Intervention de Axelle Lemaire

Réunion du 9 juin 2015 à 17h00
Commission des affaires européennes

Axelle Lemaire, secrétaire d'état chargée du numérique :

Merci pour toutes ces questions pertinentes, qui montrent que la transformation numérique est ancrée dans la conscience des élus et qu'on est sorti du seul volet de l'accès au numérique, qui est fondamental mais ne constitue pas le seul enjeu.

Le projet de proposition législative de la Commission sur une TVA dans le commerce électronique tend à faire appliquer la loi du pays du consommateur, comme pour les biens immatériels, ce qui induit un renversement de la manière d'appréhender la question. On voit bien que dans le numérique, ce sont les usagers qui créent la valeur : il est donc logique d'appliquer le droit du pays du domicile.

Sur les données personnelles, il faut de fait veiller à conserver un niveau élevé de protection. Il ne faudrait pas que la renégociation de la directive sur la confidentialité des communications soit un prétexte pour revenir sur l'accord qui sera trouvé dans le cadre du règlement sur la protection des données. Le Gouvernement y veillera. L'objectif de cette directive est d'harmoniser les conditions entre les opérateurs des télécommunications et les services en ligne. Il faudra naturellement être vigilant à l'égard des données sensibles, comme les données de santé, de sécurité ou relatives aux enfants scolarisés.

Monsieur Tardy, il n'y a pas de remise en cause du régime de l'hébergeur.

De même, sur les fréquences, nous souhaitons avancer très prudemment, dans la mesure où chaque État suit un calendrier d'attribution de ses bandes de fréquences distinct. L'Allemagne travaille par exemple sur celle de la bande de fréquences 700 mégahertz, la France fera de même un an plus tard. On tend bien vers l'harmonisation, mais nous ne pensons pas qu'il faut en faire une obligation calendaire, car il y a d'autres sujets plus urgents.

S'agissant des plateformes, j'ai toujours considéré qu'il ne fallait pas agir dans l'urgence. Non seulement elles ont un rôle dominant mais elles sont aussi capables d'imposer des flux de données pouvant avoir un impact sur la liberté d'information. Elles sont si importantes que ce n'est pas au détour d'un amendement qu'on peut traiter de la totalité du sujet, qui mérite un débat parlementaire approfondi. Le Gouvernement a décidé d'endosser cette vision que je défends depuis le début, laquelle est conforme à notre méthode de discussion, y compris avec les acteurs industriels concernés. Si nous avons lancé une concertation nationale en ligne qui a duré pendant des mois pour recueillir plus de 4 000 contributions en vue d'élaborer une stratégie nationale qui sera publiée et annoncée par le Premier ministre le 18 juin prochain – dont certains éléments doivent être traduits dans un projet de loi sur le numérique –, ce n'est pas pour court-circuiter ce travail de long terme élaboré avec l'ensemble des parties prenantes.

On peut en effet regretter que, dans la stratégie numérique publiée par la Commission européenne, il soit peu fait mention de l'importance du volet éducatif, même s'il y a certains renvois à la formation professionnelle et à l'utilité de former aux nouveaux métiers du numérique. Cela s'explique par le fonctionnement de cette instance : sont chargés du numérique essentiellement le vice-président Ansip, qui traite principalement du marché unique et a créé un groupe de travail sur le sujet, composé de onze commissaires, et le commissaire Oettinger, en charge du numérique. Mais cela n'a pas empêché le Gouvernement d'avancer : le Président de la République a fait des annonces très importantes il y a quelques semaines en présentant le plan du numérique pour l'école, qui est un facteur d'égalité et d'émancipation pour les enseignants comme pour les élèves. Ce plan est axé sur la formation des enseignants, la diffusion des outils pédagogiques innovants par le numérique, ainsi que sur l'équipement, en laissant sur ce point le choix aux collectivités locales et aux établissements scolaires.

Quant aux emplois créés dans ce secteur, ils concernent les développeurs et les scientifiques de la donnée – sans parler de tous ceux que l'on ne connaît pas encore. Reste que notre offre de formation doit être en mesure d'évoluer plus rapidement. Le processus de certification des diplômes est à cet égard trop long et complexe, ce qui tend à faire émerger une offre privée pouvant exclure une certaine catégorie d'apprenants au détriment du secteur public, qui doit s'affirmer. D'excellentes initiatives existent, mais doivent être plus largement généralisées, notamment pour que les universités soient plus présentes dans la formation professionnelle – sujet sur lequel travaille la ministre chargée de l'éducation.

