Intervention de Didier Migaud

Réunion du 28 novembre 2012 à 16h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je suis heureux de répondre à votre invitation pour vous présenter le contenu du rapport qu'a publié la Cour en juillet dernier sur le bilan à mi-parcours de la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et je salue à mon tour la présence de la délégation irakienne.

Pour présenter ce rapport, je suis entouré de Gilles-Pierre Levy, président de la deuxième chambre, qui l'a préparé, de Stéphane Jourdan, auditeur et rapporteur, et de Françoise Saliou, conseillère maître et contre-rapporteure.

Vous le savez, en matière de politique de défense, l'année 2012 n'est pas comme les autres. En effet, la loi de programmation a prévu qu'un bilan à mi-parcours serait réalisé cette année afin de tirer les premiers enseignements de sa mise en oeuvre et d'ajuster, le cas échéant, les objectifs visés comme les moyens prévus. Cette réflexion est également rendue nécessaire par le durcissement de la contrainte liée au redressement des finances publiques, lequel devrait imposer à la mission « Défense » une stabilisation en valeur de ses dotations budgétaires à hauteur de 30,15 milliards d'euros pour les trois prochaines années, hors pensions et hors recettes exceptionnelles, comme le prévoit le projet de loi de programmation des finances publiques.

Le Gouvernement a annoncé qu'un nouveau Livre blanc serait élaboré et qu'une nouvelle loi de programmation serait soumise au vote du Parlement en 2013. C'est dans ce contexte que la Cour a cherché à apporter sa contribution à la réflexion actuelle sur les questions de défense. Le titre du rapport public thématique peut donner l'impression que son analyse est seulement rétrospective, mais tel n'est pas le cas puisqu'il propose des pistes d'économies envisageables et dessine une méthode pour que les pouvoirs publics puissent procéder aux ajustements nécessaires.

La contribution de la Cour des comptes s'inscrit dans les limites naturelles liées à son rôle et ses missions : elle n'a naturellement pas à se prononcer sur le volume global de l'effort que la nation peut consacrer à sa défense, qui relève d'un choix politique, ni à prendre position sur les types d'équipements qu'il convient de renforcer ou de réduire. En revanche, la Cour peut éclairer les enjeux des arbitrages à venir et elle se doit d'identifier les pistes d'économies qui méritent d'être examinées en priorité, dans la limite où celles-ci ne portent que marginalement atteinte aux capacités opérationnelles des forces.

Revenons brièvement sur le contexte de 2009. L'élaboration de la loi de programmation s'était appuyée sur une réflexion stratégique sur l'état des menaces dans le monde, les intérêts et les ambitions de la France et les moyens de faire face à ces menaces, traduite dans le Livre blanc de 2008. Les capacités visées pour les armées, que vous connaissez, ont entraîné un effort de modernisation des forces, par l'acquisition notamment de nouveaux équipements, mais aussi une réduction de l'ambition des contrats opérationnels par rapport à ceux fixés auparavant dans le modèle dit « Armée 2015 ».

La LPM de 2009 a permis de traduire concrètement ces objectifs en termes de moyens budgétaires et elle s'est enrichie par rapport aux lois antérieures en incluant dans son champ non seulement les dépenses d'équipement, mais également les dépenses de personnel et de fonctionnement. Son périmètre est donc tout à fait comparable avec celui de la mission « Défense » du budget de l'État, hors pensions. Ainsi, une dépense cumulée de 180 milliards d'euros est prévue pour la période 2009-2014, et de 377 milliards jusqu'en 2020, calculée en euros de 2008.

La LPM prévoyait une évolution des dépenses au même rythme que l'inflation entre 2009 et 2011. Puis, à partir de 2012, une augmentation supérieure de 1 % à l'inflation. Vous êtes bien conscients que cette norme de dépense était bien moins sévère que celle appliquée aux autres missions du budget de l'État, soumises à la norme « zéro valeur ».

