Intervention de Jean-Pierre Dufau

Séance en hémicycle du 24 juin 2015 à 15h00
Accord france-États-unis sur l'indemnisation de certaines victimes de la shoah — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Dufau, suppléant M Armand Jung, rapporteur de la commission des affaires étrangères :

En dépit des mesures de réparation mises en place en France dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, des déportés survivants, ou leurs ayants droit, n’ont pas eu accès au régime de pensions d’invalidité du fait de leur nationalité, ni à des compensations versées par d’autres États. Ces personnes ont tenté, à partir des années 2000, d’obtenir des réparations par d’autres voies, notamment devant les juridictions américaines. Le présent accord vise à mettre fin à ces procédures contentieuses en indemnisant les victimes par la création d’un fonds qui, pour des raisons pratiques évidentes, tenant à la nationalité et à l’âge des victimes, sera géré jusqu’à sa liquidation complète par les autorités américaines. Il s’agit d’une mesure de justice : je suis sûr que tous les députés, sur tous les bancs de cette assemblée, sont d’accord sur ce point.

En revanche, certains d’entre nous se sont interrogés sur le vecteur qui a été choisi, à savoir un accord gouvernemental donnant lieu à un transfert de fonds d’État à État. En premier lieu, je rappelle qu’il ne s’agit pas d’un régime de réparation de guerre entre États, mais d’un accord de réparations individuelles, morales et financières, qui a été négocié à l’initiative de la France. Les négociateurs ont choisi de confier au gouvernement américain l’instruction des dossiers, dans le souci de simplifier les démarches des demandeurs – par définition très âgés – qui résident sur le sol américain et en possèdent la nationalité. Les 60 millions de dollars ne sont pas versés au budget américain, mais transférés au Trésor américain au profit d’un fonds ad hoc, et le gouvernement américain devra rendre compte de leur utilisation au gouvernement français. L’article 6, paragraphe 7, prévoit un rapport annuel. Ce n’est pas exactement comme cela que fonctionnerait un régime de réparation.

En second lieu, certains se sont demandé s’il n’aurait pas été préférable que l’indemnisation incombât à la SNCF. En réalité, c’est une option qui aurait pu convenir au gouvernement américain, mais qui a été écartée d’emblée par la partie française. Faire participer la SNCF au fonds aurait eu pour effet de reconnaître sa responsabilité indirecte dans la déportation des Juifs, et le bien-fondé des plaignants américains. Or un arrêt du Conseil d’État de 2007 a exonéré la SNCF, ainsi que tous les démembrements de l’État, de toute responsabilité. Serge Klarsfeld a montré que la SNCF était un rouage placé sous réquisition des autorités allemandes d’occupation. Pour cette raison, cette option qui avait été demandée par nos partenaires américains a été formellement rejetée par les négociateurs français.

Il faut, enfin, ajouter que ce dossier est très différent de celui des spoliations. Si les banques françaises ont été mises à contribution par l’accord franco-américain de 2001, c’est au titre des avoirs qu’elles avaient abusivement acquis de leur propre initiative. Pouvait-on alors, au lieu de signer un accord, étendre les régimes d’indemnisation nationaux aux non-nationaux ? Cette solution aurait conduit à confier à l’administration française l’instruction des dossiers, alors que les demandeurs résident aux États-Unis et sont très âgés, ce qui n’aurait certainement pas facilité les choses. De plus, la création de ce fonds doit permettre à la partie française d’obtenir des garanties afin de clore les contentieux, ce que n’aurait sans doute pas permis une extension des régimes nationaux.

Certains ont mis en doute la solidité des garanties offertes par la partie américaine contre la poursuite éventuelle d’actions contre la SNCF ou d’autres entreprises françaises. Or les garanties obtenues par la France sont très larges et opèrent à plusieurs niveaux, à la fois judiciaires et législatifs : au niveau fédéral, au niveau des États et au niveau local. Elles sont donc plus importantes que celles des accords bilatéraux précédemment signés avec les États-Unis : non seulement les recours contentieux sont visés, mais aussi les recours législatifs, qui pourraient s’avérer bien plus préjudiciables à la SNCF ou à la RATP.

En ce qui concerne le volet contentieux, la garantie de sécurité juridique majeure réside dans la préservation de l’immunité de juridiction dont bénéficient la France et ses démembrements. C’est une garantie fondamentale pour empêcher les recours engagés contre la SNCF de prospérer et d’aboutir à une condamnation devant les tribunaux américains à des sanctions financières certainement très lourdes au regard des précédents. C’est l’objectif de cet accord, qui institue une obligation internationale contraignante pour les États-Unis : ils s’engagent à protéger cette immunité de juridiction devant les tribunaux. Cette obligation s’appliquera aux recours passés ou à venir pour lesquels le gouvernement américain interviendra en adressant aux juridictions des déclarations d’intérêt aux fins de rejet. Elle pourra également prendre la forme d’une intervention directe dans la procédure en qualité de partie. Le maintien de cette immunité, à défaut d’empêcher de nouveau recours, qui resteront toujours possibles, les empêchera de prospérer devant les tribunaux américains.

S’agissant des initiatives législatives, de manière très large, le gouvernement américain s’est aussi engagé, à la suite de nos demandes, à intervenir pour s’opposer à toute législation qui serait contraire à l’accord, au niveau fédéral, des États ou local. Concrètement, cela peut prendre plusieurs formes, notamment un veto de l’exécutif au Congrès, ou différentes interventions de nature politique dans le cadre d’initiatives législatives locales. L’accord s’appliquera ainsi à tous les niveaux de gouvernement et aux États fédérés.

Je vous invite donc à approuver cet accord en adoptant le présent projet de loi, dont l’objet n’est pas à mes yeux de compenser les créances de l’histoire – ni, d’ailleurs, de la refaire – mais de garantir la juste indemnisation de personnes qui en étaient privées : il s’agit de réparer une injustice.

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