La France et le Royaume du Maroc entretiennent des relations exceptionnelles. Le Roi du Maroc a été le premier Chef d'État étranger à être reçu par le Président de la République en mai 2012, et le Maroc est l'un des seuls pays dans lequel à la fois le Président de la République, le Premier Ministre et les Présidents des deux Assemblées se sont tous rendus, certains à plusieurs reprises, depuis mai 2012.
Ce sont les liens entre nos deux peuples qui font la force de cette relation. Au Maroc 48 800 Français sont établis de façon permanente – dont 49 % de bi-nationaux, et près de 20 000 y résident une partie de l'année. La communauté marocaine en France compte 1 500 000 personnes dont 670 000 bi-nationaux.
Entre février 2014 et janvier 2015, ces relations ont connu une crise à la suite de la présentation, par des fonctionnaires de police, à la résidence de l'ambassadeur du Maroc, le 20 février 2014, d'une convocation d'un juge d'instruction du Tribunal de Grande Instance de Paris destinée au directeur général de la surveillance du territoire marocain, M. Hammouchi. Bien que la France ait fait valoir le principe d'indépendance de la justice, les autorités marocaines ont considéré que cet acte revêtait un caractère outrageant. Le 25 février 2014, le Ministre de la Justice marocain, a suspendu l'application de toutes les conventions d'entraide judiciaire en matière pénale et civile entre nos deux pays. Le magistrat de liaison marocain en poste à Paris a été rappelé en attendant, je cite, « de convenir de solutions adéquates garantissant le respect mutuel et total des conventions liant les deux pays de manière à préserver la souveraineté des deux États sur la base du principe de l'égalité qui doit présider dans leurs relations. ».
A aucun moment de la crise, qui a duré une année, le Maroc n'a remis en cause les autres volets de notre coopération, qu'elle soit économique, éducative et universitaire, ou culturelle.
En revanche l'arrêt brutal et complet en 2014 de la coopération judiciaire a porté un préjudice grave à nos deux pays, car cette coopération, qui date de 1957, est la plus active dans la région. La grande majorité des demandes sont d'origine française, 10 fois plus nombreuses que les demandes marocaines.
Pendant la crise, près de 230 dossiers en matière pénale, dont 119 commissions rogatoires internationales, sont restés en souffrance et les décisions exécutées n'ont pas été transmises. Il en a été de même des décisions d'extradition, ou de transfèrement de prisonniers français condamnés au Maroc. Les enquêtes pénales transnationales ont été entravées, notamment la lutte contre le trafic international de stupéfiants et la lutte contre le terrorisme. A deux reprises, les autorités marocaines ont dû remettre en liberté des personnes impliquées dans des trafics de stupéfiants et placées sous écrous extraditionnels.
Le Directeur général de la Sécurité intérieure, ainsi que le Directeur général de la sécurité extérieure, que j'ai reçus en entretien, m'ont fait part de leurs inquiétudes. Alors même que la menace terroriste grandit au Sahel, en Syrie et en Irak, et que le phénomène des combattants étrangers, plusieurs milliers d'individus, touche aussi bien la France que le Maroc, le gel des échanges d'informations aurait pu avoir de graves conséquences, même si l'on peut être certain que les services marocains nous auraient alertés en cas de menace imminente. J'en suis pour ma part intimement convaincue.
En matière de coopération familiale, le signalement de déplacement illicite d'enfants n'a plus été effectué durant la suspension de notre coopération. 55 dossiers de recouvrement de procédures alimentaires étaient ouverts en avril 2015, 44 dossiers relatifs à des droits de visites, concernant 69 enfants. Aucune médiation n'a été possible durant un an, laissant nombre de familles dans le désarroi.
