Intervention de Mireille Imbert-Quaretta

Réunion du 12 juin 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Mireille Imbert-Quaretta :

J'ai été magistrate pendant quarante ans, et j'ai eu la chance de passer de la magistrature judiciaire à la magistrature administrative. Ce qui m'a frappée, c'est que, alors que dans la magistrature judiciaire le mot « indépendance » revient sans arrêt dans les conversations, il n'est jamais prononcé au Conseil d'État. Cela ne signifie pas que le Conseil d'État n'est pas indépendant ; bien au contraire, cela témoigne que ce n'est pas un enjeu.

Vous recommandez la mise en oeuvre d'un programme à long terme pour construire en vingt ans un véritable pouvoir judiciaire : encore faut-il que les politiques le veuillent. Or pour que les politiques le veuillent, il leur faut se départir de leur méfiance, voire de leur défiance à l'endroit des juges. Quand d'aucuns se permettent d'affirmer de façon blessante pour l'ensemble de la magistrature que le métier de juge est « un petit métier exercé par de petites gens », il est difficile d'imaginer que le pouvoir politique oeuvre à l'avènement d'un pouvoir judiciaire. Et pourtant, peut-on vraiment penser qu'un métier consacré à recréer du lien social pour de pauvres gens qui, lorsqu'ils se présentent devant un tribunal, au civil comme au pénal, sont toujours en situation d'échec est un petit métier exercé par de petites gens ?

Il me semble que la société française est davantage une société administrée qu'une société fondée sur le droit, où l'on a tendance à croire que l'administration est mieux à même que la justice de régler les problèmes.

Il y a certes eu quelques avancées depuis quarante ans, mais aussi quelques retours en arrière, et pas uniquement du fait de l'exécutif. Mon expérience au Conseil d'État comme rapporteure des textes de procédure pénale m'a permis de constater que la perspective dans laquelle était appréhendé et apprécié le travail des juges, y compris dans la loi, s'était inversée. Alors qu'auparavant les juges n'avaient qu'à dire le droit au travers de leurs décisions, il leur faut aujourd'hui se justifier en permanence des décisions qu'ils ne prennent pas : pourquoi ils ne prononcent pas de peine plancher, pourquoi ils ne délivrent pas de mandat de dépôt, pourquoi ils n'ordonnent pas d'expertise obligatoire. Ce qu'on doit attendre d'un juge, c'est qu'il explique comment il applique la loi, car c'est cela la justice : adapter des lois générales à une situation individuelle. Au lieu de quoi, les voilà contraints d'expliquer pourquoi ils ne font pas ce que la loi les enjoint de faire.

Dans ces conditions, il faudra certes au moins vingt ans pour réparer la justice, mais encore faudra-t-il pour cela que le pays comprenne que la démocratie y a intérêt. Cela exige de la confiance : or il n'y a plus de confiance.

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