Intervention de Harlem Désir

Séance en hémicycle du 24 juin 2015 à 15h00
Accord france-États-unis sur l'indemnisation de certaines victimes de la shoah — Présentation

Harlem Désir, secrétaire d’état chargé des affaires européennes :

Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, votre assemblée examine aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et les États-Unis visant à indemniser certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, non couvertes par des programmes français antérieurs. Cet accord, signé au mois de décembre dernier par les gouvernements français et américain, est important à un double titre : d’abord, parce qu’il répond à la nécessité de mettre en oeuvre une mesure de justice au bénéfice des victimes de la déportation depuis la France qui n’étaient pas couvertes par les régimes mis en place antérieurement par notre pays ; ensuite, en raison à la fois des sérieux risques contentieux auxquels la SNCF faisait face devant des tribunaux américains et des initiatives législatives de nature à nuire à ses activités aux États-Unis et, plus largement, à sa réputation à l’étranger.

Je voudrais revenir sur ces deux points.

Tout d’abord, je rappelle que le régime de pension d’invalidité au profit des victimes de la déportation institué à partir de 1948 est ouvert à nos nationaux et aux ressortissants de quatre pays, en application d’accords bilatéraux qui ont été conclus après-guerre, mais un nombre important de survivants de la déportation, du fait de leur nationalité, ne pouvait en demander le bénéfice. Les contentieux apparus aux États-Unis ont été le révélateur d’une situation depuis l’origine inéquitable, à laquelle il convenait de remédier. L’accord soumis à votre approbation aujourd’hui vise ainsi à répondre à cet impératif d’équité à l’égard de ces survivants de la déportation depuis la France, qu’ils soient américains ou d’autres nationalités. Cet accord, j’y insiste, n’est ni dans son esprit ni dans sa lettre un accord portant réparation de guerre. Il a été négocié avec l’intention de parachever l’édifice français d’indemnisation, ce qui est totalement différent. Il s’agit d’un accord visant à mettre en oeuvre des réparations individuelles au profit de certaines victimes de la déportation depuis la France en remédiant à une inégalité de traitement de ces victimes par notre régime de pension d’invalidité des victimes civiles de guerre.

Les bénéficiaires exclusifs du futur fonds d’indemnisation qui devra être créé en application de cet accord seront des survivants de la déportation, américains ou d’autres nationalités, non couverts par notre régime, ou leurs ayants droit pour ceux qui sont décédés après guerre. Je souligne qu’aucune part des 60 millions de dollars qui seront versés par les autorités françaises ne sera affectée aux frais de gestion du fonds d’indemnisation, lesquels incomberont à la partie américaine seule. Le montant de ce fonds sera intégralement versé aux victimes de la déportation et rien ne reviendra à la partie américaine dès lors qu’il devra être distribué jusqu’au dernier dollar. La démarche des négociateurs et le résultat obtenu ont été salués par les organisations représentatives de la communauté juive de France comme le meilleur compromis possible soixante-dix ans après la fin de la guerre.

La deuxième raison qui rend cet accord important est de nature plus juridique. En raison d’un défaut d’indemnisation, des recours ont été introduits devant des tribunaux américains contre la SNCF pour son rôle dans les déportations. Il convenait donc, pour le Gouvernement français, d’obtenir, par cet accord, des garanties permettant de clore définitivement tout différend et contentieux relatif à la déportation depuis la France.

Cet accord institue donc des garanties qui vont au-delà des clauses généralement consenties par nos partenaires. Elles s’appliqueront en effet non seulement aux recours devant les juridictions américaines mais aussi – c’est une innovation majeure que nous avons obtenue – à toute initiative législative, à quelque niveau du gouvernement américain que ce soit, y compris, donc, au niveau des États fédérés et des autorités locales. Les autorités américaines s’engagent, au titre de cet accord, à s’opposer par tout moyen à tout recours introduit devant la justice américaine et à toute initiative législative, nationale ou locale, visant la France, des administrations ou des entreprises publiques françaises. La pratique confirme que nos partenaires ont toujours respecté, jusqu’à maintenant, les engagements pris en termes de paix juridique dans le cadre d’accords internationaux. Cependant, je veux dire ici clairement, en réponse aux doutes qui ont pu être exprimés sur l’effectivité des mesures de paix juridique prévues par cet accord, qu’aucun traité ou convention internationale ne saurait empêcher des plaignants de saisir des tribunaux aux États-Unis ou ailleurs, mais il importe de souligner que seules les garanties obtenues par le Gouvernement dans le cadre de cet accord permettront d’assurer le rejet de tout recours introduit devant la justice américaine et de toute initiative législative visant la France.

Mesdames et messieurs les députés, ce sont donc ces deux impératifs, mesure de justice et paix juridique, qui ont conduit le Gouvernement à vouloir compléter dans le cadre de cet accord l’édifice progressivement mis en place en France pour l’indemnisation des victimes de la Shoah. Le Gouvernement a conscience de la très grande sensibilité politique de ce sujet. Le ministre des affaires étrangères et du développement international, M. Laurent Fabius, a, de ce fait, souhaité répondre aux objections soulevées, lors de l’examen de cet accord en commission des affaires étrangères, à propos des références au gouvernement de Vichy. Le ministre, comme il s’y était engagé, a fait saisir les autorités américaines d’une demande de suppression de cette mention « Gouvernement de Vichy » dans le texte, pour qu’y soient substitués les termes de l’ordonnance de 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine, qui vise, comme l’exposé des motifs, « l’autorité de fait, se disant gouvernement de l’État français ». Cet échange de notes diplomatiques entre les deux gouvernements français et américain, mis en oeuvre en application de l’article 79 de la Convention de Vienne sur le droit des traités – et je remercie Élisabeth Guigou d’avoir contribué à élaborer cette solution –, a eu lieu la semaine dernière et a été transmis à l’Assemblée nationale. Il confirme l’engagement du Gouvernement de procéder à la rectification des termes de l’accord sur ce point. Le texte publié au Journal officiel sera par conséquent l’accord ainsi modifié.

Je voudrais, pour conclure, souligner que cette démarche de nature exceptionnelle entend répondre aux objections soulevées, qui ne mettent aucunement en cause le principe de l’indemnisation et le fond de l’accord. Parce que cet accord présente un intérêt évident en termes de justice, comme en termes de protection de nos entreprises, je souhaite que cette démarche du Gouvernement permette un large consensus. Ce sera important pour l’image de notre pays et cela permettra la mise en oeuvre rapide de l’accord, dans l’intérêt des survivants de la déportation, qui sont aujourd’hui très âgés.

Tels sont, monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, les principales observations qu’appelle l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d’Amérique, qui fait l’objet du projet de loi aujourd’hui proposé à votre approbation. Le Gouvernement appelle donc l’Assemblée nationale à l’approuver, parce qu’il est le moyen définitif, global et exclusif de répondre à toute demande au titre de la déportation liée à la Shoah et parce qu’il y va de l’intérêt de notre pays et de la protection de nos entreprises.

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