Intervention de Marie-Anne Cohendet

Réunion du 12 juin 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Marie-Anne Cohendet :

Merci infiniment pour toutes vos réflexions. Je rejoins mes prédécesseurs pour saluer votre sens de la vérité, si rare et si précieux.

Il semble que la plupart de nos magistrats aient trop écouté Saint-Just, qui disait que le prix d'éloquence serait donné au laconisme. Ainsi, c'est en quelque sorte une tradition chez les juges français que de ne pas expliquer leurs décisions, dont le mystère est censé faire la majesté.

Les rapports des juges avec le monde politique sont difficiles : nous n'avons pas mentionné les fameux « petits pois » évoqués par un ancien Président de la République ; plus récemment, notre collègue Fabrice Hourquebie, pressenti comme futur membre du Conseil supérieur de la magistrature, s'est fait « retoquer » par les parlementaires parce qu'il avait eu l'audace de parler d'un « pouvoir judiciaire ». Il reste donc beaucoup à faire en la matière.

Quel est votre point de vue sur le pouvoir de nomination du Président de la République et son exercice en Conseil des ministres ? Si, aux termes de l'article 64 de la Constitution, le Président est le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire, c'est parce qu'en 1958 on s'imaginait qu'il serait un arbitre tel que l'avait pensé Benjamin Constant, un pouvoir neutre. Mais son pouvoir de nomination était encadré par l'article 13 : il s'entendait comme un pouvoir exercé en Conseil des ministres, soumis à contreseing, donc formel, la décision devant en réalité être approuvée par le Conseil des ministres, voire émaner de lui, parce que les ministres sont contrôlés par le Parlement. Or ce pouvoir reste important. Comment peut-on remédier concrètement à ce problème ?

Vous me pardonnerez de reparler du Conseil constitutionnel puisque ce n'est que pour vous remercier de vos propos à son sujet. Je crois être la seule en France à m'étonner, dans mon manuel de droit constitutionnel, de ce qu'en bientôt cinquante-sept ans cette institution n'ait connu que sept ans d'alternance politique. Et vous n'imaginez pas les foudres que je m'attire de la part de presque tous mes collègues, y compris ceux qui sont censés avoir l'esprit ouvert, parce que j'ai l'inconvenance de dire que les juges ne deviennent pas des anges dès qu'ils entrent dans la rue Montpensier ! Ils ne deviennent pas apolitiques, ils conservent leurs opinions : cette idée parfaitement banale aux États-Unis ou en Allemagne est un vrai tabou, y compris pour la doctrine, parmi les professeurs d'université. S'il vous plaît, continuez donc à parler comme vous le faites !

En ce qui concerne les problèmes de compétence, je vous rejoins entièrement. Comment y remédier ?

S'agissant du personnel du Conseil constitutionnel, il me semble que, comme l'a proposé Bastien François, ses membres devraient avoir leurs propres assistants afin que les services ne soient pas entièrement contrôlés par le secrétaire général, qui croit souvent incarner le Conseil constitutionnel à lui seul.

Les opinions dissidentes, ou divergentes, sont effectivement essentielles. À cet égard encore, le fonctionnement du Conseil constitutionnel est très présidentialiste.

En ce qui concerne les juridictions judiciaires, j'aimerais évoquer, parce que je suis femme, le problème de la féminisation. Les professions judiciaires en souffrent car elles sont d'autant moins bien défendues ; nous ne sommes pas très douées pour cela, en effet, peut-être par dévouement excessif à la cause publique.

Quelles réformes du Conseil supérieur de la magistrature proposeriez-vous ?

La réduction de la collégialité dans de nombreux domaines depuis plusieurs années est-elle un problème ?

Quelles réformes proposeriez-vous concernant le Conseil d'État ?

Enfin, si je vous approuve quant à l'effectivité de la justice, la notion de justiciabilité n'en pose pas moins quelques problèmes, car il est très à la mode de soutenir que certains droits ne seraient pas justiciables parce qu'ils ne sont pas invocables en justice. Ce serait le cas, pour toute une partie de la doctrine, de la Charte de l'environnement. Il me paraît donc important de bien distinguer la validité des normes et leur effectivité, l'existence des règles et le fait de les respecter.

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