Mesdames, messieurs les députés, comme vient de le souligner le président, la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 4 mai dernier a conduit le Gouvernement à travailler dans l'urgence au rétablissement de l'incrimination de harcèlement sexuel. Pendant le même temps, le Sénat a produit sept propositions de loi et organisé l'audition d'une cinquantaine de personnalités, d'associations et d'experts. C'est sur la base de ce travail que nous avons abouti à un texte qui a donné lieu à une discussion en séance publique, la semaine dernière, au Sénat. Naturellement, le présent projet de loi pourra être enrichi encore par votre assemblée.
Nous avons bien évidemment eu le souci de la sécurité juridique du texte, compte tenu du motif pour lequel le Conseil constitutionnel a abrogé l'article 222-33 du code pénal. Les débats qui ont eu lieu au Sénat sur un certain nombre de concepts ou termes trouveront sans doute un prolongement à l'Assemblée. Pour notre part, nous avons souhaité conserver autant que possible des notions déjà présentes dans le code pénal.
Nous nous sommes également référées aux directives européennes traitant de l'incrimination de harcèlement sexuel. Dans la mesure où elles n'imposent pas de sanction pénale, nous n'avons pas procédé à leur transposition en droit interne, mais nous les avons aménagées en introduisant des éléments objectifs et identifiables – comportements, agissements, actes –, alors qu'elles font référence, pour leur part, à la perception que la victime peut avoir du harcèlement.
Nous avons également débattu pour savoir si certains cas de harcèlement peuvent présenter des circonstances aggravantes ou s'ils doivent relever de l'article qui définit les discriminations. J'y reviendrai.
Le 10 mai, la Chancellerie a adressé aux parquets une circulaire les invitant à requalifier en violence volontaire, harcèlement moral ou tentative d'agression sexuelle les plaintes qui n'auraient pas encore fait l'objet d'une saisine juridictionnelle. Le 7 juin, je leur ai demandé de porter à notre connaissance d'ici au 30 juin les réquisitions et les décisions qu'ils auraient été amenés à prendre sur les procédures en cours. Ainsi, sur 130 procédures, 50 ont été requalifiées.
Sur environ 1 000 plaintes déposées chaque année sur le fondement de harcèlement sexuel, un grand nombre font l'objet d'un classement sans suite ; 80 seulement aboutissent à une condamnation, généralement assortie d'un sursis, parfois d'une amende. Et le taux d'appel est de l'ordre de 25 %, ce qui est important.
Le texte que vous allez examiner aujourd'hui comporte dix articles.
L'article 1er donne une nouvelle définition du harcèlement sexuel. La rédaction que nous vous proposons est plus large dans son champ d'application et plus précise que l'incrimination annulée par le Conseil constitutionnel. En outre, le quantum des peines y est plus élevé.
Cet article définit l'incrimination sous deux aspects : celui du harcèlement par répétition, au moyen de propos ou d'agissements ; celui d'un acte unique, mais qui aboutit aux mêmes conséquences que le harcèlement sexuel. Les peines seront les mêmes dans les deux cas.
L'article 2 et les trois suivants portent sur la discrimination, avec l'introduction des notions d'orientation et d'identité sexuelles. Après des échanges nourris, le Sénat a en effet tranché en faveur de cette dernière notion plutôt que de l'identité de genre, mais le débat n'est pas épuisé.
Nous avons modifié le code de procédure pénale à deux niveaux, afin de permettre aux associations de se constituer partie civile.
L'article 3 modifie le code du travail, en renvoyant à la nouvelle rédaction introduite dans le code pénal.
À l'article 3 bis, le Sénat a procédé à un ajustement du statut des fonctionnaires, disposition prévue initialement par le Gouvernement mais qu'il avait retirée pour laisser place à la consultation des représentants des fonctionnaires, actuellement menée par Mme la ministre de la Réforme de l'État et de la fonction publique. À noter que l'incrimination a été réintroduite in extenso dans le statut des fonctionnaires, contrairement à ce qui a été fait pour le code du travail.