Le texte qui nous est soumis a permis de sortir de cette crise. Cet avenant à la convention du 18 avril 2008, a été signé le 6 février 2015. Les discussions avaient été engagées à l'initiative de la Partie marocaine, dès février 2014, et suivies au plus haut niveau, par nos ministères de la Justice et des Affaires étrangères. Il est composé de trois articles : l'article 1er insère un nouvel article 23 bis au sein la convention du 18 avril 2008, intitulé « Application des conventions internationales » ; l'article 2 détaille le contenu du nouvel article 23 bis de la convention ; l'article 3 prévoit la clause finale classique relative à l'entrée en vigueur de l'avenant.
Je ne dissimulerai pas que ce texte comporte des difficultés d'interprétation qui expliquent les interrogations, voire les inquiétudes, des organisations et représentants des professions de Justice. J'ai tenu à les recevoir, afin d'écouter leurs arguments.
Le premier paragraphe de l'article 2 du protocole vise à favoriser les échanges de vues aux fins de bonne conduite des procédures et pour une coopération efficace. Le texte énonce clairement, point capital, que les Parties ont entendu inscrire strictement le dispositif d'information et d'échanges créé par l'article 23 bis dans le respect des engagements de la France par exemple au titre de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés et de la convention des Nations Unies contre la torture et autres peines et traitements cruels, inhumains et dégradants adoptée à New York le 10 décembre 1984.
Il dispose que « dans le cadre de leurs engagements respectifs et afin de contribuer à la bonne mise en oeuvre des conventions internationales qui les lient, les Parties s'emploient à favoriser une coopération plus efficace ainsi que tous échanges entre les autorités judiciaires aux fins de bonne conduite des procédures, notamment lorsque les faits dénoncés ont été commis sur le territoire de l'autre Partie. »
La portée de cette disposition est moins juridique que politique. En effet, la convention du 18 avril 2008 prévoit d'ores et déjà, on y reviendra, des échanges d'informations entre nos autorités judiciaires, notamment celles relatives à la dénonciation aux fins de poursuites (article 23) et aux échanges spontanés d'informations (article 24).
Le deuxième paragraphe pose le principe spécifique d'une information mutuelle immédiate lorsque les faits ont été commis sur le territoire de l'autre Partie par un de ses ressortissants. Il dispose pour cela que « chaque Partie informe immédiatement l'autre Partie des procédures relatives à des faits pénalement punissables dans la commission desquels des ressortissants de cette dernière sont susceptibles de voir leur responsabilité engagée. »
Plusieurs questions peuvent ici être soulevées : celle des délais de transmission, du circuit emprunté par cette information et de la nature des informations transmises.
Il est précisé par le paragraphe 2 de l'article 23 bis que cette information doit être « immédiate ». Conformément à l'article 5 de la convention bilatérale du 18 avril 2008, l'information s'effectuera d'autorité centrale à autorité centrale. Pour la France, elle sera à la charge du Ministère de la Justice français. Elle ne pourra donc concerner que les informations portées à la connaissance du ministère de la Justice par les parquets généraux. Dès lors, le terme « immédiatement » recevra une interprétation relative, car l'autorité centrale ne pourra informer que des affaires dont elle est elle-même informée, quand elle en aura été informée.
Il faut ici préciser que la non-transmission de l'information par le juge au Procureur de la République n'est pas de nature à annuler la procédure, car notre code de procédure pénale ne le prévoit pas.
Enfin, la nature exacte des données transmises n'est pas précisée par le texte, mais elle devra concilier l'obligation d'information établie par l'article et le secret de l'instruction nécessaire à l'efficacité de l'enquête. Il me semble que l'information portant sur la simple existence d'une procédure pourrait ainsi suffire. Le Gouvernement devra nous le confirmer en séance.
Le troisième paragraphe établit le principe d'un recueil d'observations de l'autre Partie dans le cas de procédures pénales engagées auprès de l'autorité judiciaire pour des faits commis sur le territoire de l'autre Partie par l'un de ses ressortissants.
