Je remercie ceux des orateurs qui, ayant posé des questions, ont la courtoisie d'être présents pour écouter les réponses.
En Turquie, l'AKP, parti de M. Erdogan, avec 40,6 % des voix, n'a certes plus la majorité absolue qu'il détenait depuis 2002, mais ce score n'est pas négligeable. Le parti pro-kurde HDP a obtenu 13 % des voix, la droite nationaliste 16,5 % et le CHP, parti de la gauche kémaliste, qui reste le premier parti d'opposition, 25 %. Les conséquences de ce scrutin sont celles qu'a dites M. Dufau : le président ne pourra procéder aux changements qu'il voulait. Mon homologue turc m'a indiqué hier que la réflexion se poursuit sur les choix possibles : une alliance de l'AKP et des nationalistes – qui aurait des incidences en Syrie, avec l'Union européenne et dans les relations avec Chypre – une gestion minoritaire, d'autres perspectives encore, dont une dissolution. On ne sait encore quelle décision prendra M. Erdogan mais on a noté le ton conciliant de son communiqué, dans lequel il appelle tous les partis à la responsabilité et à la stabilité. Les spécialistes analysent la forte progression du parti kurde comme le résultat d'une campagne bien menée par un leader qui a de la force et du fait que des électeurs ont trouvé par ce vote le moyen de manifester leur opposition à l'AKP. Le taux, considérable, de participation aux élections a été de 86 %. Nous restons en contact avec nos collègues turcs.
J'ai entendu, au sujet de la lutte contre Daesh, les affirmations impérieuses de quelqu'un qui vient de nous quitter et selon lequel nous serions à la remorque des États-Unis. Je ne l'avais pas remarqué, non plus que les Américains, l'opinion publique et les spécialistes. Voilà qui me fait irrésistiblement penser à la phrase de Georges Clemenceau : « Il sait tout, mais rien d'autre ». (Rires) Si les frappes ne sont pas plus fortes, c'est que Daesh mêle la population à ses troupes, et que la coalition veut éviter les pertes civiles. La situation est donc difficile. Il reste à savoir comment Daesh peut continuer d'écouler son pétrole et ainsi de se financer. Un effort est manifestement nécessaire pour attaquer Daesh au portefeuille. Les questions stratégiques ont été abordées avec les militaires présents à la réunion de la coalition.
La France, monsieur Rochebloine, ne participera pas à une intervention terrestre, car nous tirons les enseignements des événements dont nous avons été témoins depuis une quinzaine d'années : on ne peut gagner une guerre par des frappes aériennes seules et il faut aussi des troupes terrestres, mais des puissances étrangères qui viennent en appui au sol, très vite ne sont plus considérées que comme des puissances étrangères, et ne peuvent remplir l'objectif de leur intervention.
Je partage votre opinion, monsieur Destot : l'implication des ONG, des entreprises et des collectivités locales dans la préparation de la COP 21 est très importante, et elle est réelle. Une réunion importante aura lieu à Lyon, une autre avant la fin de l'année en France, d'autres encore sur les différents continents ; Ban Ki-Moon a confié à Michael Bloomberg, ancien maire de New York, une mission de coordination. Des décisions spectaculaires ont déjà été prises. Ainsi, l'État de Californie, 8ème puissance économique mondiale, a fait connaître son engagement. La maire de Paris a réuni ses collègues de l'Union européenne. Pour la première fois, outre les nations, de nombreuses collectivités, entreprises et secteurs économiques disent leur implication dans la lutte contre le dérèglement climatique. Le fait que des institutions financières intègrent le risque climatique dans le fonctionnement de l'économie est un autre changement considérable. Aussi la COP 21 ne permettra pas de tout résoudre, mais ce peut être un point de bascule.
Une série de contacts ont lieu à propos de la Grèce. La solution est difficile à trouver car elle suppose l'accord du FMI, de l'Union européenne et des Grecs, dont le Premier ministre est dans une situation intérieure compliquée. La France participe à la recherche d'une solution.
