Intervention de Axelle Lemaire

Réunion du 9 juin 2015 à 17h00
Commission des affaires européennes

Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique :

Merci de votre accueil. Je crois que ce travail commun de vos deux commissions est très important. Nous attendons beaucoup de l'Europe, pour que notre continent soit en mesure de créer de la croissance et de l'emploi dans ce secteur très prometteur.

Au sujet du Conseil du 12 juin, je rappelle qu'il y a un an, le paquet « Télécommunications » proposé par la Commission européenne couvrait quatre sujets : l'itinérance mobile, la neutralité du net, l'harmonisation européenne des fréquences et les droits des consommateurs.

Or j'ai constaté que nous étions peu susceptibles de parvenir à un accord sur l'ensemble de ces sujets, tant les positions des États membres comme du Parlement européen et de la Commission étaient divergentes, et que l'Europe a été trop longtemps la « belle endormie » dans ce domaine. Si elle ouvre un oeil en ce moment, j'aimerais qu'elle se réveille définitivement.

Pour cela, il faut sans doute sortir du seul sujet de la régulation du secteur des télécommunications et conclure rapidement des accords sur ce point pour s'interroger sur le véritable enjeu du numérique en Europe, qui est l'industrie, source de créations d'emplois dans les territoires.

J'ai donc demandé que l'on concentre les questions sur deux thèmes où des accords étaient possibles – l'itinérance mobile et la neutralité du net – et que la position du Gouvernement ne soit plus de blocage. Le fait de s'opposer aux propositions de la Commission ou d'autres États membres conduisait à ne rien décider en occupant la Commission à des travaux sans fin. Nous sommes devenus un véritable intermédiaire, afin de trouver une position consensuelle entre les différents partenaires de la négociation.

Depuis une rencontre des représentants des gouvernements avec le commissaire Oettinger en janvier dernier à Bruxelles, la Présidence lettonne a eu la charge de continuer à travailler sur ces deux sujets en vue de parvenir à un accord à la fin de son mandat.

Mais je doute que le Conseil du 12 juin soit décisionnel et permette d'acter une position commune des États membres. Les Lettons, comme la Présidence italienne avant eux, ont mis en place un trilogue qui a permis d'avancer, mais l'accord n'est pas encore abouti. Il l'est davantage sur l'itinérance mobile – ou « roaming » –, où on est près du but, que sur la neutralité du net.

Sur l'itinérance mobile, la proposition du Conseil doit permettre d'aboutir à court terme à une baisse très forte des tarifs de consommation lorsqu'on se trouve en dehors de son État national, au sein de l'Union européenne, puisque le coût d'une heure d'appel devrait être divisé par quatre, passant d'environ 15 euros à 3,5 ou 4 euros, sur une période transitoire qui reste à définir, entre juin 2016 et juin 2018. Alors que le Parlement européen demande à ce que la fin de cette itinérance arrive le plus rapidement possible, les États membres essaient de reculer cette date pour s'assurer que la négociation sur les tarifs de gros, qui doit intervenir en même temps que la baisse des tarifs de détail, puisse se faire de façon progressive. Le Conseil réclame une échéance entre juin et décembre 2018, la France étant plutôt sur cette ligne, sachant qu'on pourra réviser le calendrier si c'est nécessaire pour trouver un accord avec le Parlement européen.

La gratuité sera accordée pour les cinquante premières minutes, ce nombre pouvant augmenter. Mais, dans l'état actuel du texte, cela concerne 80 % des usages des voyageurs occasionnels, lesquels représentent 15 à 20 % de la population européenne.

Les 20 % restants, composés d'hommes et femmes d'affaires, seront couverts après la période transitoire par l'accord en cours de négociation, permettant d'être en itinérance mobile entre un et deux mois par an, soit au-delà de la moyenne des consommations actuelles. Cela devrait satisfaire 100 % des besoins et signifie qu'on pourra utiliser son téléphone portable à l'étranger de la même façon qu'à la maison.

La question en suspens est de savoir comment définir la consommation de l'utilisateur. Sera-ce de façon individuelle, selon les factures mensuelles, ce qui implique un travail des opérateurs, générateur de frais et de lourdeur importante de gestion ? Ou la Commission pourrait-elle établir des moyennes ? Dans les deux cas, il y a un risque d'usine à gaz : il faut donc affiner la solution. L'adoption d'un accord, que nous souhaitons fortement, permettra de clore ce chapitre, qui a beaucoup duré, la politique numérique de l'Union européenne ne pouvant se limiter à ce sujet.

S'agissant de la neutralité du net, se pose la question de savoir s'il faut distinguer ce sujet de l'itinérance. Cela permettrait de clore le débat sur celle-ci et de demander à la Commission européenne de refaire une proposition législative sur cette neutralité, qui exigerait en fait de repartir de zéro. Mais cette stratégie risque de prolonger éternellement les débats sur ce dernier sujet.

Je rappelle qu'on n'a toujours pas la position du Parlement européen à cet égard ; il est très divisé, sachant que les divisions existent au sein même de chacun des groupes politiques. L'affirmation de ce principe de neutralité par l'Europe me paraît nécessaire, dans la mesure surtout où les États-Unis y ont souscrit, dans des conditions bien plus libérales que ne le décrivent certains américanophiles. Le régulateur américain, la FCC, s'est contenté d'exprimer qu'il fallait un internet ouvert et qu'il avait compétence pour s'intéresser à la question – ce qui est le cas depuis vingt ans en France. En réalité, la décision de la FCC ne se prononce aucunement sur la régulation des services spécialisés par exemple. Il faut donc arrêter de citer l'exemple américain pour expliquer que l'Europe ne fait rien au sujet de cette neutralité. On n'a pas attendu cette décision pour faire quelque chose et l'état actuel de la réglementation en France comme en Europe est beaucoup plus avancé.