Le choix retenu en 2009 pour financer les nouveaux équipements tout en contenant l'évolution spontanée des dépenses militaires, qui va au-delà de l'inflation, a été de réduire de façon importante le nombre des personnels militaires. La loi de programmation prévoit ainsi une réduction d'effectifs d'en moyenne 7 600 emplois par an, jusqu'en 2015, soit au total 54 000 emplois et 17 % de l'ensemble de l'effectif du ministère. Les économies entraînées par ces réductions d'effectifs ne visaient donc pas à contribuer au désendettement, comme pour les autres ministères, mais à participer au financement de la modernisation des forces. Dans l'ensemble, la Cour relève que cette démarche a permis de mettre en cohérence les objectifs, les capacités et les moyens budgétaires des forces armées.

Quatre années après la mise en place de ce cadre, le contexte a profondément évolué et, avant de vous présenter le bilan et les messages de la Cour, je souhaite insister sur deux défis importants qui jouent en sens opposé : la contrainte nationale de redressement des finances publiques et un contexte mondial de concurrence internationale avivée dans le domaine de la défense.

Le premier défi, c'est l'aggravation de la situation des finances publiques et les impératifs du désendettement. Les dispositions dérogatoires pour le secteur de la défense, dont les dépenses en volume devaient s'accroître de 1 % par an en 2012, ne sont pas apparues tenables. Une stabilisation en volume de ces dépenses, soit un effort moindre que les autres missions du budget de l'État, a donc été décidée pour 2012. Il est ensuite prévu la stabilisation en valeur, que j'ai évoquée et qui conduirait à une réduction de 30 milliards de l'effort cumulé de défense d'ici à 2020 par rapport aux ambitions du Livre blanc de 2008 et de 10 milliards dès la fin 2015, à l'horizon budgétaire triennal.

Le second défi est celui d'un accroissement des dépenses militaires constatées dans le monde : celles-ci ont dans l'ensemble augmenté de moitié depuis 2001. Les efforts sont contrastés : ils ont été importants aux États-Unis, en Russie et dans les pays émergents, notamment en Asie ; ils se sont maintenus en France et se sont réduits dans la plupart des autres pays européens. Les budgets de la défense cumulés des pays européens demeurent inférieurs à la moitié du budget américain. Celui-ci s'élève en effet à 547 milliards d'euros, soit 4,8 % du PIB national. En comparaison, le budget de défense français, en parité de pouvoir d'achat, est de 39 milliards d'euros, pensions incluses, soit 1,9 % de son PIB, ce qui le place au sixième rang dans le monde. Cette position pourrait se dégrader rapidement si les pays émergents poursuivent leur effort.

À l'échelle européenne, un décrochage peut s'observer avec le Royaume-Uni : l'effort britannique, de 52 milliards d'euros en parité de pouvoir d'achat, dépasse désormais l'effort français de 14 milliards et cet écart devrait se maintenir au cours des prochaines années. L'Allemagne réalise également un effort un peu supérieur à celui de la France dans le domaine conventionnel, c'est-à-dire hors dissuasion nucléaire, puisqu'elle a prévu d'augmenter son budget de défense d'un milliard d'euros en 2013. Quant à l'effort de recherche et développement des États-Unis, il est de plusieurs dizaines de fois supérieur à celui de la France ou du Royaume-Uni.

De tels écarts entre les efforts de défense dans le monde peuvent entraîner des ruptures technologiques et une évolution des rapports de puissance entre les États. La France ne peut donc pas rester indifférente à ces enjeux. Il n'appartient pas à la Cour d'en juger, mais c'est une donnée de l'équation stratégique en matière de défense.

Compte tenu de ces deux défis, afin de contribuer au débat public et d'éclairer les choix à venir, la Cour établit un bilan provisoire de la loi de programmation que l'on peut résumer en quatre constats.

Le premier, c'est que l'écart de dépenses constaté par rapport à la loi de programmation était de 1,9 milliard fin 2011 et pourrait atteindre 5 milliards fin 2013, en raison d'hypothèses budgétaires trop optimistes reposant sur des recettes en partie incertaines, ainsi que d'une insuffisante maîtrise de la masse salariale.

