Intervention de Alain-Gérard Slama

Réunion du 12 juin 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Alain-Gérard Slama :

J'interviens avec toute la timidité requise en présence d'une personnalité comme Pierre Joxe, que je retrouve avec bonheur après un échange sur France Culture dont je garderai longtemps le souvenir, comme de la présente séance. Pour la plupart de ses analyses, je m'incline devant leur autorité et devant l'expérience qu'il invoque.

Vous avez beaucoup mis en avant la comparaison avec d'autres modèles. Or un modèle, c'est une culture. L'essentiel des problèmes soulevés en France n'est-il pas précisément lié à notre histoire culturelle ? Et d'abord à notre conception de la loi, expression du mythe de la volonté générale, alors que, dans d'autres pays, c'est la hiérarchie des normes qui prévaut, ce qui laisse le juge bien plus libre d'interpréter les textes, et même d'être créateur de droit – une idée que nous avons du mal à accepter en France. La subordination actuelle du juge – que je ne justifie pas, mais que je cherche à expliquer – n'est-elle pas liée au fait que, n'étant pas un élu, il ne détient pas la même autorité que le législateur, et se trouve donc soumis à la loi ? On retrouve cette ambiguïté jusque chez Montesquieu, lequel invoque la séparation des pouvoirs, mais n'en fait pas moins du juge l'exécuteur de la loi.

Dans la plupart des pays que vous citez, il n'en va pas du tout ainsi : le juge est beaucoup plus libre d'adapter la loi aux cas particuliers, spécialement en matière de droit pénal. Ce que vous avez déploré, je le déplore comme vous, mais c'est bien ainsi que l'on perçoit le rôle du juge : la loi existe, il l'applique, point final ; le raisonnement s'impose à lui, quelle que soit sa position personnelle vis-à-vis des cas qu'il doit analyser.

Un second élément propre à notre culture est la notion d'unité. Vous le savez, j'ai longtemps entretenu des liens d'affection avec Alain Peyrefitte, dont j'ai toujours combattu la loi « sécurité et liberté » ; il a d'ailleurs prouvé son indépendance d'esprit en me tolérant néanmoins parmi ses amis. L'une des raisons que je l'ai bien souvent entendu évoquer à propos de l'indépendance des juges est la nécessité d'une justice unifiée, identique partout, de manière à proscrire l'incertitude du justiciable qui constaterait que l'adage « vérité en deçà des Pyrénées, mensonge au-delà » vaut sur le territoire national lui-même ; bref, de façon à garantir la sécurité juridique.

La crise que nous vivons me semble ainsi affecter, au-delà de notre rapport à la justice, celui que nous entretenons avec notre modèle. On le voit aujourd'hui à la lumière des débats quelque peu grotesques de ceux qui prétendent s'arroger le monopole de la République.

Qu'en pensez-vous ? Si vous envisagez un plan sur vingt ans, n'est-ce pas, au-delà des besoins en moyens et en formation, pour avoir le temps d'adapter notre modèle à des exigences pour lesquelles il n'a pas été conçu dès l'origine ?

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