Intervention de Denis Salas

Réunion du 12 juin 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Denis Salas :

Je suis frappé de constater que, par défaut d'héritage et de culture de l'indépendance, le CSM n'apparaît pas dans l'espace public. En France, une sorte d'inhibition fait que l'autorité judiciaire n'est pas incarnée. Si le président du Conseil supérieur – qui peut ne pas être un magistrat – était élu par ses pairs, cette légitimité élective lui permettrait peut-être de représenter l'autorité judiciaire aux yeux de l'opinion publique. Cette impossibilité de représentation pose problème dans une démocratie représentative.

Mais ce n'est pas qu'un problème de communication. Lorsqu'un magistrat est violemment mis en cause par un homme politique, les syndicats entrent en lice. Mais ils se distinguent de l'autorité judiciaire, assurant une défense corporatiste – légitime d'ailleurs – contre telle ou telle attaque. Nous devons donc réfléchir à une institution publique qui serait capable de présenter à l'opinion publique un visage dans lequel celle-ci pourrait reconnaître une autorité de l'État, avec ses caractéristiques d'impartialité et d'indépendance. C'est ce qui se passe en Italie, en Espagne, au Portugal, où le président du CSM s'adresse aux médias pour commenter une situation, exposer un projet, etc.

En ce qui concerne la déontologie, en effet, si nous allons vers un pouvoir judiciaire, il faut instituer un système de responsabilité. Le pouvoir judiciaire manie de la contrainte, qu'elle soit symbolique ou physique : Pierre Truche disait avec raison que c'était un métier violent. Nous devrions réfléchir à un système de responsabilité à deux niveaux.

Pour l'heure, le CSM a une responsabilité disciplinaire, mais celle-ci est ambiguë, puisque c'est le garde des Sceaux qui a la main sur la discipline des procureurs. Il faudrait donc rapatrier cette compétence pour que le parquet dispose d'un peu d'autonomie et ne craigne pas de faire l'objet d'une poursuite disciplinaire au moindre faux pas, en application de telle ou telle loi. Cela s'est vu, pour le parquet comme pour le siège, il n'y a pas si longtemps. Renaud Van Ruymbeke en sait quelque chose.

Réfléchissons à un pouvoir qui s'articule avec autorité, et donnons au Conseil supérieur les moyens de faire respecter une déontologie citoyenne. J'admire la charte déontologique du Conseil d'État, qui a une très grande force. Quand un juge est en difficulté face à une difficulté conflictuelle ou à un dilemme éthique, vers qui peut-il se tourner ? Au Conseil d'État, une charte déontologique, publiée sur le site du Conseil, et un comité des sages permettent de répondre aux interrogations éthiques.

Ce mécanisme de prévention de l'erreur ou de la faute par le dialogue interprofessionnel me semble extrêmement important dans une carrière où, à vingt-cinq ans, on peut être juge d'instruction à Hazebrouck et se retrouver confronté à une affaire comme celle qui s'est produite à Outreau en 2004, avec les conséquences que l'on sait. Aujourd'hui encore, de jeunes magistrats sont envoyés « au front » pour traiter d'affaires comme celle-là. J'ai moi-même été juge des enfants dans une région du Nord, et j'ai été confronté à des affaires hallucinantes pour quelqu'un qui n'avait aucune expérience. Vers qui pouvais-je me tourner ? J'étais seul, sans pouvoir obtenir la moindre aide de la part de l'institution. Certains se sont suicidés, même si l'on n'en parle pas.

Ainsi, la déontologie ne doit pas seulement être envisagée sous l'angle disciplinaire. Évidemment, il faut sanctionner lorsque faute il y a. La hiérarchie, c'est-à-dire les chefs de cour, peut y veiller. Mais ce peut être aussi un outil d'aide au décideur en situation de risque, dans des postes difficiles où il n'a aucun appui pour affronter certains dilemmes. Cela me semble être une nécessité si l'on s'oriente enfin vers un pouvoir reconnu. Et, face à ce pouvoir, il faut construire des niveaux de responsabilité, pensés en termes de sanction et de prévention.

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