Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, alors que cette année marque le soixante-dixième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la libération des camps de l’horreur et d’extermination, l’accord d’indemnisation de certaines victimes de la Shoah, déportées depuis la France et non couvertes par les programmes français, revêt, au-delà de son aspect technique, une dimension politique, morale et symbolique forte. Le groupe UDI estime que cet accord apporte une solution équilibrée et satisfaisante, répondant aux deux objectifs qui lui sont assignés : apporter enfin une indemnisation aux survivants de la Shoah déportés de France non couverts par les dispositifs existants ; couvrir le risque contentieux qui résulte de cette situation de vide juridique tant pour l’État que pour ses démembrements, en particulier, comme cela a été évoqué, la SNCF, plusieurs fois mise en cause dans des actions en justice aux États-Unis depuis une dizaine d’années.
Tout d’abord, le présent accord entérine logiquement le principe de responsabilité de l’État à l’égard des 76 000 Juifs déportés de France, en vertu d’une position constante des gouvernements depuis la reconnaissance courageuse et historique du président Chirac en 1995, reprise par Nicolas Sarkozy et François Hollande. En effet, les gouvernements français ont beaucoup tardé, hélas, à reconnaître la responsabilité de l’État français dans la persécution et la spoliation des Juifs sous l’Occupation, au nom d’une altérité radicale entre la République et la parenthèse autoritaire incarnée par le régime de Vichy. En vérité, cela n’a pas empêché la République, dès le lendemain de la guerre, en 1946, de mettre en place une série de dispositifs pour indemniser les victimes de la barbarie nazie, à partir du socle législatif d’un régime de pensions d’invalidité des victimes civiles de guerre. Bien que le champ des réparations ait été progressivement étendu, certains rescapés de la déportation en ont été exclus de par leur nationalité.
L’année 1995 a marqué un tournant historique. Dans un discours mémorable prononcé le 16 juillet à l’occasion de la commémoration de la Rafle du Vél’ d’Hiv, le président de la République, Jacques Chirac, a reconnu la responsabilité historique de la France dans la déportation des Juifs pour les crimes perpétrés sous l’autorité du régime de Vichy. Depuis la reconnaissance de cette responsabilité de l’État français dans la déportation des Juifs de France en 1995, plusieurs mesures de réparation matérielle complémentaires ont été adoptées. En particulier, face aux initiatives des États-Unis, un accord a été conclu en 2001 mettant en place un mécanisme d’indemnisation des spoliations bancaires intervenues sous l’Occupation.
En dépit de toutes ces mesures, le régime d’indemnisation laissait certains survivants ou ayants droit en dehors du champ d’application. Le présent accord permet de suppléer à ces défaillances et de mettre un point final aux demandes d’indemnisation. Notre collègue Pierre Lellouche a opportunément relevé la rédaction initiale, pour le moins maladroite, de l’article 1er, qui pouvait induire un lien entre la République française et le Gouvernement de Vichy. Le ministère des affaires étrangères a pris acte et nous estimons que les corrections apportées début juin, acceptées par la partie américaine par note diplomatique, permettent de clore le débat. Nous notons que le Gouvernement tiendra ses engagements de faire figurer la modification de l’article 1er dans le texte publié au Journal officiel.
S’agissant de l’objet de l’accord, il y avait urgence à tenter d’apporter une réponse juste et définitive à ce dossier. Un impératif éthique d’abord : rendre justice aux derniers survivants de la déportation, qui, soixante-dix ans après la fin de la guerre, sont aujourd’hui d’un âge avancé et méritent enfin justice, tout au moins matériellement. En effet – dois-je le rappeler ? – beaucoup, si ce n’est la majorité, sont morts à ce jour sans réparation. Cet accord répond également à un impératif de sécurité juridique. L’indemnisation des victimes de la Shoah empoisonne les relations entre la France et les États-Unis depuis une quinzaine d’années et fait peser un risque contentieux sur la SNCF, accusée de complicité de crime contre l’humanité. En effet, à partir des années 2000, des déportés survivants, non couverts par les régimes existants, ont tenté d’obtenir des réparations devant les juridictions américaines.
Ainsi, des actions en justice ont été intentées contre la SNCF en 2000 et 2006. En 2000, les actions pour avoir collaboré activement à la déportation des Juifs de France n’ont pas abouti, grâce au bénéfice de l’immunité de juridiction instaurée par une loi fédérale de 1976. En 2006, attaquée sur le fondement de la spoliation, la requête a été rejetée faute de preuves suffisantes. Une nouvelle action a été initiée en avril 2015, démontrant qu’il existait un risque réel que d’autres plaintes soient déposées contre la SNCF et qu’il y avait donc urgence à couvrir ce risque contentieux de manière définitive. Ce risque est d’autant plus important qu’il s’est déplacé sur le terrain législatif. Des initiatives, tant au niveau fédéral que des États, tendent à retirer le bénéfice de l’immunité de juridiction à la SNCF et à permettre à d’éventuels recours de prospérer devant une juridiction américaine.
Derrière la réparation symbolique, il y a aussi un enjeu financier important pour la SNCF. La résolution de ce différend devrait permettre à la SNCF d’opérer en toute sécurité sur le sol américain. En effet, depuis de nombreuses années, des élus américains s’opposent régulièrement à ce que la SNCF remporte des appels d’offres sur leur territoire, tant que celle-ci n’aura pas indemnisé les victimes de la Shoah et leurs ayants droit. Aucun accord n’est parfait, mais le présent accord est malgré tout un bon accord. Nous l’estimons bien négocié et plutôt efficace dans ses mécanismes de mise en oeuvre. C’est un accord qui semble équilibré, qui permet à notre pays de s’acquitter de sa dette historique, tout en préservant les intérêts de la France et en garantissant une sécurité juridique à notre administration et à nos entreprises publiques, la SNCF en premier lieu.
En ce qui concerne le montant de la réparation octroyée par le gouvernement français, précisé dans l’article 4 de l’accord, la somme de 60 millions d’euros semble raisonnable.