Intervention de Caroline Gervais

Réunion du 10 juin 2015 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Caroline Gervais, ingénieure générale de l’armement :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je suis très honorée d'avoir à vous présenter ce dossier. Celui-ci est très technique, mais je vais m'efforcer d'être aussi claire que possible.

Je vous exposerai d'abord l'apport de la méthodologie des programmes d'armement avant de passer à la gouvernance du projet, à ses coûts et son calendrier, et conclurai en évoquant les chantiers permettant d'assurer la gestion des risques.

La rémunération des personnels militaires est une opération complexe. Cette complexité provient non seulement du nombre important de personnels à rémunérer – environ 250 000 –, mais également des centaines de situations différentes créées par la très grande diversité de métiers et de missions existant au sein du ministère de la Défense. Ainsi, un militaire ne percevra pas la même solde s'il est en caserne, en stage d'entraînement ou en mission à l'étranger, le globe étant par ailleurs découpé en différentes zones ayant chacune leur propre barème indemnitaire.

Prenons un exemple concret : un bateau part de Toulon pour une mission dans l'océan Indien. Jusqu'à Djibouti, les marins perçoivent une certaine prime dont le taux dépend de la zone géographique. Après Djibouti, lorsque le bateau entre dans une zone OPEX, les marins perçoivent une autre prime, qualifiée d'« indemnité de sujétions pour service à l'étranger ». Si la mission évolue et que le navire quitte l'océan Indien pour poursuivre sa mission en direction de Nouméa, on en revient à la prime précédente, dont le taux aura changé en même temps que la zone géographique.

Bien d'autres composantes sont à prendre en compte, notamment la position statutaire, la situation maritale, le nombre d'enfants et les qualifications : au total, plus de 220 éléments de rémunération entrent en considération pour le calcul de la solde de chaque militaire. Enfin, toutes ces informations proviennent de quatre sources différentes – une pour chacune des trois armées et une pour le service de santé des armées, chaque système d'information RH étant indépendant et présentant des différences significatives. Cela entraîne une complexité que nous devons gérer au quotidien.

Afin de construire le futur système de rémunération des militaires, le ministre a donc fait appel à la direction générale de l'armement (DGA) pour conduire le projet Source Solde à la manière d'un programme d'armement : il s'agissait de faire appel à des techniques parfaitement maîtrisées par le ministère en matière de conduite de grands projets. L'instruction générale 1516, qui régit les programmes d'armement, fait une distinction très nette entre les responsabilités des différents acteurs : le maître d'ouvrage – la direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRH-MD) –, le maître d'ouvrage délégué – la DGA – et le maître d'oeuvre – en l'espèce, la société Sopra Steria.

Le maître d'ouvrage est responsable de la définition du besoin, de la coordination des états-majors, de la préparation du déploiement – à savoir l'accompagnement du changement et la formation des futurs utilisateurs – et de la conduite des expérimentations – c'est-à-dire les phases de solde à blanc et de solde en double, dernières étapes avant le passage définitif à Source Solde.

Le maître d'ouvrage délégué est responsable de l'élaboration de la réponse au besoin, de la garantie du respect des coûts, des délais et de la performance du système, de la contractualisation, du suivi d'exécution et de l'acceptation des prestations, ainsi que de l'accompagnement de l'expérimentation.

Quant au maître d'oeuvre, il a une obligation de résultat sur la réalisation du système dans le respect des coûts, délais et exigences figurant au marché. Il est engagé sur la réalisation de la totalité du système, contrairement au dispositif retenu pour Louvois.

Le projet débute par une définition de l'état à atteindre – décrit dans le programme fonctionnel tenant lieu de fiche de caractéristiques militaires et ayant été fourni aux candidats – et des jalons sont fixés. Aucun jalon n'est franchi tant que les critères correspondants ne sont pas remplis – en d'autres termes, l'avancement dans le temps ne justifie pas à lui seul qu'un jalon soit franchi. L'engagement de l'industriel est assuré par de lourdes pénalités, et il doit justifier que ses choix de conception permettent de respecter les exigences de l'administration.

L'équipe intégrée compte actuellement douze personnes pour la DGA – des spécialistes en conduite de projets – et vingt-cinq personnes pour la DRH-MD – des spécialistes du métier de la solde. Elle est dirigée par un tandem composé de la directrice de programme – moi-même – et d'un officier de programme de la DRH-MD. Ce copilotage permet d'assurer la bonne prise en compte des besoins des différentes parties. Côté industriel, environ cinquante personnes de la société Sopra oeuvrent à l'élaboration du système.

Dans les phases d'élaboration – correspondant à la passation du contrat – et de réalisation, le programme est placé sous la responsabilité de la DGA. Conformément aux principes de la conduite des programmes d'armement, un transfert de responsabilité aura lieu vers la DRH-MD en fin de réalisation, quand le système sera complètement stabilisé, c'est-à-dire vers 2020.

Le projet est régi à la fois par les instances de gouvernance des programmes d'armement et par les instances qui, au ministère de la Défense, régissent les systèmes d'information d'administration et de gestion (SIAG). Comme tous les projets, il dispose d'une gouvernance intrinsèque : d'une part, un comité de pilotage et un comité de gestion de configuration présidés par moi-même ; d'autre part, un comité directeur présidé par le DRH-MD. De plus, l'avancement du programme est présenté mensuellement au directeur de cabinet du ministre.

Le programme est également présenté aux revues de la délégation aux SIAG lors de chaque changement de phase, et fait l'objet d'un suivi par la direction interministérielle des systèmes d'information et de communication (DISIC), qui s'assure régulièrement que le projet est correctement gréé, que les risques sont suffisamment maîtrisés et que l'avancement est nominal. Pour la DISIC, il s'agit également de s'assurer que Source Solde s'intègre bien dans la feuille de route interministérielle du programme de modernisation RH-Solde.

