûteux, avec l'usine de Comurhex, dont le coût atteint 1,3 milliard d'euros ; cette usine étant actuellement en surcapacité, EDF doit nous apporter davantage de volume d'activité. Troisième condition : le partage équitable du risque du chantier finlandais. Cette épée de Damoclès, qui pèse depuis longtemps sur le groupe, peut en effet compromettre les scénarios d'avenir.
Pour qu'Areva soit viable une fois recentré sur le cycle du combustible, il faut donc que le plan de compétitivité soit rapidement lancé, que les trois conditions que je viens d'évoquer soient réunies et que l'État participe, comme il s'y est engagé, à l'augmentation de capital. Nous avons un mois pour atteindre l'objectif ; l'État a envoyé un message de confiance en annonçant une recapitalisation d'Areva au niveau nécessaire. Il appartient désormais à Areva, à EDF et à l'État de relever collectivement le défi posé par le Président de la République ; cela suppose un changement radical du niveau de coopération entre EDF et Areva.
En tant que président du conseil d'administration, je dois garantir l'intérêt social d'Areva et assurer la meilleure gouvernance en cette période cruciale. J'ai ainsi décidé la création, au sein du conseil d'Areva, d'un comité ad hoc – comme le président du conseil d'administration d'EDF l'avait fait dans le cadre de son offre –, composé de trois administrateurs indépendants et de l'administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Il formulera des recommandations appropriées sur la valorisation d'Areva NP, sur le partenariat stratégique avec EDF et sur les termes des contrats commerciaux.
Le nouvel Areva pourra alors se doter d'un projet de reconquête et nourrir de solides ambitions, car il dispose d'atouts indiscutables, dont on parle trop peu. Dans tous les métiers du cycle nucléaire – mines, amont et aval –, il dispose ainsi d'un leadership technologique unique au monde et d'usines admirées par l'ensemble de l'industrie nucléaire. Aucun autre pays ne dispose d'un tel capital industriel, ne l'oublions pas.
Par ailleurs, le capital humain du groupe s'appuie sur les meilleurs ingénieurs et techniciens français – d'où la nécessité de mener rapidement les réformes en cours pour les conserver. Les représentants du personnel montrent également un grand sens des responsabilités dans le cadre du dialogue social. Enfin, le management et les salariés ont fait preuve d'un grand professionnalisme : il faut saluer leur capacité de résilience face à des renoncements difficiles.
C'est parce que le nucléaire apporte beaucoup à la France que la France a besoin d'une industrie nucléaire forte et relancée sur des bases assainies. Le nucléaire est un facteur de compétitivité, d'indépendance stratégique et de lutte contre le changement climatique ; il reste une filière d'avenir en France comme à l'international. Cette filière regroupe 450 entreprises en France, lesquelles emploient directement 125 000 personnes, et contribue chaque année à notre balance commerciale à hauteur de 6 milliards d'euros. Pour toutes ces raisons, Areva mérite qu'on lui donne un nouveau départ.