Le deuxième est que les contrats opérationnels ne pourront pas être entièrement remplis, mais que des équipements nouveaux et majeurs ont été livrés. Cependant, d'importants retards ont été pris dans certains domaines, notamment ceux des drones et du ravitaillement en vol.

Le troisième constat, c'est que la disponibilité du matériel et l'entraînement des forces sont insuffisants.

Enfin, le dernier est que de nombreux engagements fermes ont été pris, ce qui rigidifie considérablement la dépense au cours des prochaines années et limite d'autant les marges de manoeuvre.

Je reviens rapidement sur chacun de ces constats.

Le premier est donc celui d'un écart, à la fin 2011, de 1,9 milliard entre les réalisations et les prévisions de la loi de programmation, soit une « déviation » de 2 % par rapport au total des dépenses dans les trois années. Cet écart tient à l'absence de recettes exceptionnelles ainsi qu'à d'autres hypothèses trop optimistes.

Les recettes exceptionnelles escomptées résultaient de la vente de bandes de fréquence et de biens immobiliers. Alors que 3,5 milliards de recettes étaient attendus, seul 1 milliard a pu être utilisé fin 2011. Cette situation illustre le risque qui s'attache à construire une trajectoire budgétaire à partir d'hypothèses de recettes exceptionnelles dont la réalisation ne dépend pas du ministère de la défense ; un tel choix a fait peser un risque sur l'exécution de la LPM dès sa conception. La Cour recommande de s'appuyer sur des hypothèses réalistes et prudentes, dont la réalisation dépend du seul ministère de la défense.

D'une part, les cessions des fréquences ont été retardées. Si elles ont produit davantage de recettes qu'attendu – 2,4 milliards au lieu de l,5 milliard –, il n'est pas certain qu'elles soient entièrement affectées au ministère de la défense au cours des prochaines années. D'autre part, les recettes immobilières demeurent très incertaines. Elles devaient provenir pour l'essentiel de la cession des emprises parisiennes du ministère, dont celle de l'Hôtel de la Marine. Cette dernière a été abandonnée et les autres ne devraient pas intervenir avant 2014. Les recettes effectives dépendront pour partie de l'issue de la négociation avec les collectivités territoriales sur l'affectation finale des surfaces immobilières libérées.

L'hypothèse d'une exportation rapide de l'avion Rafale s'est révélée trop optimiste et a conduit l'État, en application de ses engagements vis-à-vis du constructeur, à acquérir cinq appareils de plus que prévu entre 2009 et 2011, soit un surcoût de l'ordre de 350 millions. Onze appareils supplémentaires pourraient être commandés pour la même raison entre 2012 et 2014, pour un coût excédant 700 millions d'euros.

Des dépenses pourtant prévisibles au moment de l'élaboration de la loi n'ont pas été prises en compte, en particulier le coût de la pleine participation de la France aux structures de commandement intégré de l'OTAN, ainsi que l'ouverture d'une nouvelle base à Abu Dhabi.

Le pilotage des réformes, en particulier celui de la maîtrise de la masse salariale, a été insuffisant. Une économie nette cumulée de 1,1 milliard d'euros était attendue de la réduction des effectifs entre 2009 et 2011, correspondant à 23 000 emplois supprimés dans la période. Alors même que cet objectif de suppression d'emplois a été tenu, soit 7 % des effectifs du ministère, la masse salariale a progressé de 1 milliard. Une telle dynamique conduit à douter de la réalisation effective des économies annoncées et de leur affectation au profit de l'équipement des forces. Elle traduit l'imprécision des outils de suivi financiers, pourtant nécessaires à la conduite des réformes.