Concrètement, si une procédure est engagée en France par un ressortissant d'une nationalité autre que française, contre un ressortissant marocain ou franco-marocain pour des faits commis au Maroc, l'autorité judiciaire française recueille dès que possible auprès de l'autorité judiciaire marocaine ses observations ou informations. Le juge marocain pourra prendre les mesures qu'il juge appropriées, y compris l'ouverture d'une procédure. Le juge français, au vu des observations ou informations éventuellement reçues de son homologue marocain, déterminera pour sa part les suites qu'il donne à cette procédure : ce peut être, « prioritairement » le « renvoi » au juge marocain ou la « clôture » ou la poursuite de la procédure. Il y a donc trois options.
L'usage du mot « prioritairement » dans le protocole ne signifie nullement que le juge français a l'obligation de clôturer la procédure ou de transférer le dossier à son homologue marocain. Il peut tout à fait décider de poursuivre son enquête. L'autorité judiciaire initialement saisie recueille les informations ou observations auprès de son homologue et décide souverainement au vu des éléments ainsi recueillis des suites qu'elle donnera à la procédure. « Prioritairement » ne signifie pas « automatiquement ».
Par ailleurs, le protocole devant être lu à la lumière de l'ensemble de la convention d'avril 2008, il faut entendre par « renvoi » une dénonciation officielle. C'est l'acte par lequel les autorités qualifiées d'un État demandent aux autorités d'un autre État dont les juridictions sont également compétentes d'en assurer la poursuite. Cette modalité de coopération est usuelle. La France procède à environ 10 dénonciations officielles au Maroc par an.
Il s'agit d'une simple délégation de poursuites et non d'un transfert de la compétence de l'autorité judiciaire saisie. Ainsi, l'autorité judiciaire saisie ne renonce pas à l'exercice de son droit de poursuivre. Il n'y a donc dans ce texte, et j'insiste sur ce point, aucun dessaisissement, ni mécanisme de subsidiarité, ni clause de compétence. Même en cas de classement sans suite, le Procureur de la République pourra, jusqu'à l'expiration du délai de prescription, revenir sur son appréciation et exercer des poursuites. De surcroît, conformément à l'article 41- 3 du code de procédure pénale, il sera possible de former un recours auprès du procureur général contre la décision de classement sans suite. Enfin, cette décision ne privera pas de la possibilité de porter plainte avec constitution de partie civile devant le juge d'instruction. Il n'y a donc aucune atteinte au droit à un recours effectif des victimes françaises et étrangères de crimes et délits commis au Maroc.
Le protocole additionnel ne fait pas non plus échec à la mise en oeuvre de la compétence quasi-universelle des juges ni à la compétence reconnue aux autorités judiciaires françaises par la Convention des Nations unies contre la torture et l'article 689-2 de notre code de procédure pénale pour connaître de faits de torture commis à l'étranger, dès lors que la personne soupçonnée d'en être l'auteur se trouve sur le territoire français.
Enfin, le quatrième et dernier paragraphe du nouvel article 23 bis prévoit que « les dispositions du paragraphe 3 du présent article s'appliquent aux individus possédant la nationalité de l'une et l'autre partie. » Cette rédaction est peu claire, il faut le reconnaître. Le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius a, lors de son audition par notre commission du 9 juin dernier, confirmé l'interprétation gouvernementale de ce texte. Le protocole s'appliquera aux binationaux : les dispositions du protocole couvriraient aussi les cas d'une procédure engagée par un juge français suite à une plainte déposée par un ressortissant ayant les deux nationalités contre un ressortissant marocain pour des faits commis au Maroc.
L'analyse détaillée du texte me conduit à conclure à un avis favorable. Bien que souffrant d'imprécisions, cet accord ne remet pas en cause les principes de notre droit interne ni nos engagements internationaux.
Nul parmi les personnes que j'ai auditionnées, n'a mis en doute la nécessité du rétablissement de notre coopération judiciaire. Le premier objet de ce texte est donc de mettre fin à cette situation. La signature du protocole a permis la reprise immédiate et efficiente d'une coopération dont l'importance est vitale à nos ressortissants.
