Mesdames, messieurs, le travail mené dans un esprit très constructif au Sénat a permis d'enrichir ce projet de loi. Cette unanimité honore la Haute assemblée.
Très attendu, ce texte revêt un caractère d'urgence pour combler le vide juridique provoqué par la décision du Conseil constitutionnel et, surtout, pour garantir une protection efficace contre le harcèlement sexuel.
Ce dernier est un phénomène beaucoup plus fréquent qu'on ne l'imagine. Selon une étude menée en 1999 par la direction générale « Emploi » de la Commission européenne, près de 40 % des femmes en Europe déclaraient avoir subi au moins une fois dans leur vie active des faits qu'elles qualifiaient de harcèlement sexuel. En France, une enquête réalisée en 2000 par l'Observatoire départemental des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis a révélé que 45 % des 1 772 femmes interrogées disaient avoir eu droit à des blagues sexistes ou sexuelles au travail, la moitié d'entre elles de façon répétée, et que 13 % des salariés déclaraient avoir côtoyé des personnes ayant eu une attitude insistante, voire gênante, et des gestes déplacés.
Loin d'être marginal dans notre société, ce phénomène repose sur un certain nombre de ressorts – je pense aux stéréotypes – et a été pendant trop longtemps considéré avec condescendance. Aujourd'hui, nous voulons prendre à bras-le-corps cette question.
Dans son rapport, la sénatrice Brigitte Gonthier-Maurin, présidente de la Délégation aux droits des femmes, a parlé de « véritable plaie sociale qui doit être endiguée et combattue comme telle. » Nous souscrivons à ces propos, d'autant que, d'après tous les témoignages que Christiane Taubira et moi-même avons entendus, notamment de la part des associations, le harcèlement sexuel est extrêmement pénible à vivre – il est un véritable calvaire au quotidien pour les victimes –, sans compter les conséquences psychiques, professionnelles et familiales qu'il engendre.
Face à cette réalité, la réponse pénale semble être en décalage, avec 1 000 procédures en moyenne par an, dont plus de 50 % classées sans suite au motif que l'infraction n'était pas constituée, cependant qu'une très grande majorité des peines d'emprisonnement étaient assorties d'un sursis total. En outre, les peines d'amende s'élèvent en moyenne à 1 000 euros, soit bien moins que ce que prévoit le présent projet, et même que ce que prévoyait l'ancienne loi – et un quart des condamnations en la matière sont prononcées par les cours d'appel.
Or la réponse apportée par la justice est primordiale puisque le harcèlement, s'il est toléré, peut constituer les prémices de violences plus graves. Aussi le vide juridique créé par la décision du Conseil constitutionnel, même si l'on ne peut que le déplorer, nous donne-t-il l'occasion de compléter et d'enrichir l'ancien texte, qui s'était révélé largement insatisfaisant.
Mme la garde des Sceaux et moi-même sommes pleinement conscientes que le calendrier d'examen de ce texte, sur lequel est engagée la procédure accélérée, n'est pas très heureux pour votre assemblée. Votre rapporteure, Pascale Crozon, a disposé de quelques jours seulement pour préparer le rapport qu'elle proposera à votre Commission d'adopter demain. En outre, nombre d'entre vous, en particulier les députés nouvellement élus, auraient souhaité disposer de plus de temps pour débattre au fond de ce texte dont la discussion en séance publique commencera dès la semaine prochaine – alors que les sénateurs ont commencé à y travailler dès le lendemain du 4 mai. Cela étant dit, vous-mêmes devez avoir conscience de la souffrance qu'éprouvent les victimes depuis cette date, d'autant que les délais d'instruction de ces affaires sont en moyenne de 24 mois, ce qui signifie que la période de vide juridique aura des incidences pendant très longtemps, y compris sur les affaires en cours.
Bref, il était nécessaire d'agir vite pour ne pas laisser perdurer cette situation d'impunité dont bénéficient les harceleurs et pour garantir une protection légale aux femmes, mais aussi pour sécuriser ce texte afin d'éviter une nouvelle question prioritaire de constitutionnalité (question prioritaire de constitutionnalité) susceptible d'anéantir notre travail. Voilà pourquoi nous avons fait le choix d'un projet de loi, qui a été largement enrichi par les sénateurs et que vous saurez à votre tour compléter, je n'en doute pas, d'autant que Mme Crozon a assisté très assidûment aux débats du Sénat.
Dès notre entrée au Gouvernement, Mme la ministre de la Justice et moi-même avons rencontré l'ensemble des associations impliquées dans la lutte contre le harcèlement sexuel, afin de recueillir leurs demandes. Avec Michel Sapin en particulier, nous avons informé les partenaires sociaux, puisque c'est le plus souvent dans le monde du travail que sévissent les harceleurs sexuels. Pour ce faire, j'ai organisé en juin un Conseil supérieur de l'égalité professionnelle au sein duquel les partenaires sociaux se sont révélés être très demandeurs d'un texte de loi – et désireux de travailler également à la prévention du harcèlement, sujet sur lequel je reviendrai.
Les avancées apportées par le Sénat sont très importantes et permettent au projet de loi de n'oublier aucune situation.
L'ancien texte de loi sur le harcèlement sexuel exigeait l'existence d'une intention d'obtenir des faveurs sexuelles pour prouver le harcèlement. Ce n'est plus le cas avec ce projet, permettant de condamner des agissements répétitifs qui « pourrissent » la vie des femmes, situation malheureusement fréquente de nos jours.