L'utilisation de report de crédits et l'ouverture de crédits complémentaires en loi de finances n'ont pas permis de résorber l'écart qui se creusait entre les dépenses prévues et les dépenses exécutées. Au total, cet écart a donc atteint 1,9 milliard à la fin 2011. Au moment où le rapport a été publié, compte tenu des décisions prises jusqu'alors, la Cour avait calculé que cet écart devrait atteindre au moins 4,1 milliards à la fin 2013. Les décisions intervenues depuis conduisent à réviser ce montant : sur le budget 2012, 25 millions de crédits ont été annulés en août et 235 millions ce mois-ci ; par ailleurs, les crédits pour 2013 ont été revus à la baisse de 600 millions d'euros. Ainsi, l'écart par rapport à la loi de programmation qui sera vraisemblablement atteint fin 2013 pourrait être estimé aujourd'hui à 5 milliards d'euros.

J'en viens au deuxième constat qui concerne les capacités des forces : si d'incontestables succès ont été obtenus au cours des dernières opérations extérieures et si de nombreux équipements modernes ont pu être livrés aux armées, les contrats opérationnels tels que définis ne pourront pas être entièrement remplis.

D'un côté, de nombreux équipements nouveaux ont été livrés aux forces : la dissuasion nucléaire a été modernisée, ce que le Royaume-Uni et la Russie n'ont pas encore fait. L'armée de terre dispose de nouveaux équipements de combat et de communication du fantassin FELIN, de 18 hélicoptères de combat Tigre et de 345 véhicules blindés VBCI. La marine a reçu une frégate de défense aérienne, un bâtiment de projection et de commandement, sept avions Rafale et six hélicoptères de manoeuvre NH90. L'armée de l'air a reçu 29 avions Rafale. Par ailleurs, les armées sont intervenues de façon décisive en Côte d'Ivoire et en Libye, alors qu'elles étaient simultanément engagées sur plusieurs théâtres, en particulier l'Afghanistan et le Liban.

Cependant, d'un autre côté, certains retards ou incohérences demeurent. Le renouvellement prévu des capacités de ravitaillement en vol des avions de combat et de transport aérien a été retardé. En effet, le programme d'avions de transport A400M a pris du retard, et celui d'avions ravitailleurs MRTT n'a pas été lancé. Les avions ravitailleurs actuels datent des années 1960 et sont les plus anciens matériels en service dans les armées. En conséquence, l'armée de l'air ne peut pas tenir ses objectifs capacitaires. Dans le domaine naval, l'objectif capacitaire fixé par la loi n'est pas cohérent avec le dimensionnement actuel de flotte. Ainsi, la marine nationale n'est pas en mesure de déployer un groupe aéronaval en permanence en mer. Le renforcement des capacités de frappe en profondeur de l'armée de terre, c'est-à-dire son équipement en lance-roquettes et en canons Caesar, n'est pas encore intervenu. Le programme Scorpion comportant le remplacement des véhicules de l'avant blindé (VAB) vieillissants n'a pas encore été lancé. L'armée de terre ne pourrait pas tenir son objectif de projeter 30 000 hommes pendant un an, faute de capacités de soutien dans la durée, notamment pour des raisons logistiques. Aucune des trois armées ne peut donc remplir entièrement son contrat capacitaire.

Troisième constat, la Cour a relevé que la disponibilité du matériel et l'entraînement des forces étaient insuffisants. Les arbitrages effectués ont trop souvent conduit à sacrifier les dépenses d'entraînement des forces et de maintien en conditions opérationnelles du matériel. S'agissant de l'entraînement, les objectifs fixés dans la loi de programmation sont loin d'être atteints dans l'armée de terre : au lieu des 150 jours d'activité prévus, seuls 117 jours sont effectivement réalisés et ce chiffre continuera de se dégrader en 2012. La situation est également insatisfaisante pour les pilotes de transport de l'armée de l'air, avec 287 heures de vol alors que l'objectif fixé était de 400 heures. La Cour recommande que la préservation des crédits nécessaires à l'entraînement soit considérée comme une priorité par le ministère.

