Intervention de Michel Combes

Réunion du 16 juin 2015 à 18h00
Commission des affaires économiques

Michel Combes, directeur général d'Alcatel-Lucent :

Je vous remercie de nous donner la possibilité de vous présenter les raisons qui nous ont conduits, Rajeev Suri et moi-même, à proposer ce projet majeur de rapprochement entre Alcatel-Lucent et Nokia.

Je voudrais avant tout vous dire toute ma fierté de contribuer à la naissance d'un champion européen du numérique qui sera leader mondial sur tous ses marchés cibles. Depuis des années, j'ai publiquement exprimé avec constance l'urgence d'une action européenne forte en ce domaine. Alors que la révolution du numérique est désormais en marche, nous ne pouvons rester naïfs et désarmés face à la redoutable intensité de la concurrence américaine et chinoise. À l'échelle de ces pays-continents, l'enjeu d'une stratégie de puissance et d'indépendance sur ces évolutions technologiques, qui vont structurer nos économies et nos vies, a été compris depuis longtemps. Je sais que beaucoup d'entre vous dans cette salle, notamment Laure de La Raudière et Corinne Erhel, partagent ces analyses, et ont pu l'expliquer à plusieurs reprises. Un grand pas en avant est désormais accompli !

J'exprimerai aussi ma fierté de renforcer l'ancrage français du groupe, qui sera un atout formidable pour la nouvelle société. La direction de la recherche et de l'innovation sera localisée en France, et ce à la demande du Président de la République – demande relayée par le ministre Emmanuel Macron. Les effectifs de recherche et développement seront augmentés de 2 000 à 2 500 sur le long terme, et les effectifs totaux à l'issue du plan Shift maintenus pendant deux ans après la clôture, c'est-à-dire jusqu'à la fin de l'année 2017. Les sites d'avenir que sont Villarceaux et Lannion seront renforcés. La force de cet ancrage doit beaucoup à la mobilisation des élus locaux, notamment à celle de Corinne Erhel, qui ont constamment oeuvré pour maintenir et renforcer l'attractivité de leurs territoires.

Pourtant, il y a moins de trois ans, rien de cela n'était acquis. À mon arrivée comme directeur général d'Alcatel-Lucent au début de l'année 2013, l'entreprise était en situation de quasi-faillite. J'avais eu l'occasion de le dire devant vous. Depuis cette date, la survie du groupe puis la définition d'un nouveau projet industriel ont été des combats acharnés que mon équipe de direction et moi-même avons livrés sans relâche avec l'ensemble des collaborateurs de l'entreprise. Le plan Shift a permis à Alcatel-Lucent de se redresser et d'avoir un cap, une lisibilité, une assise financière. À la fin de l'année 2012, Alcatel-Lucent brûlait près de 800 millions d'euros de liquidités par an et a dû gager tous ses principaux actifs industriels, dont ses brevets, pour obtenir de nouveaux prêts bancaires. Au-delà de ces graves difficultés financières, qui menaçaient son existence, le groupe manquait d'une identité industrielle claire ; ses activités et investissements étaient très dispersés ; sa qualité de services était mise en cause.

À mon arrivée, j'ai lancé le plan stratégique Shift visant à assainir la situation financière du groupe tout en le repositionnant sur les technologies du futur : réseaux internet IP, cloud et accès au très haut-débit. J'ai voulu un plan servi par une vision industrielle, un plan de transformation aussi audacieux qu'exemplaire du point de vue social.

Deux ans plus tard, les résultats sont là. Alcatel-Lucent a redressé sa situation financière : en 2014, le groupe est redevenu rentable. Pour la première fois depuis la fusion d'Alcatel et de Lucent en 2006, nous avons terminé l'année, en 2014, avec un flux de trésorerie positif hors charges de restructurations. Nous sommes par ailleurs confiants quant à notre capacité à générer des flux de trésorerie positifs en 2015. L'entreprise a restauré sa compétitivité et son excellence opérationnelle, regagnant ainsi la confiance de ses clients. Proposant une offre de qualité, compétitive, Alcatel-Lucent est redevenu un interlocuteur de premier rang auprès de tous les acteurs du monde des télécommunications, que ce soit en Chine, aux États-Unis ou en Europe. Son ancrage français a été renforcé et nous sommes redevenus le premier fournisseur réseau d'Orange. Je tiens d'ailleurs à cette occasion à remercier Stéphane Richard qui nous a permis de le redevenir. Nous avons aussi élargi notre spectre de clientèle : nous vendons désormais nos produits et services aux grandes entreprises, aux acteurs de l'internet et aux gouvernements. Enfin, Alcatel-Lucent a rétabli son leadership technologique : 85 % de ses dépenses de recherche et développement sont maintenant consacrées aux technologies de nouvelle génération, qui permettent aux réseaux de délivrer une capacité, une sécurité et un confort de communication en adéquation avec les nouveaux usages. En outre, cette recherche est aujourd'hui moins dispersée et plus efficace, grâce à l'effort de rationalisation que nous avons fourni.

Le rapprochement avec Nokia permettra à Alcatel-Lucent de devenir l'un des leaders de la plus grande révolution industrielle depuis la naissance des chemins de fer : celle des réseaux. En assainissant la situation de l'entreprise et en la repositionnant sur les technologies d'avenir, le plan Shift a redonné à Alcatel-Lucent des possibilités de se développer durablement et de faire partie de ceux qui comptent vraiment dans l'invention des réseaux de demain. L'avènement de la société numérique passera nécessairement par ces réseaux intelligents.

