J'aimerais pouvoir vous garantir qu'en 2015 et au cours des années suivantes, le marché des taux suivra la tendance constatée en 2013 et 2014, mais, ne disposant ni d'une boule de cristal ni de la capacité d'influencer les marchés, je me contenterai de gérer la dette de l'État en protégeant au mieux les intérêts du contribuable.
Jeudi dernier, j'ai été informé de votre souhait de m'auditionner sur des questions touchant à l'évolution des marchés financiers, ainsi qu'à la gestion de la dette française. Je réponds volontiers à votre invitation. L'actualité des marchés financiers est riche et intéressante, notamment depuis la mise en place du programme d'achat de titres publics de la Banque centrale européenne – BCE. Elle est également complexe. On peut légitimement céder à l'inquiétude si l'on s'en tient à la lecture des titres de la presse, spécialisée ou non, française ou étrangère, portée au sensationnalisme. On peut aussi s'interroger sur l'impact de la violente hausse des taux que nous connaissons depuis un mois, sur la charge de la dette et sur le bon déroulement du programme d'émission de l'État, dans un contexte de volatilité des marchés.
Je souhaite faire passer un message de confiance que je développerai en trois temps. D'abord, la hausse des taux semble assez saine. Ensuite, les hypothèses retenues tant dans la loi de finances initiale pour 2015 que dans le programme de stabilité présenté à Bruxelles n'ont pas à être révisées. Enfin, le programme d'émission de l'État se déroule sans à-coups : il ne subit aucune perturbation particulière liée aux évolutions des marchés financiers ou à la politique d'assouplissement quantitatif de la BCE.
La hausse des taux intervenue fin avril n'est pas inquiétante. Elle tient en grande partie au programme d'assouplissement quantitatif (quantitative easing – QE) mené par la BCE. Au cours des derniers mois, on distingue trois phases.
Dès le discours prononcé par M. Mario Draghi le 22 août à Jackson Hole, les taux commencent à baisser. À cette date, le taux français à dix ans est de 1,37 %. Il n'est plus que de 0,62 % le 22 janvier, lors de l'annonce officielle du programme. Lors de sa mise en place, le 9 mars, le taux est de 0,61 %. Il baisse de 0,18 % pendant les trois premières semaines et de 0,14 % pendant les trois suivantes, donc de 0,32 % en six semaines. Le 22 avril, il atteint le plancher de 0,33 %. Ce mouvement s'accompagne d'un aplatissement de la courbe des taux avec une baisse de 0,22 % sur la partie de deux à dix ans, et de 0,13 % sur la partie de dix à trente ans.
Il faut interpréter ces mouvements avec prudence. Un consensus se dessine toutefois pour considérer que les opérateurs ont anticipé le programme d'achat. La baisse est plus prononcée sur la partie longue parce qu'ils n'ont pas envisagé que la BCE puisse acheter à l'horizon de trente ans, et qu'ils ont été surpris par les annonces du 22 janvier. Ainsi s'explique que la partie longue de la courbe, traditionnellement moins dense, où le flottant de titres est plus faible, ait été plus performante que la partie moyenne. D'autre part, la BCE s'est interdit d'acheter des titres dont le rendement négatif est inférieur à 20 points de base, ce qui a restreint son univers d'investissement. Or, ces titres concernent plutôt la partie courbe. La BCE ayant promis d'être régulière dans ses achats, les marchés ont anticipé qu'elle se porterait naturellement plus loin sur la courbe au début du programme.
La deuxième phase voit une remontée des taux de 0,89 % en près de huit semaines, soit 0,43 % au cours des six premières, au terme desquelles le taux à dix ans repasse au-dessus du niveau atteint lors du début du programme, et 0,46 % lors des deux suivantes, où il revient à 1,25 %. Le niveau actuel est plus faible que celui de 1,37 %, atteint avant le discours de M. Mario Draghi à Jackson Hole. Pendant cette phase, on assiste à une assez forte repentification de la courbe : on gagne 0,47 % sur le crédit à dix ans et 0,18 % sur le crédit de dix à trente ans.
Depuis deux semaines, il semble que nous soyons entrés dans une troisième phase, qu'on ne peut cependant considérer comme une troisième phase du Public Sector Purchase Programm – PSPP –, car elle est indépendante de la politique monétaire de la BCE. Les écarts de taux ou spreads augmentent : l'écart France-Allemagne, qui était resté stable entre 25 et 33 points de base depuis le début de l'année, s'est élevé jusqu'à 50 points de base, pour revenir ce matin au-dessous de 44.