Pour certains matériels de première importance, la Cour relève un taux de disponibilité trop faible : les sous-marins d'attaque de la classe Rubis, c'est-à-dire la génération actuelle, présentent un taux de disponibilité de 60 %, ce qui signifie qu'en moyenne, un peu moins de deux appareils sur trois sont disponibles à chaque instant. Ce taux est à peu près le même pour les frégates. Pour l'armée de terre, la disponibilité des véhicules blindés VAB s'est beaucoup réduite, et celle des chars Leclerc, peu utilisés dans les opérations extérieures actuelles, a chuté à 15 %.

Enfin, dernier constat, les marges de manoeuvre pour les prochaines années sont limitées car de nombreux engagements fermes ont été pris, ce qui rigidifie considérablement la dépense.

La décision de réduire la croissance des dépenses par rapport aux prévisions a conduit à repousser au-delà de 2013 la livraison de certains matériels. Dans le cadre de la mise en place de la loi de programmation en 2009 et de l'importante réduction de format des armées qu'elle induisait, le ministère a été conduit à renégocier les principaux contrats d'équipement en cours. En contrepartie des réductions qu'il a obtenues, le ministère a passé principalement des commandes fermes. À la fin de l'année 2011, les crédits nécessaires pour couvrir les engagements pris s'élèvent à 45,2 milliards d'euros. Les années les plus concernées sont 2012 et 2013, et, dans une moindre mesure, 2014 et 2015. En conséquence, les dépenses de défense sont de plus en plus rigides.

J'en viens aux messages de la Cour et aux propositions qu'elle a formulées, lesquelles visent à maximiser les capacités opérationnelles des forces à budget donné.

Le premier message est que d'importantes marges de manoeuvre existent sur la dépense sans porter atteinte aux capacités des armées. Dès lors, la maîtrise des coûts doit être renforcée sans plus attendre. Ainsi, la progression préoccupante de la masse salariale peut être arrêtée, notamment par une réduction volontariste de l'encadrement supérieur du ministère. De la même façon, des économies peuvent être dégagées par la réduction des dépenses immobilières, la remise en cause de missions non essentielles et une meilleure gestion des achats. Ces économies peuvent dépasser 1 milliard d'euros par an.

Le second message, c'est que la méthode d'élaboration de la loi de programmation militaire de 2009 constitue un bon exemple dont il faudra veiller à ce qu'il puisse se reproduire dès 2012. Deux objectifs devraient être privilégiés : le premier est de choisir les décisions d'économies dont le rapport coût efficacité sera le plus important ; le second objectif est d'arriver à un ensemble cohérent dans son fonctionnement et dans sa réponse aux menaces.

La première recommandation de la Cour est que la maîtrise des coûts doit être dès à présent renforcée et peut entraîner au moins 1 milliard d'euros d'économies.

L'enjeu principal concerne la masse salariale. Dans le cadre de la poursuite des réductions d'effectifs prévue, une diminution de la masse salariale devrait être obtenue, contrairement à ce qui a été observé jusqu'ici. En dépit d'importantes réductions d'effectifs, la masse salariale continue de croître. L'année 2012 a connu une nouvelle dérive, de 279 millions, que la Cour avait identifiée dans son audit des finances publiques de juillet dernier. L'explication principale de ce paradoxe est l'augmentation continue de l'encadrement supérieur, qui n'est pas cohérente avec la réduction du format des armées. Elle doit désormais être arrêtée.

Certes, dans un contexte mondial caractérisé par une complexité croissante, des besoins en personnel hautement qualifié existent. Mais le renforcement du taux d'encadrement, qui est passé de 14,6 % à 15,9 % entre 2008 et 2009, présente, outre son coût intrinsèque, davantage d'inconvénients que d'avantages, y compris pour les personnels eux-mêmes. Il peut conduire à l'engorgement et à la bureaucratisation des administrations centrales, à la multiplication des structures de soutien et de contrôle et à des durées de commandement trop courtes.

