Intervention de Isabelle Attard

Réunion du 10 juin 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaIsabelle Attard :

Martine Faure, mille mercis pour votre excellent rapport, cela fait trois ans que j'attends que nous parlions d'archéologie au sein de cette commission. Vous n'êtes pas une spécialiste, avez-vous dit, mais vous l'êtes devenue en quelques mois grâce à votre écoute des différents acteurs de terrain.

Archéologue, c'est un métier qui faisait rêver et qui fait toujours rêver. Mais à la lecture de ce rapport, on rêve déjà beaucoup moins.

Il y a déjà plus d'une dizaine d'années, les archéologues de l'AFAN puis de l'INRAP étaient considérés comme des empêcheurs de tourner en rond par les aménageurs, les responsables d'entreprises de BTP, qui voyaient d'un mauvais oeil l'arrivée des équipes d'archéologie préventive, au prétexte qu'elles ralentissaient les chantiers et les empêchaient de finir en temps et en heure.

Et pourtant, sans archéologie préventive, pas de découverte de villas gallo-romaines ou de sites néolithiques sur le tracé du TGV-Nord. Sans archéologie préventive, pas de découverte du même type sur le tracé des nouvelles autoroutes. Lorsqu'un parking souterrain est en construction, quelle que soit la ville, vu la richesse de notre patrimoine en France, on trouve toujours quelque chose.

Dans ces conditions, le choix est simple. Soit on considère qu'il faut se débarrasser au plus vite de notre patrimoine. Dans ce cas, toutes les entreprises privées vont aller vers le moins-disant et toutes les traces de notre culture vont disparaître. Soit on décide de se préoccuper de cette archéologie préventive, car c'est notre histoire sur des milliers d'années que nous mettrons à mal si nous ne faisons pas faire ces travaux de fouille. En effet, pendant des années – et j'aimerais savoir si c'est toujours le cas –, certaines découvertes ont été passées sous silence pour ne pas ralentir les chantiers. Je n'ose imaginer combien de sculptures, de statues, de sites ont été ravagés par médiocrité ou par absence de fouilles.

Il y a une dizaine d'années, je ne voyais pas d'un très mauvais oeil ces sociétés privées, qui avaient fait leur preuve à l'étranger, arriver en France, comme Oxford Archaeology. J'ai pensé qu'il ne serait pas inutile qu'elles complètent le travail de l'INRAP sur le terrain, qui n'avait peut-être pas les moyens ni le personnel nécessaires pour être opérationnel sur tous les chantiers. Soit dit en passant, Oxford Archaeology s'appelle aujourd'hui Chronoterre Archéologie, cela fait plus français…

Mais quel est le résultat de cette ouverture à la concurrence ? Qui surveille et qui exige le respect du cahier des charges auquel sont soumises ces entreprises privées ? Qui va garantir qu'elles feront le même travail que les équipes de l'INRAP formées dans nos universités ? Car c'est l'argent des contribuables qui finance la qualité du travail des chercheurs où qu'ils se trouvent – collectivités territoriales, INRAP, entreprises privées. La question est donc posée du contrôle a posteriori des exigences scientifiques.

Vous décrivez d'ailleurs dans votre rapport un secteur en crise avec des « pratiques de dumping économique et social, bien éloignées du respect des exigences scientifiques de la discipline archéologique ». On parle bien d'exigences : il ne s'agit pas de bâcler pour le plaisir de certains aménageurs qui veulent voir terminer rapidement les fouilles pour passer aux vrais travaux.

Par conséquent, j'aimerais savoir si les services de l'archéologie travaillent en bonne intelligence avec les services de l'urbanisme, grâce à la carte archéologique. Celle-ci permet, en effet, de faire les meilleurs choix pour le lieu de construction, afin de détruire le moins possible et, par ricochet, de payer le moins possible de redevance. L'image négative de l'archéologie préventive s'est-elle améliorée au fil des années pour être totalement intégrée à cette chaîne de l'aménagement du territoire, tel que cela avait été prévu initialement ? Bref, comment rendre efficace et fluide, parmi cette multiplicité d'acteurs, l'intégration des archéologues dans la chaîne des aménagements ?

La formation des archéologues qui travaillent à l'INRAP et dans les collectivités territoriales est essentielle. Il existe des passerelles entre les équipes du CNRS et les équipes de l'INRAP. Mais est-il possible d'améliorer la formation ? Car exige-t-on des entreprises privées qu'elles forment en continue leur personnel ? Permet-on des passerelles ? Intègrent-elles un pourcentage de chercheurs de nos universités ? En l'occurrence, le problème est celui du respect des exigences scientifiques de la discipline.

Ne dit-on pas que, lorsqu'on veut tuer son chien, on l'accuse de la rage ? Cette expression s'applique parfaitement à l'archéologie préventive et à l'INRAP. L'ouverture à la concurrence, en favorisant la multiplicité des entreprises privées et en faisant en sorte que le moins-disant l'emporte à chaque fois, risque de mener l'INRAP, qui a déjà du mal à récupérer les sommes de la redevance d'archéologie préventive, à ne plus pouvoir faire son travail et nous dirons alors dans quelques mois qu'il fait mal son travail et qu'il suffit de le supprimer ! J'espère que nous n'en arriverons pas là.

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