Il semble que les marchés incorporent l'équivalent d'une prime de risque liée à la possibilité d'une évolution extrême du dossier grec et d'une remise en cause de l'appartenance de la Grèce à la zone euro. Si l'écart France-Allemagne est passé de 30 à 45 points de base, les taux français sont restés stables, aux alentours de 1,25 %, depuis deux semaines. C'est une bonne nouvelle pour la dette française, car les investisseurs aiment disposer de titres peu volatils. On constate moins une dégradation de la situation française qu'une performance de l'Allemagne, qui a bénéficié d'une fuite vers la sécurité. En revanche, les pays périphériques, comme l'Italie et l'Espagne, sont durement touchés, puisque leur écart avec l'Allemagne a plus que doublé.
Reste à savoir si cet écart de taux va se maintenir, voire se creuser. Rien n'est moins sûr. D'une part, on peut espérer un accord sur le dossier grec. D'autre part, la concomitance d'offres en juillet et en août, lorsque l'émission de dette des pays européens est traditionnellement plus faible, et de la poursuite du programme d'achat de la BCE, pour un montant de 60 milliards par mois, peut conduire, en automne, à une compression des écarts et à une baisse des taux.
La hausse des taux intervenue durant les dernières semaines est assez saine. Elle montre que les investisseurs ont écarté le scénario d'une déflation dans la zone euro et valorisent les titres d'État dans le cadre d'un scénario de reprise de la croissance et de l'inflation. On pourrait atteindre l'objectif d'une inflation inférieure à 2 %, que s'est fixée la BCE.
Les marchés ont constaté que les taux étaient trop faibles par rapport aux indicateurs macroéconomiques, au prix du baril du pétrole, aux indicateurs d'inflation ou aux indicateurs de croissance du premier trimestre. La réévaluation des perspectives de croissance en zone euro effectuée par les grandes institutions internationales comme l'OCDE ou le FMI, ou les pays européens a accrédité ce scénario de reprise. Dès lors que la situation des marchés avec des taux très faibles – 0,04 % sur dix ans sur le marché allemand – et ce scénario de reprise sont irréconciliables, il est sain que le marché des taux soit en accord avec les scénarios macroéconomiques.
Les hypothèses concernant la charge de la dette retenues dans la loi de finances initiale comme dans le pacte de stabilité transmis à Bruxelles restent valables et n'ont pas à être révisées à la hausse. Nous continuons à bénéficier de taux très attractifs. Depuis le début de l'année, l'Agence France Trésor a émis sur les marchés à des taux encore plus favorables qu'en 2014, année déjà exceptionnelle. Notre taux à l'émission des obligations assimilables du Trésor français à dix ans a atteint en moyenne 0,77 % au cours des six premiers mois de l'année, contre 1,31 % en 2014. Avant la crise, entre 1998 et 2007, il se montait à 4,15 %.
En loi de finances initiale pour 2015, la charge budgétaire de la dette et de la trésorerie de l'État, correspondant au programme 117, était estimée à 44,3 milliards d'euros, selon un scénario qui estimait le taux français à dix ans à 1,8 % en moyenne pour l'année et à 2 % en fin d'année, et le taux à trois mois à 0 % en moyenne pour l'année et à 0,05 % en fin d'année. Les niveaux sont inférieurs à ce scénario. Dès lors, le risque d'atteindre en 2015 une charge budgétaire supérieure à l'estimation prudente de la loi de finances initiale paraît très faible.
Ni les aléas de l'inflation ni ceux de l'évolution des taux à moyen terme ne joueront sur l'exécution de la charge de la dette pour 2015. L'aléa lié à l'inflation de l'année n'aura pas d'impact sur la charge d'indexation, déterminée par l'évolution de l'indice des prix à la consommation de mai à mai. On sait désormais que ce glissement d'inflation est significativement inférieur à la prévision de la loi de finances initiale, puisqu'il est de 0,3 % au lieu de 0,8 % pour l'inflation française, et de 0,2 % au lieu de 1 % pour l'inflation européenne. L'économie de charges ainsi générée se montera à 1,5 milliard d'euros.
Le second aléa, lié à une remontée rapide des taux longs, ne devrait pas avoir d'impact sur la charge budgétaire de 2015, du fait du mécanisme des coupons courus à l'émission, qui neutralise la charge budgétaire pendant l'année d'émission des titres. Une forte hausse des taux se matérialiserait plutôt l'année suivante. Il n'y a donc pas d'inquiétude à avoir sur la charge de 2015.