D'autre part, le fait unique – couramment appelé « chantage sexuel », pratiqué lors des entretiens d'embauche par exemple – est assimilé au harcèlement sexuel et sera également réprimé. Le Sénat nous avait proposé de le dénommer « chantage sexuel », mais nous ne l'avons pas suivi car la notion de chantage, qui existe déjà dans le code pénal, se prêtait mal à notre cas puisqu'elle concerne la recherche d'avantages matériels et financiers.
En outre, la définition du harcèlement sexuel devrait faciliter l'instruction des plaintes puisque nous avons veillé à utiliser un vocabulaire qui puisse être parfaitement appréhendé par les magistrats – je pense aux termes « imposer » ou « but réel ou apparent ». De plus, ainsi que Mme la ministre de la Justice l'a rappelé, une circulaire à l'intention des parquets devrait expliciter le texte dans un souci d'efficacité.
Les sénateurs ont insisté pour que le terme « environnement », qui figurait initialement dans la définition de l'article 1er, soit remplacé par celui de « situation ». Ce terme « environnement » était issu de la directive européenne sur laquelle nous nous sommes beaucoup appuyés, mais nous avons accepté l'amendement sénatorial car, dans tous les cas, les magistrats pourront apprécier si « la situation [est devenue] intimidante, hostile ou offensante » pour les victimes, autrement dit si les conditions de travail, voire de vie, de ces dernières ont été altérées.
Les peines prévues sont plus importantes que par le passé : deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende, hors circonstances aggravantes. Elles ont été définies au regard de l'échelle des peines actuelle, qui va d'un an pour l'exhibition sexuelle à cinq ans pour l'agression sexuelle, et à quinze ans pour le viol.
Ce texte apporte une nouveauté : les discriminations que subiront les victimes de harcèlement sexuel ou les témoins de tels agissements seront condamnées. Concrètement, une personne qui, pour avoir refusé une proposition de nature sexuelle, n'aurait pas été embauchée, ou aurait été licenciée ou mal notée, tout comme le témoin de faits de harcèlement sexuel qui les aurait relatés et qui aurait subi les mêmes discriminations par la suite, seront protégés par la loi.
Sur les discriminations, les sénateurs ont permis de faire évoluer le texte en traitant de la question essentielle de l'orientation sexuelle de la victime. Après avoir souhaité en faire une circonstance aggravante, ils se sont ralliés à notre proposition d'en faire plutôt un critère de discrimination. Nous avons également amélioré le texte en y ajoutant l'identité sexuelle – ajout qui rend notre droit plus explicite sur la possibilité de réprimer des discriminations à l'endroit de personnes transsexuelles.
Cela imposera d'introduire dans les autres codes – du travail, de la fonction publique, du sport, de procédure pénale – cette notion de discrimination liée à l'identité sexuelle. J'espère que votre assemblée pourra se saisir de cette question.
Autre apport du Sénat : le texte concerne également les fonctionnaires. Les sénateurs ont en effet intégré au texte gouvernemental une modification de la loi de 1983 sur les droits et obligations des fonctionnaires et y ont introduit l'interdiction du harcèlement sexuel et sa nouvelle définition.
De plus, ils ont autorisé les associations dont l'objet statutaire est la lutte contre le harcèlement sexuel à se porter partie civile aux côtés des victimes. Cette possibilité aidera beaucoup de personnes qui ne se sentent pas capables de porter seules une action en justice.
Au-delà de la répression, il faut mener un important travail de prévention et d'information. S'agissant de l'information, avec l'aide des associations d'accueil, d'information et d'orientation des femmes, je ferai en sorte que les nouveaux droits créés par cette loi soient parfaitement connus de nos concitoyens. Ce point me tient particulièrement à coeur. S'agissant de la prévention, la conférence sociale qui s'est tenue au début de la semaine dernière m'a donné l'occasion d'y animer un atelier sur l'égalité professionnelle et sur l'amélioration de la qualité de vie au travail. Dans ce cadre, nous avons largement abordé la question de la prévention du harcèlement sexuel dans les relations de travail. Les partenaires sociaux ont déjà négocié un accord interprofessionnel sur le sujet en 2010. Nous allons progresser en la matière, avec l'aide de Marylise Lebranchu pour ce qui concerne la fonction publique. Geneviève Fioraso, ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche a, de son côté, parfaitement conscience de la nécessité d'engager une réflexion sur les procédures disciplinaires applicables en cas de harcèlement à l'université – procédures disciplinaires qui, aux dires de toutes les associations concernées, sont largement insatisfaisantes. Nous travaillerons donc également sur ce sujet.
Avec ce projet de loi, le code du travail est amélioré puisque, grâce aux travaux menés avec le Sénat, est désormais reconnu aux délégués du personnel le pouvoir de saisir immédiatement l'employeur en cas d'atteinte résultant de faits de harcèlement sexuel, comme ils ont déjà la possibilité de le faire en cas d'atteinte au droit et à la santé des salariés.
Dans le même esprit, a été introduite une disposition permettant aux services de santé au travail de conseiller l'employeur en matière de prévention du harcèlement sexuel. Cette disposition est d'autant plus importante que ces services sont des acteurs privilégiés dans ce domaine.
Enfin, le Sénat a étendu aux stagiaires l'ensemble des dispositions relatives au harcèlement sexuel.
Sitôt adopté – nous l'espérons assez rapidement – avec vos améliorations, ce projet de loi fera l'objet d'une grande campagne de sensibilisation. La décision du Conseil constitutionnel a au moins eu un avantage : on n'a jamais autant parlé de harcèlement sexuel que depuis le 4 mai, ce qui a encouragé de nombreuses victimes à mettre des mots sur leur souffrance – à oser en parler et à porter plainte –, comme nous l'ont expliqué les associations. Nous souhaitons que les choses continuent ainsi afin que ne subsiste plus ce tabou dans notre société.