Pour ce qui est des coûts, le montant maximum du marché notifié à Sopra Steria pour une durée de dix ans est de 128 millions d'euros. Ce prix comprend la réalisation de Source Solde, à savoir l'achat des licences d'exploitation des progiciels, le travail de développement et de paramétrage, ainsi que tous les tests et la conduite du changement, dont la formation des utilisateurs à ce nouvel outil. Il comprend aussi la mise en service et la maintenance corrective et évolutive du système jusqu'en 2025. Comme son nom l'indique, la maintenance corrective est celle visant à remédier d'urgence aux problèmes qui se présentent. La maintenance évolutive comprend, elle, les modifications qui résulteront des changements de la réglementation. Ces changements sont parfois importants : c'est le cas de la déclaration sociale nominative (DSN), obligatoire pour les entreprises au 1er janvier prochain et envisagée pour les administrations dans les années à venir.

J'en viens au calendrier. Le ministre a annoncé sa décision de remplacer Louvois le 3 décembre 2013 à Varces. La délégation de gestion – justifiée par le fait que la conduite d'un SIAG n'entre pas dans les missions de la DGA – a été faite dès le 30 janvier 2014. Le lancement de la procédure de passation de contrat par la publication de l'avis d'appel public à candidature, auquel ont répondu cinq sociétés, a eu lieu le 1er février, et la définition du besoin, traduite dans le programme fonctionnel, le 1er avril. L'envoi du dossier de consultation des entreprises aux trois candidats admis au dialogue, à savoir Sopra, Atos et le groupement formé par Accenture, CGI et SAP a été effectué le 18 avril.

Un premier tour d'auditions des candidats a été effectué en juin et juillet 2014, puis un deuxième tour en octobre et novembre 2014. L'évaluation des prototypes remis par les candidats a été faite en novembre 2014 et janvier 2015. La procédure s'est achevée par la remise des offres finales des candidats le 11 février 2015. Enfin, le dépouillement des offres, puis le classement des candidats ont conduit à la notification du contrat à Sopra Steria le 22 avril 2015. Je souligne que le calendrier de la procédure a été tenu : il n'y a aucun retard par rapport au calendrier fixé par le ministre en décembre 2013.

Le calendrier des travaux à venir est le suivant. En 2015 aura lieu le développement de la solution technique. C'est la phase durant laquelle Sopra va assurer l'encodage des règles de calcul des éléments de rémunération, la réalisation des interfaces avec les dix-huit systèmes d'information, dont les quatre systèmes d'information « ressources humaines », la construction de l'architecture technique du système – réalisation des bases de données, intégration du système sur les serveurs du ministère de la Défense – et effectuer, à la fin de l'année, les tests industriels de la version pilote. En parallèle, nous effectuons une mesure de la qualité des données utilisées pour la solde – provenant principalement des systèmes d'information RH – avec l'assistance d'un prestataire informatique.

L'année 2016 sera presque intégralement consacrée aux tests, consistant d'abord en la qualification du système, c'est-à-dire la vérification de sa conformité aux exigences de l'administration, avant que nous ne passions aux phases de solde à blanc et de solde en double de la marine. En 2017, nous procéderons à la mise en service opérationnel de Source Solde pour la marine ; en 2018, à la mise en service opérationnel pour l'armée de terre ; en 2019, à la mise en service opérationnel pour le service de santé des armées et l'armée de l'air.

Le rapport publié par votre commission le 11 septembre 2013 faisait état d'un certain nombre de risques. La gestion des risques de Source Solde est assurée par deux chantiers internes au programme, et cinq chantiers externes.

Les chantiers internes sont entièrement pilotés par le programme Source Solde. Il s'agit tout d'abord de la réalisation des fiches de spécification du droit indemnitaire, en avance sur la phase de réalisation. Ces fiches, dont la rédaction a constitué un énorme travail de dérisquage, fournissent une description du droit compréhensible par une société de services en ingénierie informatique (SSII), non ambiguë, réglementaire et harmonisée ; ce chantier est pratiquement terminé.

Le deuxième chantier consiste en la gestion de configuration. Je rappelle que Source Solde est interfacé avec dix-huit systèmes d'information et référentiels. Il s'agit donc d'assurer la maîtrise de la coordination des évolutions de chacun des éléments de cet ensemble – résultant notamment de l'évolution de la réglementation, ou encore des bases de données RH – et d'assurer l'existence et l'utilisation de procédures et moyens de tests associés. Ce chantier sera permanent : il durera aussi longtemps que Source Solde fonctionnera.

Les chantiers externes sont pilotés par la DRH-MD et le service du commissariat des armées (SCA), selon leurs responsabilités. Il s'agit de la réalisation des nouvelles interfaces des systèmes liés à Source Solde – essentiellement les systèmes d'information de gestion des ressources humaines (SIRH) – ; de la mesure de la qualité des données impactant la solde et de la mise en qualité, effectuée par les gestionnaires RH ; de la gestion des données de référence du domaine RH – un chantier permanent qui fonctionne très bien – ; de la définition des processus et de l'organisation de la chaîne RH-Solde, confiée essentiellement au SCA ; enfin, de la formation au métier de la solde – la formation incluse dans le programme ne concernant que la formation à Source Solde.

En conclusion, Source Solde est un programme particulièrement complexe en raison de la complexité de la solde en elle-même, mais aussi du nombre de parties prenantes et du nombre de systèmes d'information en interfaces. Le savoir-faire de la DGA et ses méthodes éprouvées permettent un avancement du programme Source Solde nominal à ce jour, ainsi qu'une bonne maîtrise des risques.

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