Au sujet du droit de propriété intellectuelle des PME, le projet de loi sur le numérique contiendra, en tout cas pour les start-ups, des dispositions relatives aux missions de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI), pour les élargir à l'accompagnement des entreprises innovantes et permettre de proposer des outils de dépôt de brevet plus simples, accessibles et rapides.

Vous avez raison : le numérique pourrait être très présent dans le TTIP. Mais le Gouvernement demande que la question des données personnelles en soit exclue et que le règlement européen en cours de négociation sur ce sujet soit le cadre applicable. Nous souhaitons d'ailleurs que l'adoption de ce règlement soit conditionnée à la renégociation de l'accord de Safe Harbour – ou « Sphère de sécurité » –, qui introduit potentiellement un moins-disant dans le niveau de protection des données personnelles pour les consommateurs des entreprises européennes aux États-Unis.

Par ailleurs, face à un domaine évoluant en permanence et où il n'y a pas de traité international ou de jurisprudence établie, je trouve délicat de confier à des arbitres le pouvoir de juger de contentieux pouvant diviser des États et des investisseurs privés. Le Gouvernement demande une transparence sur les négociations concernant les tribunaux arbitraux et a fait des propositions fortes, contre l'avis de la majorité des États membres, pour que soit créée une cour permanente d'arbitrage, permettant de définir une jurisprudence stable.

Monsieur Pellois, le Gouvernement a demandé à ce que l'économie collaborative figure dans la stratégie numérique de l'Union européenne. La régulation doit encadrer des pratiques potentiellement abusives lorsque le droit des consommateurs ou le droit social ne sont pas respectés. C'est le cas de celles d'UberPop, qui continue à développer ses services dans les villes de France en violation de la loi. Si cette entreprise est bienvenue en France, cela ne doit pas se faire au détriment de ces droits.

Par ailleurs, l'harmonisation ne doit pas faire fi de la diversité culturelle. Cela continue à être un grand combat du Gouvernement : nous avons réussi à faire exclure ce sujet des négociations sur le TTIP. Il est hors de question de prôner l'harmonisation par le commerce électronique dans le cadre d'un marché unique au détriment de la promotion de la langue française.

Madame Rohfritsch, le Gouvernement a mis en place le plan France très haut débit. Notre pays est aujourd'hui dans la moyenne. Reste que le niveau d'insatisfaction de nos concitoyens est élevé et qu'il y a urgence à agir pour répondre à leurs attentes en matière de couverture mobile comme de réseaux fixes. Le niveau d'investissement public et privé en cours donnera à la France cinq à dix ans d'avance d'ici 2022. Nous pourrons continuer à recourir au Fonds européen de développement économique et régional (FEDER) pour développer le numérique dans les territoires – notamment dans les zones de réseaux d'initiative publique (RIP) – grâce aux collectivités locales. Le Gouvernement l'a en effet demandé il y a un an. Nous utilisons aussi la Banque européenne d'investissement (BEI) pour cofinancer des projets de déploiement du numérique dans les territoires, comme le projet du Nord, qui est le plus ambitieux du pays budgétairement – on parle de 800 millions d'euros d'investissement.

S'agissant de l'accessibilité des sites web, il y a malheureusement un écart entre le droit et la pratique. Si le droit rend obligatoire cette accessibilité pour les sites internet des administrations publiques en France et en Europe, seuls 5 % d'entre eux sont accessibles à des personnes handicapées – malentendantes ou malvoyantes notamment. Face à cela, le Gouvernement agit plus qu'aucun autre auparavant. Nous allons publier ce mois-ci le nouveau référentiel à destination des administrations publiques, élaboré avec leurs informaticiens, mais aussi avec des associations, pour répondre à la demande de ces personnes. Il faut savoir manier la carotte et le bâton, la première pour accompagner la transition des administrations, qui induit des coûts importants, le second, pour les technologies les plus récentes – le site des impôts vient par exemple de développer une application pour smartphones –, en recourant à des sanctions financières lorsque certaines obligations ne sont pas remplies. C'est en tout cas la position que je défends au sein du Gouvernement, qui demande d'avancer sur ce sujet au niveau européen, en réclamant notamment que la question des applications mobiles soit inscrite dans la directive européenne sur l'accessibilité.

Monsieur Cordery, le but est de parvenir rapidement à la fin de l'itinérance mobile pour tous les citoyens européens et de stimuler la concurrence pour qu'il y ait des offres applicables aux frontaliers. Pourquoi ne pas demander aux opérateurs de trouver des accords commerciaux pour permettre des utilisations plus réciproques des forfaits téléphoniques ? En tout cas, les deux mois d'itinérance partagée prévus constituent une avancée substantielle. Au-delà, le Gouvernement pourrait, avec les élus des Français de l'étranger et des zones frontalières, travailler avec des opérateurs étrangers pour obtenir des accords répondant à des besoins plus spécifiques.