En particulier, il y a lieu de s'interroger sur le nombre d'officiers généraux, qui est resté à peu près constant en dépit de la réduction du format des armées. L'armée de terre compte ainsi 176 généraux pour seulement 15 brigades à commander : plus de 100 généraux de l'armée de terre servent en dehors de celle-ci. Pour les 3 468 officiers ayant un grade équivalent à celui de colonel, les commandements disponibles de régiments, de bâtiments de la marine et de bases aériennes sont au nombre de 150. En administration centrale, ces officiers sont souvent affectés à des postes d'un niveau de responsabilité insuffisant par rapport à leurs capacités, par exemple de chef de bureau ou d'adjoint, postes qui sont également confiés à des administrateurs civils en début de carrière. La Cour recommande de procéder à une mise en cohérence de l'encadrement supérieur avec la base, appelée repyramidage. Une telle opération permettrait une économie que la Cour évalue à 236 millions. Une première mesure a été annoncée par le Gouvernement, avec la réduction de 30 % des promotions des militaires en 2013.

En 2011, la Cour avait également recommandé la suppression des états-majors de soutien de la défense, structures intermédiaires entre les bases de défense et l'administration centrale, qui occupent 400 postes. Selon nous, il y a donc lieu de regretter la décision prise, au début de l'année 2012, d'au contraire les renforcer.

Des économies peuvent également être trouvées dans la politique de ressources humaines. Ainsi, un ralentissement du rythme des mutations, qui ont lieu tous les deux ans en moyenne pour les officiers généraux, serait une source d'économies des frais liés à ces mutations, lesquels ont atteint 275 millions en 2010. La politique de formation des officiers supérieurs est très ambitieuse et son coût élevé : les frais de formation qui interviennent au cours d'une carrière allant du grade de capitaine à celui de général – soit en moyenne une vingtaine d'années – sont de l'ordre de 500 000 euros.

Le ministère de la défense déploie une ambitieuse politique immobilière et d'accompagnement des restructurations, qui a représenté 979 millions d'euros en 2011. La majeure partie de ces dépenses présente un lien direct avec les besoins opérationnels. Mais des marges de manoeuvre existent sur la politique du logement, dont le coût annuel est de 107 millions. Une réduction de l'ensemble des dépenses immobilières de 20 % permettrait une économie de l'ordre de 200 millions.

Parmi les dépenses de fonctionnement, la Cour a identifié des gisements d'économies dans le domaine des achats, en utilisant pleinement les dispositions permettant au ministère d'aller enquêter sur les marges de ses fournisseurs pour les marchés non concurrentiels. Le développement d'externalisations dans le domaine de la restauration ou de l'habillement mérite d'être davantage étudié, car il peut entraîner des économies importantes. Le retour à l'équilibre du service de santé des armées permettait une économie de 280 millions par rapport à 2009, tout en préservant ses capacités opérationnelles.

Enfin, certaines dépenses ne contribuant pas – ou peu – à la capacité opérationnelle pourraient être réduites. Ainsi, le paiement sans retard des fournisseurs du ministère permettrait d'éviter d'inutiles dépenses d'intérêts moratoires qui s'élèvent à 45 millions en 2011. Le ministère dépense 69 millions pour financer sa politique culturelle. Certaines de ces dépenses pourraient être réduites : ainsi, la taille du service historique de la défense, qui emploie 500 personnes, paraît élevée. Les personnels travaillant pour le centre sportif d'équitation militaire et le centre national du sport de la défense, tous deux situés à Fontainebleau, sont au nombre de 300 et n'apportent pas de contribution à la capacité opérationnelle des armées. Les dépenses de communication du ministère s'élèvent à 99 millions, soit un niveau encore élevé. Enfin, malgré la baisse des effectifs, les dépenses d'action sociale du ministère ont progressé de 27 % entre 2009 et 2011, pour atteindre 113 millions.

Toutes ces économies possibles, qui ne touchent pas au format des armées et dont le total dépasse le milliard d'euros, peuvent être engagées sans délai, dans le cadre du budget pour 2013, qui serait un budget d'attente. Elles ne pourront porter leur plein effet qu'au terme de plusieurs années.