Nous savions qu'il fallait aller plus loin. Alcatel-Lucent avait la vision industrielle, comprenait les attentes de ses clients et ce qu'impliquait l'accélération considérable de la transformation numérique. Mais le groupe n'avait pas les moyens d'accomplir pleinement son projet. Il lui restait à franchir une nouvelle étape décisive : trouver les ressources nécessaires pour financer cette vision. Le rapprochement avec Nokia s'est imposé comme la solution à ce défi, en offrant à Alcatel-Lucent les moyens technologiques et financiers de continuer à se développer. Seul, Alcatel-Lucent, comme Nokia d'ailleurs, ne pouvait prétendre à une place de leader sur ces marchés d'avenir. Alcatel-Lucent possède une stratégie industrielle pertinente, une gamme de produits rénovée autour du très haut débit, de l'IP et du cloud, les bons marchés dans le secteur des télécommunications et en dehors de celui-ci. Mais nous n'avons pas une taille critique suffisante sur le marché du mobile ni les moyens de procéder aux investissements et acquisitions nécessaires pour garantir notre place au milieu des autres géants des télécommunications au moment où démarrent partout dans le monde les investissements dans la 5G, nouvelle génération de téléphonie mobile.

Le nouveau groupe sera au contraire numéro un mondial pour l'accès au très haut débit fixe, numéro deux en accès mobile, et en pointe dans la 5G. Il regroupera 114 000 salariés dans plus de cent pays. Le nouvel ensemble formé par Nokia et Alcatel-Lucent aura cette capacité unique à créer les fondations de cette connectivité ininterrompue et à être cet architecte global des réseaux de demain. Nous menons là le bon projet au bon moment – car le timing est essentiel à la réussite d'un projet industriel de cette importance. Ces réseaux du futur, qui s'appuieront de manière massive sur la 5G, les réseaux virtualisés et le Cloud, sont en gestation dans tous les laboratoires de R&D.

L'effort de recherche à fournir est considérable. Il s'agit d'une rupture technologique de grande ampleur. C'est maintenant qu'il faut investir, pas demain. Ces investissements que nos clients attendent, nos concurrents sont actuellement en train de les réaliser. À nous d'en faire autant, et de manière massive. Attendre, c'était menacer les efforts accomplis dans le cadre du plan Shift, effacer les résultats acquis, fragiliser la valeur créée.

Les deux entreprises, Alcatel-Lucent et Nokia, qui ont chacune mené à bien des plans de transformation ces deux dernières années, ont désormais des bases opérationnelles solides. Je suis intimement convaincu que ce rapprochement réussira. Le projet industriel qui le sous-tend est le bon car sur le plan opérationnel, il ne répétera aucune des erreurs du passé. Il ne s'embarrassera pas de querelles d'ego. Nous avons tranché de manière à conférer à ce rapprochement une lisibilité qui a manqué à d'autres fusions. En un mot, ce rapprochement représente le meilleur avenir possible pour les salariés, les clients et les actionnaires d'Alcatel-Lucent, dans un marché des télécommunications caractérisé par une concurrence internationale exacerbée et une exigence d'innovation technologique sans précédent.

Ainsi que vous l'exposera Rajeev Suri, je suis convaincu qu'avec Nokia nous créons un leader européen pour le futur, capable de rivaliser avec les géants mondiaux. Avec une trésorerie nette de plus de 7 milliards d'euros et une R&D qui compte 40 000 employés et pèse près de 5 milliards d'euros, nous nous donnons les moyens de faire la course en tête en matière d'innovation et de technologies. Le groupe bénéficiera en outre de portefeuilles produits et d'implantations géographiques complémentaires. Il aura une présence forte sur tous les marchés clés – aux États-Unis, en Chine, au Japon, en Inde et en Europe. Il réunira de manière unique le meilleur des réseaux. Et, à ce jour, au sein de ce projet d'envergure, la France est le seul pays au monde qui verra ses effectifs non seulement préservés mais encore augmentés, de surcroît dans les fonctions pérennes que sont la recherche et développement. C'était là mon souhait, pleinement partagé par Rajeev Suri, qui vous expliquera pourquoi et comment il compte développer ce domaine en France.

Pour les sites de Villarceaux et de Lannion, ce projet offre des perspectives nouvelles : je pense notamment à l'ouverture d'une antenne Bell Labs à Lannion, travaillant en étroite collaboration avec celle de Villarceaux, mais aussi à l'hébergement de trois plateformes industrielles ouvertes dans les domaines de la 5G, de la virtualisation des réseaux et de l'internet des objets, mobilisant jusqu'à 15 millions d'euros par an d'investissements de recherche et développement.

Au-delà de la pérennité apportée aux sites de Villarceaux et de Lannion, ce projet s'inscrit fortement dans l'écosystème de haute technologie français, qu'il va contribuer à irriguer puissamment. En effet, Nokia a annoncé la création d'un fonds d'investissements doté de 100 millions d'euros et entend soutenir l'excellence académique française en finançant des chaires et des programmes de recherche à hauteur de près de 5 millions d'euros par an. Je le réaffirme devant vous : je suis fier de ce rapprochement, au terme de deux années de travail acharné avec l'ensemble d'Alcatel-Lucent que j'ai eu l'honneur et la chance de diriger. Il s'agit incontestablement d'un projet d'ambition, de refondation et de construction au sein duquel la France a toute sa place. Je cède à présent la parole à Rajeev Suri, qui va vous présenter sa vision du projet Nokia Corporation.

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