Pour éviter toute confusion, il faut exprimer la charge budgétaire en comptabilité maastrichtienne. Celle-ci, utilisée dans le programme de stabilité, est une comptabilité d'engagement et non de caisse. En mars, un scénario de taux révisé par rapport à la loi de finances initiale a été présenté aux autorités européennes dans le cadre du programme de stabilité. Il tient compte des évolutions enregistrées en fin d'année et en début d'année, dont nous ne disposions pas quand nous avons présenté le scénario de taux associé à la loi de finances initiale. Le scénario de taux à dix ans qui sous-tend le programme de stabilité prévoit un taux à dix ans de 1,2 % en fin d'année et un taux négatif de 0,05 % pour les titres à trois mois. La révision de ce scénario de taux a généré une économie de charges hors inflation de 1,2 milliard d'euros. C'est sur ce chiffre que le Gouvernement a communiqué dans le cadre du programme de stabilité, par rapport à l'hypothèse technique de la loi de finances initiale en comptabilité maastrichtienne.
L'économie de charges n'est pas remise en cause par l'évolution des taux. L'hypothèse reste valable, en dépit de la volatilité observée sur les marchés, car, pendant la première moitié de l'année, nous avons émis des quantités importantes, conformes à notre plan de marche, à des taux significativement plus faibles que prévus. Les instituts privés ne remettent pas en cause ce scénario. Le Consensus Forecast, très consulté, prévoit un taux de 1,2 % en juin 2016. Nous sommes plus prudents, puisque notre prévision porte sur la fin de l'année.
Par ailleurs, quand bien même nous appliquerions une hausse des taux de 50 points de base d'ici à la fin de l'année, nous serions toujours en mesure de tenir la charge de dette prévue dans le programme de stabilité pour 2015.
Pour 2016, le scénario de taux sera actualisé. Nous intégrerons les conditions de financement constatées de juin à août pour estimer la charge budgétaire dans le projet de loi de finances. Cela dit, nos hypothèses de taux pour les années 2016 à 2018, dans le cadre de la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques, étaient relativement prudentes, prévoyant une augmentation de 90 points de base pour les taux longs pendant les deux premières années et de 75 points de base ensuite pour les taux à dix ans, ainsi qu'une remontée des taux courts, à l'issue du programme d'assouplissement quantitatif de la BCE, de 60 points de base par an.
J'en viens au troisième volet de mon exposé. Le programme d'émission de l'État se déroule sereinement, sans à-coups ni perturbation. En 2015, nous avons prévu d'emprunter 187 milliards d'euros sur les marchés de titres à moyen et long termes pour financer un déficit estimé à 174 milliards d'euros en loi de finances initiale, et de rembourser à hauteur de 116,5 milliards des titres venus à maturité. À ce jour, où nous avons émis 116,5 milliards sur 187 milliards d'euros : 62 % du programme d'émission ont été exécutés. Avec l'adjudication de titres à moyen terme qui se tiendra demain, nous nous approcherons d'un taux de 67,5 % ou 68 %. Ce résultat est en ligne avec les temps de passage des dernières années et conforme à notre plan de marche des années précédentes. Nous avons été fidèles aux principes qui guident notre stratégie d'émission : présence régulière sur les marchés à des dates fixes et connues à l'avance, émission de titres à long terme la première semaine de chaque mois, et de titres à moyen terme et d'indexés sur l'inflation la troisième semaine de chaque mois.
Si l'on compare les titres émis pendant les six premiers mois de 2015 et de 2016, on trouve une proportion équivalente de titres à deux ans, à cinq ans et à trente ans et plus, et de titres indexés sur l'inflation, mais une plus grande part de titres à dix ans – 37 % contre 27 % – et de titres de six à sept ans, et une moindre part de titres à quinze ans – 12 % contre 17 % – et à trois et quatre ans. Ces variations reflètent la demande de titres d'État, qui se porte vers différentes maturités.
La maturité moyenne de la dette de moyen et long termes émise fin mai s'élève à 8,7 ans et, si l'on incorpore l'adjudication de titres à long terme début mai, à 8,9 ans, durée atteinte pour l'ensemble de 2014.
Depuis le début de l'année, les adjudications se sont déroulées dans de bonnes conditions. La demande a été en ligne avec les moyennes des dernières années, et le taux de couverture à moyen et long termes s'est établi à un niveau conforme à celui de 150 %, que prévoit l'indicateur du programme 117.
La dette française continue de bénéficier d'une excellente image auprès de nos investisseurs, en termes de liquidité, ce que nous devons à la régularité, à la transparence, et la flexibilité de notre émission. Nous continuons à tirer avantage d'une base d'investisseurs dont la situation géographique et la qualité sont très diversifiées.