Je partage ces inquiétudes, mais vous répondrai en vous faisant partager une expérience récente. J'ai travaillé sur le fonctionnement de la cellule de crise pendant les attentats de janvier, avec cette question à l'esprit : comment une cellule opérationnelle élabore-t-elle sa doctrine pour répondre à l'immédiateté d'un défi de cette ampleur ? J'ai été très frappé par l'autonomie fonctionnelle de la cellule. Le procureur de la République, le chef de la police et les unités opérationnelles décident en temps réel comment procéder. Ils informent le politique, mais, pour le reste, s'appuient sur leur professionnalisation. Ce n'est pas par hasard que le parquet antiterroriste est installé à Paris : il a un savoir-faire. Dans ces cas-là, les conflits, les querelles et les rivalités sont mis de côté et la doctrine s'élabore entre professionnels – du renseignement, du parquet et de la police –, afin de conduire une information tout en gérant la communication pour apaiser l'inquiétude collective.
À l'opposé, l'affaire de la maternelle de Neuilly que j'ai eu à connaître était totalement politique. Nicolas Sarkozy, alors maire de Neuilly, en a fait une affaire personnelle, n'hésitant pas à s'introduire dans le dispositif de sécurité. Les choses ont évolué depuis, et j'ai noté la légitimité de l'intervention professionnelle ainsi que la loyauté dans la collaboration entre police, services secrets et parquet.
On a pu s'interroger – moi le premier – sur les raisons qui justifiaient de tuer les terroristes, sur le fondement juridique d'un tel acte. J'ai compris que l'État de droit n'était pas absent de l'opération de police. Les policiers nous ont dit qu'ils veillaient à être en état de légitime défense face à des individus qui les menaçaient de manière violente. Ils s'autorisent à répliquer en ayant à l'esprit l'État de droit et non pas la vengeance ou la réaction pulsionnelle à leur mise en danger.
Ainsi, malgré les difficultés que vous avez relevées, il existe des constructions professionnelles qui échappent souvent à notre regard et dans lesquelles la distinction est clairement établie entre une situation d'État de droit pour défendre la République et une guerre au terrorisme qui justifierait n'importe quoi, en termes de renseignement ou de violences policières. Cette préoccupation me semble partagée par le parquet et les forces de sécurité dans des affaires aussi graves. S'il y a une information du politique, elle s'accompagne d'une autonomie revendiquée, construite sur le terrain.