Je vous parlerai plus longuement, à une autre occasion, de la négociation complexe en cours avec l'Iran, dans laquelle nous sommes très présents. Aussi, en entendant un ancien haut responsable français faire – depuis l'étranger, rompant ainsi la tradition – le reproche au Gouvernement que la France était absente de la discussion avec l'Iran, je me suis interrogé un court instant – est-il victime d'un manque d'informations, d'un défaut d'objectivité, ou des deux ? – avant que me reviennent en mémoire les mots de Marcel Proust évoquant « le snobisme des idées mineures »… (Rires)
À propos de la Palestine et d'Israël, si le représentant de l'UMP avait eu la possibilité de rester, je lui aurais dit que si l'on veut véritablement mettre en oeuvre la solution des deux États, il faut commencer par dire que la colonisation est inacceptable et non se taire parce que cela ne plaît pas au public que l'on a en face de soi. Israël et la Palestine doivent discuter ; ils doivent donc y être incités par des mesures de confiance, ce que n'est pas l'extension de la colonisation. Je me rendrai en Israël, à Ramallah, en Egypte et en Jordanie pour en discuter. Outre qu'il faut des mesures de confiance pour entrer dans la négociation, l'Histoire nous enseigne depuis quarante ans que quand les négociations ont lieu, elles n'aboutissent jamais. Il faut donc changer de méthode. La France, qui est l'amie des Palestiniens et d'Israël, souhaite voir respectés les droits des Palestiniens, et considère que sans justice il n'est pas de paix possible. Ceux qui, parmi vous, sont allés récemment à Gaza l'auront constaté : les destructions ont été telles que l'on ne voit même plus la trace des routes. Il faut donc des mesures de confiance amenant à la reprise des négociations, mais il faut aussi un accompagnement international de la négociation par les membres permanents du Conseil de sécurité, l'Union européenne et les pays arabes, pour pousser les parties à faire les pas décisifs permettant qu'enfin la paix puisse avoir lieu. Telle est la proposition de la France.
Présenter un projet de résolution à ce sujet devant le Conseil de sécurité des Nations Unies n'a de sens que s'il est accepté ; rien ne sert de s'exposer au veto de l'un des membres du Conseil dont les déclarations varient. La France avait fait un important travail à ce sujet avant Noël, qui n'a pu aboutir en raison des élections israéliennes. Certains nous disent que cela ne se peut maintenant non plus en raison de la négociation en cours sur le programme nucléaire iranien. Mais alors, quand ? Ma hantise est de me réveiller un matin pour apprendre que les échanges de roquettes ont recommencé à Gaza. On ne peut se contenter de regarder ; il faut agir, avec les parties bien sûr. J'ai reçu la visite – c'est probablement ce qu'il faut entendre par « être à la traîne des Américains » – d'une délégation composée de Palestiniens, de Marocains, de Jordaniens et d'Egyptiens, venus me dire qu'ils avaient confiance en la France et qu'ils lui demandent d'agir. J'irai dans quelques jours parler aux Israéliens, comme il est normal, pour tenter, entre amis, de trouver une solution. Voilà ce qu'essaye de faire la France. Peut-être les résultats ne seront-ils pas positifs, mais il est rare que l'on fasse avancer les choses en se contentant de pérorer. Je vous renvoie au Marchand de Venise : « S'il était aussi facile de faire que de dire ce qu'il faut faire, les églises seraient des cathédrales et les masures des palais ». (Sourires)
Monsieur Vauzelle, le président de la République participera au sommet de Bruxelles qui traitera des relations entre l'Union européenne et les pays de la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes, des progrès à accomplir dans la perspective de la COP21 et de projets d'accords commerciaux.
Au sujet de l'accord entre la France et les États-Unis dont il a été question, je ne répondrai pas à quelqu'un qui n'a pas eu le temps de rester, sinon pour dire que ce texte n'est pas une duplication de l'accord signé entre l'Allemagne et les États-Unis, et que la comparaison, infondée, n'a pas lieu d'être.
Nous avons veillé, monsieur Hamon, à ce que le protocole additionnel à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre la France et le Maroc ne porte pas atteinte aux principes de territorialité et de compétence universelle. Pour l'instant, vous êtes saisis de ce seul texte ; je ne maîtrise pas l'avenir.