L'article 4 modifie le code du travail de Mayotte, devenue département il y a quelques mois seulement et pour laquelle nous procédons encore à la transposition d'une série de dispositions législatives, essentiellement par voie d'ordonnances.
L'article 5 concerne Wallis-et-Futuna et la Polynésie française.
L'article 6 comporte des dispositions applicables aux Terres Australes et Antarctiques Françaises et à Wallis-et-Futuna.
Je reviens sur les circonstances aggravantes, prévues à l'article 1er au nombre de cinq. La première est l'abus d'autorité de la part d'une personne dans le cadre de ses fonctions. La deuxième est le harcèlement pratiqué à l'encontre d'un mineur de quinze ans. Comme le Sénat, vous souhaiterez probablement débattre de cette limite d'âge, pour savoir s'il faut la maintenir ou non.
Le harcèlement à l'égard d'une personne d'une particulière vulnérabilité sera également une circonstance aggravante, d'ailleurs prévue pour toutes les infractions à caractère sexuel – c'est pourquoi la rédaction du projet de loi en reprend la formulation avec les termes « vulnérabilité due à l'âge, à une maladie, à une infirmité », etc.
Adoptant un amendement du Gouvernement, le Sénat a ajouté une circonstance aggravante liée à la « vulnérabilité ou dépendance de la victime résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale, apparente ou connue de l'auteur ». Cette rédaction permettra au juge, non pas de porter une appréciation, quantitative ou de valeur, sur ce qu'est la vulnérabilité économique ou sociale, mais de tenir compte de la réalité d'une situation.
Enfin, la cinquième circonstance aggravante sera constituée lorsque plusieurs personnes agiront « en qualité d'auteur ou de complice ».
En définitive, grâce à ce projet de loi, l'incrimination devient plus précise et permettra de répondre à toutes les situations concrètes qui nous ont été relatées tant par les associations que par les syndicats et personnalités que nous avons auditionnés.
Des interrogations demeurent à propos de l'acte unique. Comme je l'ai dit, le Gouvernement a, en permanence, été animé par un souci de sécurité juridique. Nous avons jugé que retenir l'acte unique – qui sémantiquement diffère du harcèlement en ce qu'il ne suppose pas la réitération – imposait de le caractériser. C'est ce que nous avons fait, sur la base de deux critères : celui de la pression grave et celui du but réel ou apparent. Le Sénat s'est interrogé sur la difficulté d'apporter des preuves, notamment en cas de pression grave. L'acte unique, s'il intervient dans le cadre d'un entretien d'embauche, de la préparation d'une thèse de doctorat ou de la soutenance d'un mémoire, ou encore lors de la signature d'un bail locatif, peut avoir des effets équivalents au harcèlement en ce qu'il consiste en un chantage sexuel – certains l'ont d'ailleurs qualifié ainsi. Votre Assemblée en débattra très certainement.
Quoi qu'il en soit, il était important de retenir l'acte unique. Cette notion suscite néanmoins l'inquiétude de certains sénateurs et députés dans la mesure où il existe un risque de sous-qualification de l'agression sexuelle en harcèlement sexuel. Nous avons donc travaillé à la rédaction d'amendements qui contribueraient à lever ce risque.
En sus de l'éclairage apporté par vos travaux, la circulaire d'application de la loi invitera les parquets à considérer comme circonstance aggravante l'abus d'autorité à l'égard des mineurs de plus de quinze ans lorsqu'ils sont stagiaires dans les entreprises, mais aussi dans de nombreuses circonstances où ils sont susceptibles d'être exposés au harcèlement sexuel : en colonies de vacances, lors de sorties ou dans les milieux sportifs.
Je n'ignore pas votre intention d'enrichir ce projet de loi que nos concitoyens attendent avec impatience, ou de débattre de certaines de ses dispositions. Je suis maintenant prête à répondre à toutes vos questions.