Intervention de Denis Salas

Réunion du 12 juin 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Denis Salas :

Pour moi, la question urgente est celle du parquet et du procureur. Si l'on ne reconstruit pas la carrière sur des bases autres que celle de la hiérarchie, on pourra attendre des décennies avant que la justice soit indépendante.

Il faudra rétablir, du côté du CSM, pour le siège comme pour le parquet, soit un pouvoir de proposition des nominations, soit un pouvoir d'avis conforme ; on peut progresser dans les deux registres.

Actuellement, les postes des hauts magistrats – par exemple le président de la Cour de cassation – sont proposés au garde des sceaux par le CSM. Celui-ci a donc un pouvoir d'initiative. Il auditionne les candidats dans le cadre d'une audience du Conseil supérieur, examine leur profil et ce qu'ils proposent de faire dans le poste qu'ils envisagent d'occuper, et apprécie l'intérêt de leur nomination. Quand Philippe Courroye a été nommé au parquet de Nanterre, il n'avait jamais exercé au parquet. Or c'est un métier complexe, difficile, avec une équipe à diriger, des relations avec les médias. À l'époque, Jean-Louis Nadal, qui était procureur général près la Cour de cassation, président du CSM parquet, avait émis un avis défavorable, fondé sur des raisons sérieuses et non partisanes. De tels arguments restent dans le dossier de l'intéressé. Il s'agit d'un petit contre-pouvoir à l'hégémonie de l'exécutif en la matière. Il faut conférer au CSM le pouvoir de proposer les nominations à ces postes-là, au plus haut niveau du parquet, sur la base de critères professionnels. Cela donnera une image du corps judiciaire beaucoup plus conforme à ce qu'il est actuellement : nous avons de grands procureurs, mais le mode de distribution des nominations n'est pas à la hauteur de ceux qui exercent ce métier.

On peut aussi étendre le pouvoir de nomination des magistrats du siège à d'autres postes que ceux de chef de juridiction, ou étendre la possibilité d'avis conforme aux propositions du ministère. Mais cela suppose de transférer des services entiers du ministère de la justice au Conseil supérieur de la magistrature. Je ne suis pas sûr que ce soit indispensable.

Un tel transfert a d'ailleurs été tenté sans succès sous Vincent Auriol. La Constitution de la IVe République lui confiait la possibilité de gérer et d'administrer les magistrats. Mais – comme il le raconte dans ses Mémoires – il s'est heurté au mur des bureaux du ministère de la justice quand il a réclamé les moyens, en termes d'effectifs, nécessaires pour gérer la carrière des magistrats. Le ministère estimait en effet qu'il n'avait pas à transférer ses services au Conseil supérieur de la magistrature, car cela l'aurait dépossédé de ses pouvoirs. On voit là comment le pouvoir politique et administratif, de par sa puissance héritée de l'histoire, repousse d'un dédain magnanime le pouvoir judiciaire naissant sous la IVe République – pouvoir qui n'a pas pu prospérer. C'est la seule fois qu'un Président de la République tenta de s'approprier des prérogatives que la Constitution lui donnait.

En ce qui concerne la composition du CSM, j'insiste sur le fait qu'il faut délibérer sur l'élément professionnel et sur l'élément extérieur. Actuellement, vous avez une majorité liée aux non-magistrats. Mais une querelle oppose les tenants de la parité, ceux du « corporatisme » et ceux de la priorité donnée aux non-magistrats.

C'est plutôt au niveau de l'élection du président que l'on devrait intervenir. Il faudrait que celui-ci soit issu du Conseil supérieur – non pas le chef de l'État comme c'était le cas hier, ou le premier président de la Cour de cassation comme c'est le cas aujourd'hui – et construise à ce poste-là une position où il pourrait incarner le pouvoir judiciaire. C'est la réforme la plus porteuse de sens si l'on veut faire reconnaître ce pouvoir si longtemps refusé.

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