Madame Linkenheld, la transformation numérique de l'industrie est en fait l'enjeu principal. Si les PME ou les TPE ne créent pas suffisamment d'emplois, c'est parce que l'appareil productif n'est pas assez moderne. Le numérique doit être l'occasion d'investissements productifs qui améliorent la compétitivité qualitative de l'offre de produits et de services français. Outre que c'est une urgence et une nécessité, je pense que c'est la carte que l'Europe a à jouer dans la concurrence internationale, alors que l'Asie s'est positionnée sur le secteur des équipements et les États-Unis sur le marché du « B to C » – Business to Consumer – ou l'offre de produits et de services à destination de la grande consommation par la grande distribution. L'avantage comparatif de l'Europe est en effet dans la force de frappe de son industrie, qui doit se numériser. D'où l'intérêt du plan sur l'industrie du futur, qui a le mérite de réunir plusieurs des objectifs prioritaires du Gouvernement et de mobiliser les instruments financiers dans le cadre notamment du plan d'investissement d'avenir. C'est dans le même esprit que nous avons créé le suramortissement pour l'investissement productif dans les entreprises – afin de créer ce déclic permettant d'investir pour à terme créer de l'emploi – et que se poursuit au ministère de l'économie le programme de transition numérique des PME, en liaison avec les régions. On a en effet conféré à celles-ci un rôle plus important, dans la mesure où elles sont capables, avec les chambres de commerce et d'autres partenaires industriels, d'offrir des programmes de formation à des chefs d'entreprise ou des responsables de secteurs industriels.

Monsieur Piron, on peut dire globalement que les pays dits les plus libéraux voudraient n'introduire aucune contrainte réglementaire dans la façon dont les opérateurs de télécommunications peuvent utiliser leur propre réseau pour offrir des services à leurs clients, considérant que la concurrence et le marché doivent être les seuls décideurs. Quant aux tenants d'une neutralité du net très affirmée, ils défendent l'idée d'un égal accès à tous les consommateurs, quels que soient les contenus ou services proposés, parfois de manière un peu absolutiste, considérant qu'il ne devrait même pas y avoir de gestion prioritaire de trafic et qu'on ne devrait pas être en mesure de différencier le traitement de services spécialisés selon les offres.

En tout cas, le Gouvernement veut protéger le principe de l'accès de tous à tous les contenus. On parle d'internet ouvert car le web est considéré dans beaucoup de pays comme un seul service, même si, selon une étude récente, 30 % des Indonésiens considèrent qu'il se résume à Facebook. Certaines positions absolutistes risquent de mener à des blocages, qui ne protégeront personne. Il faut donc faire preuve à la fois de loyauté face à ses convictions et de réalisme face au potentiel d'innovation des services spécialisés. J'ajoute que la neutralité du net est souvent brandie par ceux qui sont en mesure d'offrir beaucoup de contenu, mais n'investissent pas du tout dans les tuyaux. Nous sommes en effet face à une situation aberrante de dichotomie entre ceux qui construisent les réseaux, et donc investissent, et ceux qui les utilisent et en tirent les bénéfices commerciaux sans assurer une contrepartie à ce bien commun qu'est internet – lequel ne doit en aucune façon être privatisé, ni par des entreprises, ni par des États.

Sur les fabriques du numérique, nous avons des annonces imminentes à faire. Le rapport prévu a été finalisé et la mise en place doit se faire en octobre. Sur ce sujet, comme sur les autres, je n'ai qu'un impératif : il faut aller vite !

Enfin, monsieur Le Roch, la révision de la directive relative aux droits d'auteur figure dans le programme de la Commission européenne, qui souhaite faire des propositions législatives à partir de l'année prochaine, considérant qu'il faut distinguer la question des droits d'auteur de celle de leur territorialité. Le but du Gouvernement est de protéger les créateurs, de préserver le modèle de rétribution de ceux-ci – ce qui a permis de conserver la diversité culturelle qui fait la richesse de l'Europe –, tout en modernisant le droit d'auteur. Or la territorialité est au coeur du modèle économique de la création telle que la France l'a historiquement défini. Si, dans un contexte d'économie internationalisée et de stratégies de plateformes pouvant diffuser les contenus culturels en faisant fi de ces modèles de rétribution, il faut faire évoluer les moyens de rémunération, il n'est pas question de revenir sur un modèle qui fait la force de la création européenne. L'enjeu, au-delà, est la défense d'un universalisme culturel.

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