Intervention de Pascale Crozon

Réunion du 17 juillet 2012 à 17h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascale Crozon, rapporteure :

Mesdames les ministres, je ne reviendrai pas sur les circonstances qui ont amené le Gouvernement à déposer, dès cette session extraordinaire, ce projet de loi. Le vide juridique auquel les victimes sont aujourd'hui confrontées nous a conduits à travailler dans l'urgence. Fait exceptionnel : c'est à l'invitation du Sénat et avec l'accord de l'ensemble des groupes politiques que vous avez déclaré la procédure accélérée sur ce texte. Et c'est dans l'objectif de voter la loi avant la fin du mois que nous avons procédé à l'audition des associations, des partenaires sociaux, des praticiens du droit et des services gouvernementaux concernés, avant même que le Sénat ait pu achever son examen du texte.

J'adresse néanmoins une nouvelle fois mes excuses à nos interlocuteurs et à nos collègues qui n'ont pu assister à nos travaux : ils comprendront que ces conditions de travail exceptionnelles ont été dictées par la nécessité.

Le projet de loi dont notre Commission est saisie a été voté à l'unanimité au Sénat, ce qui constitue un motif de satisfaction à plusieurs titres.

Sur le fond, je veux rappeler que l'introduction de ce délit dans le code pénal en 1992 avait fait débat. Des craintes avaient notamment été exprimées sur le risque accru d'aseptisation et de judiciarisation des relations sociales. Vingt ans plus tard, l'expérience nous a prouvé que ces craintes étaient infondées et que, à l'inverse, il demeure extrêmement difficile, du fait de la contrainte économique mais aussi, il faut le dire, d'une certaine tolérance sociale, d'engager une procédure judiciaire, et plus encore d'apporter la preuve des faits de harcèlement sexuel que l'on subit. Nous devons donc nous féliciter que la représentation nationale tout entière partage aujourd'hui le souci de lutter contre ce fléau, dont les conséquences aussi bien professionnelles que médicales sont lourdes pour les victimes, et coûteuses pour la société tout entière.

Sur la forme, nous devons également nous féliciter de la méthode employée. Je veux saluer l'action de nos collègues sénateurs qui, à raison, ont su utiliser le temps de l'interruption de nos travaux due aux élections législatives pour mener un travail approfondi sur la base de sept propositions de loi, et ont ainsi permis au Gouvernement d'agir avec célérité. La discussion en séance a été le reflet de cet esprit de coproduction législative et de concertation, puisque les sénateurs ont soutenu des amendements en provenance de l'ensemble des groupes, et qui tous enrichissent le texte. Parmi ces enrichissements, je veux en particulier saluer quatre acquis.

Premièrement, l'articulation entre harcèlement stricto sensu et harcèlement assimilé a été clarifiée. Il était nécessaire de pouvoir poursuivre un fait unique d'une particulière gravité, qu'il ait lieu parmi d'autres agissements ou en une occasion unique telle qu'un entretien d'embauche. L'alignement des peines à deux ans de prison et 30 000 euros d'amende offre au magistrat la même latitude pour évaluer la gravité des faits et leurs conséquences dans les deux cas de figure.

Deuxièmement, a été introduite une nouvelle circonstance aggravante liée à la vulnérabilité économique et sociale, dont nos propres auditions avaient révélé la nécessité. Plus encore que l'attirance de l'auteur envers ses victimes, il apparaît que celles-ci sont souvent soigneusement choisies en fonction de la précarité de leur situation, de leur moindre insertion dans l'entreprise ou de leur dépendance financière. L'amendement à l'article 1er adopté par le Sénat permet de répondre à cette préoccupation que je partage avec nos collègues sénateurs.

Troisièmement, le texte adopté par le Sénat prend en compte explicitement la transphobie, ce qui est bienvenu, tant il est vrai que les personnes transsexuelles ou transgenres subissent de façon quasi générale des faits de harcèlement qui les conduisent à l'exclusion sociale. Le choix de ne pas en faire une circonstance aggravante, mais de consolider la jurisprudence en matière de discriminations au sens large, me paraît particulièrement équilibré.

Enfin, le choix de transcrire, dans le statut des personnels de la fonction publique, l'interdiction de portée générale figurant dans le code du travail me paraît également une juste avancée.

En l'état, ce texte m'apparaît répondre de façon satisfaisante aux objectifs de célérité et d'efficacité que nous partageons, et je ne doute pas de la volonté de l'Assemblée nationale de l'adopter à son tour à l'unanimité.

Je souhaite néanmoins, mesdames les ministres, vous faire part des interrogations qui se sont exprimées au cours de nos auditions.

La plus importante concerne, vous le savez, les éléments matériels du délit assimilé, avec l'énumération « ordres, menaces, contraintes ou toute autre forme de pression grave ». Les associations font valoir que le délit de harcèlement est d'ores et déjà utilisé pour déqualifier des actes plus graves, tels que les agressions sexuelles ou les tentatives de viol, et que l'usage de ces termes ne peut que renforcer l'effet miroir et les risques de déqualification. J'ai été sensible aux arguments selon lesquels le risque réside davantage dans la pratique judiciaire que dans le texte lui-même, et je salue votre engagement, mesdames les ministres, de prendre une circulaire pour préciser les agissements visés par ce délit assimilé. Peut-on néanmoins envisager de vous proposer une rédaction qui éliminerait cet effet miroir et qui préciserait la volonté du législateur, sans pour autant réduire la portée du délit ?

L'article 2 vise les discriminations, telles qu'un licenciement, dont seraient victimes celles et ceux qui subissent le harcèlement sexuel. Ne serait-il pas pertinent, comme le prévoit par ailleurs le code du travail, d'accorder la même protection aux témoins de tels agissements, notamment afin de faciliter l'établissement de preuves ?

Le choix a été fait, à l'article 3, de procéder à un renvoi du code du travail vers le code pénal, tandis que l'article 3 bis reprend la définition intégrale du délit. Nous avons entendu les arguments en faveur des deux options, mais nous nous interrogeons sur cette différence. D'autre part, l'interdiction de portée générale ne devrait-elle pas figurer également dans le code de l'éducation, compte tenu des nombreux témoignages qui font état de harcèlement sur des étudiants ?

Enfin, les médecins du travail comme les partenaires sociaux nous ont informés de la porosité, voire de la concomitance, qui existent entre harcèlement sexuel et harcèlement moral. Je m'interroge sur le nombre de procédures que les parquets ont pu requalifier en harcèlement moral et, au-delà, sur l'opportunité, compte tenu de cette particulière porosité, d'étendre au harcèlement moral les circonstances aggravantes que nous introduisons pour le harcèlement sexuel. Cela permettrait en particulier de nous prémunir contre une jurisprudence trop restrictive sur la « connotation sexuelle » des agissements, jurisprudence qui conduirait à leur déqualification.

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