Nous pouvons, monsieur Mariani, discuter des postes diplomatiques au format allégé, mais vous connaissez la contrainte budgétaire. À partir de fin juin, les correspondances diplomatiques seront communiquées aux parlementaires des Français établis hors de France ; le mécanisme sera étendu à tous les parlementaires une fois établi qu'il est satisfaisant.
J'ai reçu hier mon collègue du Kosovo. Il lie au banditisme les incidents dont vous avez fait état, monsieur Le Borgn'. Sans nous ingérer dans les affaires intérieures de la Macédoine, où la situation est effectivement très mauvaise, nous avons fait savoir notre préoccupation.
Je ne suis pas en mesure de vous dire, madame Fourneyron, si les nouvelles informations relatives au piratage de TV5 Monde sont fondées. La situation en Ukraine a été évoquée au cours de la réunion du G7. L'élément déterminant est le respect de l'accord de Minsk II. Si l'accord est respecté, les sanctions à l'encontre de la Russie seront levées le moment venu, la date butoir étant fixée à décembre ; s'il ne l'est pas, les sanctions seront renouvelées fin juin. Une réunion dans le format « Normandie » est prévue à ce sujet dans les jours qui viennent, au niveau des directeurs et, le cas échéant, des ministres.
La liste des personnes interdites d'entrée sur le territoire russe a été établie dans un semblant de parallélisme des formes, la différence étant que l'Union européenne a fondé juridiquement les sanctions décidées – au regard de l'annexion de la Crimée –, qu'elle les a publiées et qu'elles sont susceptibles de recours ; ce n'est évidemment pas le cas pour les personnalités visées par la Russie. L'interdiction d'entrée en Russie qui vise M. Bruno Le Roux est une mesure de rétorsion à la sanction qui frappe un membre de la Douma d'État.
La question des migrants sera à l'ordre du jour du Conseil européen des 25 et 26 juin, monsieur Vauzelle. Des mesures simultanées sont prises, d'abord pour améliorer la surveillance maritime et sauver tous ceux que l'on peut sauver. D'autre part, une activité diplomatique intense a lieu en Libye, où la constitution d'un gouvernement d'union nationale est également nécessaire, car si l'on ne parvient pas à rétablir un certain ordre dans ce pays, les départs massifs de migrants se poursuivront, avec leur cortège de drames. Une démarche engagée par l'Union européenne auprès des Nations Unies pour définir la teneur d'une résolution qui autoriserait l'arraisonnement ou la destruction des bateaux utilisés par les trafiquants d'êtres humains n'a pas abouti à ce jour, le gouvernement libyen et certains membres du Conseil de sécurité s'y opposant. Enfin, il faut distinguer les migrants qui peuvent bénéficier du droit d'asile des migrants économiques, et c'est pourquoi le Gouvernement français a refusé la notion de quotas. Autant le quota est insuffisant quand on parle d'asile puisque l'asile est un droit, autant il est excessif pour les migrants économiques ; si jamais personne n'est ramené dans son pays d'origine, on se trouve dans une grande difficulté.
En résumé, une très grande vigilance s'impose à propos de la Syrie, où il faut tout faire pour accélérer la transition politique.
Toutes les forces diplomatiques sont déployées pour faire progresser la préparation, compliquée, de la COP 21.
Dans le conflit israélo-palestinien, la France a le rôle historique de proposer des solutions, évidemment pas à l'insu de telle ou telle partie. Face à un drame qui peut à chaque instant conduire à un embrasement, on ne peut rester sans rien faire. Le pire serait que le mouvement terroriste Daesh réussisse, par une escroquerie intellectuelle supplémentaire, à se faire le héraut de la cause palestinienne. Il faut éviter cela. Or, il n'est pas de solution possible assurant la sécurité d'Israël si la question palestinienne n'est pas résolue, et il n'y a pas de solution à la question palestinienne si justice n'est pas rendue aux Palestiniens. Je suis absolument favorable à la négociation et j'irai discuter avec les autorités locales pour essayer d'avancer en ce sens, mais la négociation est faite pour aboutir à une conclusion, non pour empêcher d'aboutir à une conclusion. La tâche est très difficile mais il revient à la diplomatie française d'avancer sur ces fronts multiples – car c'est la France qu'à chaque fois on sollicite.