Intervention de Denis Salas

Réunion du 12 juin 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Denis Salas :

Je comprends la logique qui sous-tend la diversité des profils au sein du Conseil constitutionnel, celle-ci ayant vocation à enrichir les travaux de l'institution. Cependant, avec l'arrivée de la question prioritaire de constitutionnalité, les dossiers sont plus nombreux et plus techniques. J'ai appris avec stupeur que M. Joxe n'avait été désigné que deux fois au cours des neuf années de son mandat. J'admets la présence des politiques, mais celle des juristes est quand même nécessaire. Leurs expériences peuvent être conjuguées afin d'échapper à la dépendance vis-à-vis des services administratifs qui fournissent des solutions préformatées.

En tout état de cause, les membres du Conseil constitutionnel doivent être des juges, comme dans les autres pays européens. La Cour de Karslruhe jouit d'un charisme exceptionnel, à telle enseigne que, en Allemagne, elle caracole en tête des sondages. Elle incarne l'État de droit, à l'instar de la Cour suprême aux États-Unis.

Il faut réfléchir au profil des juges constitutionnels, dont le rôle est si important dans l'État de droit, afin de les placer en position d'exercer la plénitude de leurs fonctions. Ce métier, dont l'objet est tout de même la redéfinition des règles démocratiques touchant aux droits fondamentaux, va les absorber. Cet enjeu mérite qu'on réfléchisse plus avant aux profils et que, comme aux États-Unis, on organise des auditions publiques pour évaluer le profil des candidats. La question peut être résolue, mais elle demande que ne soient pas opposés la société civile et le corporatisme judiciaire, comme vous le faites de manière modérée. Je l'ai dit dès le début de mon exposé, la justice est traversée par des professionnels autres que les magistrats. Ce constat me semble important à poser d'emblée pour parer au reproche de l'entre-soi.

En faisant le choix de prendre le parti des victimes et des faibles, les médias ont contribué à dynamiser les lois répressives et participent à ce que j'ai pu appeler le « populisme pénal ». La loi pénale, placée sous le signe de l'émotionnel, fait exploser l'État de droit au nom de la cause des victimes. Cette cause va sanctifier les atteintes aux droits fondamentaux, parmi lesquels la présomption d'innocence que vous avez évoquée. Elle a été le leitmotiv permanent du précédent quinquennat. Si, aujourd'hui, les réactions s'atténuent au plan politique, les médias, eux, restent dans ce registre. Ils possèdent cette capacité à susciter l'émotion de manière nocive – l'émotion peut être positive –, puisqu'elle va provoquer ce réflexe d'indignation, d'incrimination, voire de vengeance, qui va s'emparer des lois comme on l'a vu si souvent en France et aux États-Unis.

Je sais que la mission d'information conduite par le député Alain Tourret envisage d'étendre à vingt ans la prescription criminelle. Je mets en garde contre la tentation de construire une éternité pénale au-dessus de la tête des citoyens, qui seraient ainsi voués à un destin pénal collectif. Nous aurions à rendre compte de nos fautes, quoi qu'il arrive et pour toujours, indépendamment de l'oubli auquel nous pouvons aspirer.

On observe une dilatation du temps pénal sous la pression victimaire, qui n'est pas illégitime mais exige de la modération – j'en appelle aux mânes de Montesquieu – pour éviter cet empire du droit que beaucoup redoutent aujourd'hui.

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