Reste qu'il est important politiquement que l'Europe affirme sa position sur ce sujet. D'abord, du point de vue des libertés publiques, pour permettre un égal accès au contenu de l'information, qui ne saurait être privatisée. D'autre part, pour s'assurer d'une grande offre de choix, qui permet de garder des prix bas, de préserver le droit des consommateurs ainsi qu'une concurrence transparente, libre et ouverte.

On attend de notre pays qu'il trouve un compromis entre les États qui voudraient définir précisément cette neutralité – comme la Slovénie, les Pays-Bas et la Pologne, l'Allemagne n'étant plus sur cette ligne – et ceux qui s'y refusent – le Royaume-Uni, la Suède, la Grèce, Chypre et la Croatie –, sachant que, pour les autres, ce ne sera pas un cheval de bataille. Le Gouvernement demande qu'on avance vite. Le texte proposé par la Commission parle d'un internet ouvert, ce qui revient au même que de parler de neutralité. Si, pour rassurer, il faut employer ce terme, faisons-le, mais je doute que nous parvenions à un accord sur ce point, qu'il faudra continuer à négocier. En tout cas, à ce stade, le principe de l'accès à un internet ouvert est acquis. Il en est de même des possibilités de gestion de trafics limités à quelques cas précis, notamment la congestion imminente et la sécurité, ou de l'existence de services spécialisés, qui est strictement encadrée. Ceux-ci, qui permettent des innovations extraordinaires, qu'il est important de ne pas freiner, ne doivent pas dégrader la qualité d'internet, ni discriminer les contenus ou faire l'objet d'abus de la part des opérateurs de télécommunications.

Dans la manière dont le droit français appliquera le règlement européen, on peut penser que le pouvoir de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) serait renforcé, notamment en matière de sanctions, pour s'assurer que ces opérateurs respectent bien leurs obligations.

Cela étant, il faut vite tourner la page car la Commission européenne a publié sa stratégie numérique le 6 mai dernier. C'est la première fois qu'une telle ambition est placée au niveau européen. Le Gouvernement se satisfait de ce document, qui a intégré beaucoup de ses demandes, souvent défendues avec nos amis allemands – tout en estimant qu'il ne va pas assez loin.

Cette stratégie tourne autour de trois sujets : le marché unique du numérique – le « digital single market » (DSM) – ; la régulation ; l'innovation, les écosystèmes de start-ups et la transition numérique de toute l'industrie et du tissu économique. On aurait préféré que cet ordre soit inversé, sachant que cela fait quinze ans qu'on parle du marché unique et que l'harmonisation est un travail de longue haleine, présentant au surplus le risque d'un nivellement par le bas, notamment en droit de la consommation et des contrats. Nous sommes d'accord avec cette idée phare de la Commission de créer un contrat de vente européen harmonisé à condition que cela ne se traduise pas par un abaissement des niveaux de protection actuels des consommateurs.

Nous sommes en revanche très favorables à la simplification du régime de TVA. L'Europe a agi ainsi pour les biens immatériels et va le faire pour les biens matériels. Cela veut dire que tout ce qui sera acheté en ligne sera imposé, pour la TVA, sur le lieu de l'acheteur, ce qui devrait largement simplifier le commerce électronique en Europe. Mais cela aurait pu être défini il y a quinze ans : quand on parle de services postaux, du géoblocage ou du droit des contrats, on a l'impression qu'on n'a pas avancé assez vite.

Concernant l'environnement réglementaire, la protection des données personnelles est un sujet essentiel. Lundi prochain, aura lieu le Conseil Justice et affaires intérieures (JAI), qui devrait acter un accord sur le projet de règlement sur ce sujet. Il est essentiel d'avoir une protection harmonisée en la matière. La France a été très active sur ce sujet. Dans les dernières négociations, elle a tenu compte de certaines demandes et réclamé par exemple que nos concitoyens aient un droit d'opposition lorsque sont utilisées des données sous pseudonyme, un droit à l'oubli pour les mineurs, ou le fait que des règles nationales puissent régir les données des personnes décédées. Mais il faut encore convaincre sur le droit à l'autodétermination informationnelle – le droit des plateformes – ou sur la question des recours collectifs en cas de violation de la législation sur les données personnelles. Nous souhaiterions aussi que ce règlement soit considéré comme une loi de police car, s'il entre dans le domaine de l'ordre public, il sera applicable à toutes les entreprises, y compris les entreprises extracommunautaires : il s'agit d'un enjeu fondamental pour que la vision européenne, qui est plus protectrice des données personnelles que partout ailleurs dans le monde, prévale.

S'agissant de l'industrie, l'enjeu de transformation numérique est présent dans la stratégie numérique, même si c'est de façon insuffisante. On voudrait que l'accent soit mis sur l'innovation, l'émergence de filières stratégiques dans le big data – ou mégadonnées –, la cybersécurité ou le cloud computing. On prêche donc pour une relance de la croissance par l'investissement dans ce secteur. Le plan Juncker constitue un début de réponse à cet égard, qui permet de mettre en valeur des projets, sachant que plus de 40 % des projets proposés par la France ont une dimension numérique. Nous allons continuer à faire beaucoup de pédagogie à l'égard de nos partenaires pour réussir à convaincre.

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