Le second message de la Cour est de reconduire rapidement le processus adopté en 2008, qui passe par la préparation d'un nouveau Livre blanc, puis la définition de nouveaux objectifs opérationnels et la fixation d'une trajectoire de dépenses de moyen terme, compatible avec les objectifs propres aux armées comme avec les contraintes issues du redressement des comptes publics.

Il est probable que ce processus ne pourra entièrement aboutir avant la fin du premier semestre de l'année 2013. Entre-temps, des décisions devront être prises très prochainement, dans le cadre du budget pour 2013, afin de fixer la contribution du ministère de la défense à l'atteinte d'un objectif de déficit public de 3 %. La Cour a souligné dans son rapport sur les finances publiques publié en juillet dernier que cet effort serait important et supposait des choix difficiles mais réalisables.

Il importe de veiller à ce que les arbitrages qui seront pris rapidement portent le moins possible atteinte aux capacités opérationnelles des forces, afin de prendre les décisions d'équipement qui s'imposent dans le cadre de la prochaine loi de programmation militaire. Les mesures d'efficacité de la dépense que j'ai présentées pourraient y contribuer.

Pour traduire les choix opérationnels qui figureront dans la prochaine loi de programmation, quatre options sont possibles, dont la Cour met en évidence les limites.

La première est la renégociation des contrats d'armement. La Cour relève que les marges de manoeuvre relatives à ces contrats ont pour l'essentiel déjà été consommées à l'occasion de la renégociation de 2009. La réduction des volumes commandés a d'ores et déjà conduit à un fort renchérissement du coût unitaire des programmes, rendant cette opération peu rentable d'un point de vue financier. Ainsi, pour prendre deux exemples, la révision du contrat des frégates multimissions, qui a conduit à la réduction du volume de la commande de six frégates, n'a permis d'économiser que l'équivalent de 2,5 frégates. S'agissant de la réduction des commandes de véhicules blindés de combat de l'infanterie, seulement 23 % de l'économie théorique est revenue au ministère. Au total, les renégociations de contrats de 2009 ont porté sur 6,9 milliards d'euros d'annulations de commandes dont ont résulté 2,9 milliards d'économies effectivement réalisées pour l'État, pour une forte diminution du volume des matériels livrés.

Ces renégociations ont également porté sur un report des livraisons qui entraînera des échéances de paiement supérieures à 10 milliards par an entre 2016 et 2020. Cette « bosse budgétaire » est à mettre en regard des échéances pour les années 2012 à 2014, comprises entre 7 et 8 milliards d'euros.

Si de nouvelles négociations en vue de réduire les commandes étaient engagées, elles pourraient être encore moins rentables du point de vue financier.

La deuxième option ouverte est de procéder à des achats dits « sur étagère », c'est-à-dire à acheter des matériels déjà existants chez un industriel ou dans une armée étrangère. Les coûts peuvent être moins élevés par rapport aux programmes sur mesure, ce qui justifie que cette solution soit étudiée. Néanmoins, elle ne devrait concerner que les équipements non stratégiques et elle aurait des conséquences pour l'industrie et pour l'emploi qui ne peuvent être négligées.

Une troisième option consisterait à rechercher des économies via une plus grande mutualisation européenne, notamment dans le domaine de l'armement. Ses résultats sont cependant incertains et, comme vous l'avez rappelé madame la présidente, les effets éventuels ne se feraient sentir qu'à long terme.

Enfin, une dernière option réside dans une évolution du format des armées. Une telle décision présente des contraintes en matière de gestion des ressources humaines, compte tenu de la restructuration déjà mise en oeuvre, qui se traduit par une suppression de 54 000 emplois entre 2009 et 2015.

En conclusion, la Cour propose une démarche en deux temps. D'abord, les économies ne touchant pas au format des armées, qui ont été trop longtemps différées, devraient être mises en oeuvre sans attendre. Ensuite, la mise à jour du Livre blanc doit permettre de réajuster, le cas échéant, le format et les besoins d'équipement des armées, dans un cadre cohérent défini par une nouvelle loi de programmation militaire.

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