Par ailleurs, nul ne met en doute la nécessité de veiller au maintien de la relation d'exception qui nous lie au Maroc. Ce protocole adresse un message politique de confiance au Maroc qui a engagé d'importantes réformes après l'adoption de la nouvelle Constitution du 1er juillet 2011. La réforme judiciaire y tient une place centrale. Pourtant les Marocains ont le sentiment de faire l'objet d'un préjugé négatif. Il est certain que nous, Français, avons besoin d'actualiser notre approche de la réalité marocaine. Celle-ci a profondément évolué ces dernières années sous l'impulsion du Roi, mais également des forces politiques et de la société civile marocaines. Ne nous posons pas en censeurs arrogants, mais en soutien solide dans la poursuite des efforts engagés. Comme le souligne un récent rapport du Conseil national des droits de l'Homme marocain, les progrès sont indéniables, même s'il demeure des marges de progression en matière de respect des libertés publiques. Mais l'histoire de notre propre pays et du continent européen montre que c'est dans le temps long que se construit l'État de droit. La signature du Protocole additionnel doit se concevoir comme un acte de confiance dans la capacité des institutions judiciaires de nos deux pays à dialoguer en bonne intelligence pour une meilleure administration de la justice et pour que la coopération judiciaire soit à la hauteur de notre coopération dans d'autres domaines.
Cet épisode douloureux montre aussi que, même si notre pays reste un partenaire central pour le Maroc, cette relation n'est pas exclusive. Le Maroc diversifie ses partenariats avec les autres membres de l'Union européenne, avec les États-Unis, mais aussi avec les pays du Golfe et l'Afrique, ou l'influence économique, politique et religieuse du Royaume est grandissante.
Notre amitié est forte. Mais elle n'est pas acquise. Il faut la faire vivre. Le 9 février 2015, le Président de la République et le Roi du Maroc se sont entretenus à Paris et ont souligné le prix qu'ils attachent à la relation exceptionnelle qui lie nos deux pays. Le Premier ministre s'est rendu à Rabat le 9 avril pour une audience royale et un entretien avec son homologue marocain, M. Abdel-Ilah Benkirane. La Rencontre de Haut Niveau entre les deux gouvernements du 28 mai à Paris a elle aussi illustré la vitalité de notre coopération dans tous les domaines, tout comme la tenue du deuxième Forum parlementaire franco-marocain le 16 avril 2015 à Paris. Celui-ci trouvera son prolongement le 15 octobre prochain, lors d'une réunion, à l'Assemblée nationale, des présidents de l'Assemblée parlementaire de l'Union pour la Méditerranée, et des acteurs de la société civile euro-méditerranéenne, au sein de laquelle les organisations marocaines sont reconnues pour leur dynamisme.
Des échéances communes nous lient, au premier rang desquelles l'organisation de la COP 21 à Paris, qui sera suivie, en 2016, de la COP 22 à Rabat. Le Maroc constitue aussi un partenaire incontournable au Sahel, au Proche et au Moyen-Orient. Il est, et reste pour la France, un allié précieux dans le règlement négocié de ces conflits, auxquels notre pays ne saurait apporter seul une réponse, que ce soit en Libye ou au Mali, ou encore dans la lutte contre la radicalisation. La co-présidence du Dialogue 5+5, cette année, renforcera encore notre action commune.
Je veux conclure avec une conviction personnelle : la nécessité de réactiver en Méditerranée, porte de l'Afrique, une politique de voisinage européenne dont les résultats sont décevants. Cet espace est stratégique pour la France, son intégration nous permettra de peser significativement dans la mondialisation et de répondre concrètement aux problèmes économiques et sociaux qui font le lit des drames migratoires et de l'insécurité. Ici aussi l'exceptionnelle relation franco-marocaine est un atout formidable qu'il faut, sans cesse, renforcer. Ce texte y participe, c'est pourquoi je vous invite à l'adopter. Je vous remercie.